Aujourd’hui, alors que les droits des personnes LGBTQIA+ s’affirment de plus en plus dans le monde, quant est-il de la situation au Japon ? En avril 2015, le ministère de l’éducation et de la culture évoquait l’idée de venir en aide aux personnes atteintes de « troubles sexuels » … Une déclaration hors du temps qui témoigne d’une pensée politique peu encline à prendre en considération cette communauté marginalisée. Comment la situation a-t-elle évoluée depuis ?  

Le ministère de l’Éducation et les élèves LGBTQIA+

Tout débute par un rapport de 84 pages publié par l’organisation Human Right Watch, publié début mai 2016, portant le nom de « The Nail That Sticks Out Gets Hammered Down, LGBT Bullying and Exclusion in Japanese Schools ». Soit : « Le clou qui dépasse sera enfoncé, brimades et exclusion anti-LGBT dans les écoles japonaises » ; un titre inspiré d’un célèbre dicton japonais sur le conformisme quasi obligatoire en société : « Deru kugi wa utareru » 出る杭は打たれる (Le clou qui dépasse appelle le marteau).

Penchons sur l’évolution de la situation et mesures prises concernant les personnes LGBTQIA+, c’est-à-dire les personnes lesbiennes, gays, transgenres, queer, intersexe, asexuelles et autres minorités sexuelles. L’ONG Human Rights Watch s’est donné pour mission de protéger les droits humains et cette cause fait partie de ses priorités. L’organisme souhaite ainsi mettre en lumière les lacunes de l’éducation japonaise en matière de droit des minorités sexuelles, relevant que de nombreux japonais souffrent en silence depuis des générations, en particulier depuis l’américanisation de la société nippone et l’influence de la morale chrétienne. À la lecture des durs témoignages des élèves discriminés et de jeunes Japonais se réclamant de la communauté LGBTQIA+, on s’aperçoit que beaucoup d’entre eux étaient alors toujours considérés comme des parias, voire des parasites.

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Le rapport a notamment fait apparaître que les professeurs qui avaient des élèves LGBTQIA+ les considéraient comme égoïstes. Selon ces professeurs, ces élèves ne devaient pas s’attendre à réussir à l’école en raison de leur orientation sexuelle. De fait, malgré les statistiques qui révélaient que la présence de ces communautés était d’environ 30% au collège et lycée, soit bien plus qu’une simple minorité, ces derniers vivaient dans le secret, invisibles aux yeux des autres élèves. Quand leur orientation sexuelle apparaissait au grand jour, ils étaient bien souvent la cible de maltraitance, de harcèlement et d’humiliations publique.

Autres éléments d’importance soulignés par le rapport : « Au Japon, les étudiants qui se posent des questions sur le genre et la sexualité sont laissés dans une situation délicate. La recherche d’informations, auprès de sources officielles telles que les bibliothèques scolaires, peut les laisser les mains vides ou avec des informations limitées – en raison, par exemple, de livres qui considèrent tous les problèmes d’identité de genre comme un trouble mental.

S’adresser au personnel de l’école pour poser des questions peut donner lieu à une censure ou à un harcèlement pur et simple. Même dans les cas de réponses compatissantes et encourageantes, le manque de formation des enseignants signifie que les élèves sont au mieux confrontés à des connaissances improvisées basées sur les opinions personnelles des enseignants. Le fort désir culturel de « maintenir l’harmonie » signifie que même les enseignants qui essaient de soutenir les élèves LGBT peuvent se retrouver, comme l’a dit un ancien enseignant, « aliénés dans leur propre compassion ».

L’usage du mot « trouble » par le ministère de l’Education et de la Culture en 2015 pour parler des personnes LGBTQIA+ indique que les mentalités sont encore longues à faire évoluer. Cette stigmatisation à travers le discours officiel est aussi le reflet de discriminations structurelles dans les organisations. En effet, si un élève se considère autrement qu’hétérosexuel, il n’a d’autres choix que de se faire diagnostiquer comme ayant un TIS (Trouble de l’Identité Sexuelle) afin de bénéficier officiellement d’une éducation sécurisée qui lui permette de « s’épanouir » en société. En effet, avec ce diagnostic médical officiel, l’élève pourra alors être réorienté dans son parcours scolaire et conseillé. Cependant, ce diagnostic n’est pas tout à fait synonyme d’une éducation plus épanouissante pour l’élève. C’est plutôt le signe d’une stigmatisation officialisée et d’un parcours du combattant qui ne fait que débuter.

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Au nom de son orientation sexuelle, l’élève commence alors une scolarité différente et contraignante, ponctuée de diagnostics réguliers et de soins médicaux obligatoires. Implicitement, cet élève sera poussé à ne pas continuer à explorer son identité sexuelle, ni à se connaître plus profondément. Il sera poussé à renier ce qu’il est, ce qu’il ressent, pour rentrer dans le moule du groupe majoritaire. De plus, le jeune se voit privé de sa liberté de vivre et d’une partie de ses droits fondamentaux.

Un rejet total ou quelques voix pour les aider…

Pourtant, des mains sont parfois tendues vers ces élèves japonais de la communauté LGBTQIA+. Mais les membres du corps enseignant ou de la communauté éducative sont rapidement désarmés face à des mesures gouvernementales qui ne sont pas adéquates. L’harmonie collective – un joli terme pour parler de conformisme intégral et oppressif – est toujours recherchée par le gouvernement japonais très à droite sur l’échiquier politique.

De fait, l’harmonie collective signifie surtout que tout ce qui « déborde » de la normalité est implicitement rejeté. Par conséquent, les solutions qui sont mises en place ne peuvent être qu’éphémères et peu appropriées pour l’élève. Au nom de cette conformité lourdement suggérée, des règles sociétales écrasantes, et de la négation de l’individualité, les élèves issus de cette communauté ne peuvent bénéficier d’un suivi efficace. Même les politiques contre le harcèlement scolaire n’offrent finalement aucune réponse concrète et adaptée pour les élèves qui en sont victimes. Les jeunes souffrent donc le plus souvent en silence jusqu’à parfois sacrifier leur scolarité et chances de réussite.

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Quelques fois, des témoignages d’élèves montrent que des professeurs souhaitent les aider, mais les enseignants ne reçoivent aucune formation pour répondre efficacement à ces élèves. Ainsi, les situations perdurent et des élèves finissent par quitter l’éducation. Ce sont parfois même les instituteurs qui quittent le monde de l’éducation, fatigués par tant de règles oppressantes qui briment l’épanouissement des individus. Après ce constat assez sombre, que propose concrètement la Human Rights Watch au ministère de l’Éducation et de la Culture ?

Les recommandations de la Human Rights Watch

Kanae Doi est directrice de Human Rights Watch à Tokyo. Concernant les mesures prises par les officiels, elle constate sans appel : « Le gouvernement devrait d’urgence aligner ses politiques de protection des élèves LGBT sur les normes et meilleures pratiques internationales. » Human Rights Watch a publié un rapport à destination du gouvernement japonais concernant les recommandations qu’elle conseillait de mettre en place pour les élèves LGBTQIA+. Elle a habilement utilisé un moyen d’expression populaire et pris comme modèle au Japon : le manga. Pour cause, le monde du manga aborde très ouvertement ces questions d’orientations sexuelles, avec beaucoup d’empathie et de respect.

« nous devions (donc) nous éloigner des homosexuels« 

Dans le rapport de recommandations, nous pouvons également lire quelques confessions d’élèves qui ont accepté de témoigner sur leurs expériences scolaires. Des témoignages glaçants, révélant le peu d’empathie que les élèves recevaient et la diffusion de fausses informations : « Dans le monde, il y a des gens bizarres » a exprimé mon professeur de santé au lycée, pour introduire la leçon sur la sexualité. Puis, elle a dit que les rapports sexuels entre garçons étaient la principale cause du SIDA et que nous devions donc nous éloigner des homosexuels. C’est la seule fois que j’ai entendu parler des LGBT par un professeur, sauf quand je les ai entendus faire des blagues sur les homosexuels. » (Sachi N., 20 ans, Nagoya, novembre 2015). Le manque d’empathie du corps d’enseignant est saisissant.

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Par ses recommandations variées et nombreuses, l’organisation a essayé de prévenir les menaces qui planaient au-dessus de ces élèves.

La première d’entre elles et non des moindres, a été de préciser les catégories d’élèves vulnérables, notamment les élèves LGBT, dans le cadre de la loi contre le harcèlement scolaire. Par la suite, il a été noté que les établissements devaient permettre l’accès aux données les concernant et de pratiquer une collaboration régulière avec les organisations non-gouvernementales et associations spécialisées dédiées à ces questions. Ainsi, l’organisation des droits humains a prôné une ouverture culturelle plus grande et plus appropriée. Il a été souligné que les professeurs devaient absolument être formés pour pouvoir comprendre ce que vivent ces élèves et ne pas (plus) faire preuve d’un comportement discriminant envers eux.

7 ans après cette publication, et les outils d’informations mis en place par l’organisation, les choses ont-elles évolué au Japon ?

La diffusion de ce combat et d’autres propositions

Les rédacteurs du rapport et membres de l’organisation Human Rights Watch ont donc tout de suite pensé aux mangas, support littéraire très répandu au Japon et très facilement accessibles à tous. Des témoignages ont ainsi été publiés sous forme d’histoires dessinées dans un style jeune et moderne, le tout adressé à toute la communauté éducative. Plusieurs de campagnes ont ainsi été mises en place pour défendre les droits de la communauté LGBTQIA+ à travers le format manga. Les pages représentant ces témoignages sont intitulées : « Why are gays treated as if we don’t exist ? », reprenant les propres mots des personnes concernées.

Par la suite, d’autres propositions pour une meilleure prise en compte des ces élèves ont émergé, notamment l’uniforme unisex en option. Ces uniformes ont fait leur apparition à partir de 2018 et permettent à chacun de choisir ce qui correspond le mieux à son identité ou ses besoins personnels. Ces options ne sont cependant pas généralisées à tout le Japon.

Uniformes unisexe. Source : jp.outletfactory2022

Iizuka Megumi a consacré un article sur Kyodo News à ce type d’uniforme le 19 janvier 2018. Voici ce qu’elle y écrit :

« Un nombre croissant d’écoles japonaises introduisent des uniformes non-sexués ou des codes d’uniformes flexibles, dans le but de soutenir les étudiants lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Les responsables scolaires espèrent que cette initiative atténuera l’angoisse mentale des élèves qui, jusqu’à présent, devaient porter des uniformes rigides, tels qu’une veste à col montant et un pantalon pour les garçons et une tenue de type marin avec une jupe pour les filles.

Au collège Kashiwanoha de Kashiwa, dans la préfecture de Chiba, près de Tokyo, qui a ouvert ses portes en avril, les élèves peuvent choisir librement de porter des jupes ou des pantalons, ainsi que des cravates ou des rubans pour accompagner les blazers, quel que soit leur sexe. »

Les parents du collège Kashiwanoha de Kashiwa ont discuté avec le corps enseignant de la possibilité d’un nouveau type d’uniforme qui devait permettre aux élèves de la communauté LGBTQIA+ de se sentir à leur place dans le groupe. Un petit pas de plus dans la direction d’une évolution des mentalités.

Iizuka Megumi note également : « Des mesures similaires se répandent ailleurs au Japon : un collège de la préfecture de Fukuoka, dans le sud-ouest du pays, se prépare à abandonner les uniformes à col montant et les costumes de style marin, pour introduire à la place des blazers et permettre aux élèves de choisir entre jupe et pantalon à la rentrée d’avril 2019. »

L’école Kashiwanoha fut l’une des pionnières dans l’introduction de l’uniforme intersexe en option, de même que les manufactures Tombow, réalisant des uniformes traditionnels pour les lycéens. Il reste aux autres établissements du pays à s’inspirer de leur exemple et, au-delà de la question des uniformes, à promouvoir de manière générale l’acception de minorités sexuelles dans les communautés de manière à assurer le bien être de chacun.

Peu à peu, les jeunes japonais semblent doucement se faire à l’idée qu’il n’y a rien de criminel ni de dégradant à être simplement « différent » tant en matière de sexualité que de personnalité. Que rien ne justifie la haine, le harcèlement et la destruction mentale des individus qui assument une identité sexuelle autre que majoritaire. Que leur simple droit à exister ne nuit en rien à la bonne marche de la société.

Cécile Khalifa

Source : Tokyo Rainbow Pride 2016 / https://www.flickr.com/photos/usembassytokyo/26837973171/