Il y a quelques années, une école de médecine japonaise avouait avoir falsifié les notes des candidatEs au concours d’entrée pendant des années pour limiter le nombre d’admises à 30% et laisser la priorité aux hommes. La justification officielle ? « Les femmes renoncent souvent à être médecin une fois qu’elles sont mariées et ont des enfants » et l’idée selon laquelle « les médecins hommes sont d’un plus grand soutien pour l’hôpital universitaire ». En 2023, il n’est toujours pas facile pour une femme japonaise de faire la même carrière qu’un homme, en particulier en médecine. Un parcours du combattant qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la toute première femme à avoir obtenu le titre de médecin au Japon au XIXème siècle… Son nom : Ginko Ogino.

Ginko Ogino est née dans une famille paysanne le 3 mars 1851 à Saitama. Mariée à 16 ans, elle contracte la gonorrhée, contaminée par son époux volage. Un mal dont on ne savait pas guérir facilement à l’époque. Dégoûtée des hommes, elle obtient le divorce avec l’aide de sa mère, défiant déjà les coutumes de l’époque. De même, contrairement à la plupart des filles de son temps confinées à leur foyer, elle était férue d’apprendre. Bénéficiant du soutien de son premier professeur, un Confucianiste, elle se consacra à l’étude envers et contre tous. Grâce à une connaissance de son professeur, elle put se rendre dans un hôpital de Tokyo pratiquant la médecine occidentale pour avoir une chance de soigner sa maladie honteuse. C’est là que sa volonté de devenir médecin va se révéler.

En effet, si le traitement qu’elle y suit se révèle efficace, elle est en revanche humiliée par les médecins de l’époque qui ne font montre d’aucune humanité et respect à son égard. Persuadée que des médecins femmes lui auraient porté plus d’attention, elle prit la décision de devenir la première femme pratiquante. Une résolution qu’elle eut du mal à faire accepter à sa famille. Sa mère, une femme pourtant ouverte d’esprit pour l’époque, tente de l’en dissuader, arguant que la médecine est réservée aux hommes, que ce n’est pas à une femme de voir du sang, de pratiquer des opérations… Mais la vocation de Ginko demeure inébranlable, quitte à être reniée par sa  famille.

Portrait de Ginko Ogino. Source : wikimedia

Le plus dur restait à faire : trouver une école qui l’accepterait. Pour son professeur confucianiste, devenir à son tour professeur pourrait lui permettre dans un premier temps d’intégrer le milieu. C’est ainsi que diplômée de l’École Normale des femmes de Tokyo (aujourd’hui l’Université pour femmes d’Ochanomizu), après plusieurs années elle obtint la permission de suivre les conférences de l’école de médecine privée Koju-in. Elle s’y retrouve la seule femme au milieu d’une centaine d’hommes qui ne voyaient pas cette intrusion féminine d’un très bon œil et c’est peu dire. Les hommes l’insultèrent régulièrement (« vous allez ausculter des hommes nus ? », « femme, dehors ! ») et ne la considérant pas mieux qu’une prostituée, certains tentèrent un jour de la violer. Elle en réchappa en leur avouant sa maladie vénérienne. Dégoutés, ils partirent non sans lui cracher au visage. Elle en fut temporairement abattue, mais sa détermination à devenir docteur ne fut pas entamée. Elle dut encore lutter lorsque, devenue interne, elle affronta son premier patient, un homme descendant d’une famille de samouraïs qui refusait qu’une femme ne le soigne, ce qui aurait été une honte aux yeux de ses ancêtres. Elle y parvint toutefois à force de persuasion.

Aucune facilité ne fut accordée à Ginko Ogino pour devenir médecin. Au contraire, il lui aura fallu tenir tête à sa famille, à ses camarades, aux patients, à la mentalité de son époque sur la place d’une femme dans la société. Mais finalement, elle obtint son diplôme en 1882. Sa ténacité face aux épreuves qui ne l’ont pas épargnée a fini par payer. Il lui fallait toutefois obtenir une licence pour ouvrir une clinique de gynécologie, or une telle licence n’a encore jamais été accordée à une femme. Là encore, elle doit faire face aux jugements réactionnaires des autorités compétentes qui ne répondaient simplement pas à ses lettres de demande. Elle alla présenter sa requête en personne et le fonctionnaire qui la reçut lui rétorqua que « Les femmes tombent enceintes. Quand ça se produit elles laissent tomber leurs patients, ajoutant à leur stress », sans compter « les jours impurs chaque mois ». Des paroles qui résonnent encore en 2018 dans certains milieux, dont celui du sushi. Mais une nouvelle fois, elle surmonte l’obstacle et obtient sa licence en 1885. Elle ouvre ensuite une clinique à Tokyo spécialisée dans l’obstétrique et la gynécologie où elle se montre praticienne compétence et dévouée. La vie l’a toutefois endurcie au point qu’elle finit par montrer un certain dédain aux malades résignés, la compassion dont elle désirait faire preuve initialement s’est au final quelque peu émoussée. Elle-même ayant lutté durant sa vie, elle attend autant de combativité de la part de ses patients sans forcément la trouver.

Interprétation du portrait de Ginko Ogino par Midjourney.

En 1890, elle convole en secondes noces avec un Japonais chrétien qui voulait créer une société chrétienne idéale. Elle ferme son hôpital de Tokyo en 1894 pour le suivre à Hokkaido où elle fonde une nouvelle clinique à Setana. Elle y restera dix années à soigner les malades. Avec l’âge, sa foi prendra le dessus sur l’amour de son métier, car, ce qui peut sembler étonnant, l’Église acceptait davantage les femmes que la société nippone. Elle adhère alors à l’Union chrétienne des femmes pour la tempérance. Suite à la mort de son époux et l’échec de sa société utopique, elle revient à Tokyo en 1908 pour reprendre la tête d’un hôpital. Entretemps, hélas, les connaissances médicales ont évolué et ses compétences sont dépassées. Elle décède d’athérosclérose, à Tokyo le 23 juin 1913, âgée de 62 ans.

Malgré une fin de vie plutôt triste, Ginko Ogino reste un modèle et une précurseure de l’histoire des femmes médecins au Japon. En 1967 un mémorial en son honneur fut érigé à Setana. Le musée d’Histoire régionale de Setana exposait dernièrement des objets lui ayant appartenu ainsi que des documents relatifs à la pratique de la médecine à son époque. Aujourd’hui, la société nippone reste toujours profondément conservatrice et les comportements misogynes sont toujours monnaie courante. Cependant, on note des évolutions remarquables en matière d’équité entre les sexes et nombre de femmes sont désormais bien décidées à lutter pour leurs droits élémentaires d’être ce qu’elles veulent, en toute liberté, et non pas ce que la société patriarcale attend d’elles.

S. Barret

Source : https://www.tokyo-in-pics.com/zoshigaya-cemetery/

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Sources : japantimes.co.jp / francetvinfo.fr / findagrave.com / ndl.go.jp