Comment nous avons goûté aux larmes d’une japonaise…

Avez-vous déjà goûté aux larmes d’une japonaise ? Probablement pas ! Par le plus parfait des hasards, nous avons fait cette expérience déroutante à Tokyo cette semaine. Récit sans filtre d’une rencontre pas vraiment ordinaire…

Aujourd’hui, nous avons pu déguster les larmes d’une japonaise… Et ce n’est pas le dernier délire commercial à la mode après le Tapioca ou une figure de style moderniste… Comment est-ce possible ? Plongeons ensemble dans le clair-obscur.

Aujourd’hui, traditionnelle visite d’Okuno, un très vieux bâtiment situé à Ginza construit en 1932. L’endroit rêvé pour croiser des japonais vraiment atypiques. Ici, on fait un bond instantané dans le passé. L’ascenseur en atteste. Il fonctionne toujours sur le modèle d’une grille ouverte avec son aiguille mécanique pointant les étages explorés. Sans aucun doute, on aurait presque l’impression d’entrer dans une machine à remonter le temps. Car « Okuno » est un des tout premiers bâtiments à avoir été entièrement construit en béton armé. C’est ainsi qu’il a résisté à de nombreux tremblements de terre au courant du siècle passé même si ses murs balafrés attestent de sa fatigue. Il abritait une série de petits appartements dans un style « belle époque ». Il est également un des rares endroits à ne pas avoir été touché par les bombardements pendant la guerre.

Ginza Tokyo(Okuno building)

Aujourd’hui, la plupart des appartements ont été réaménagés en petites galéries d’art et commerces d’artisans indépendants. Chaque semaine, les artistes y expriment leurs sentiments dans les cocons disponibles de quelques mètres carrés. Peintures, sculptures, gravures, mises en scène audiovisuelles, chaque nouvelle visite est forcément une expérience unique, inattendue, parfois intense. Mais c’est aussi l’assurance de découvrir de jeunes artistes japonais avec peu de moyens mais beaucoup de talent et une histoire personnelle à raconter : le monde artistique japonais de demain. Et cette histoire, c’est celle de Michi Okada.

La gâteau de la tristesse

C’est au détour d’un couloir que nous pénétrons dans une pièce dont les fenêtres ont été capitonnées. Nous doutons un instant car aucune lumière ne s’échappe des lieux. Au cœur de la pénombre pourtant, un gâteau de gélatine rouge trônait au centre des lieux, ronronnant fébrilement au rythme de nos pas sur le vinyle. En son cœur, une fourchette avait été plantée. Est-ce une œuvre ? Du plastique ? Qu’est-ce que ça signifie ? Il n’y a rien. Pas une explication. Soudain, une musique s’échappe du présentoir. Un chant traditionnel japonais sur l’importance de l’amitié s’en échappe. Avouons-le, c’est à n’y rien comprendre. Et le meilleur approche.

Dans un coin de la pièce, plongée dans le noir, l’artiste nous observe tout ce temps, discrète, timide, invisible. Bondira-t-elle par surprise pour s’abreuver de mon sang ? Dans une pièce aux allures d’années 30 dont le papier peint s’écharpe en lambeaux, la scène s’y prêterait presque. Tremblante, tout de noir vêtue, elle s’avance vers moi. « Ce gâteau a été fait avec de vraie larmes, mes larmes » dit-elle d’emblée. Quelle entrée en matière. Des larmes ? Êtes-vous triste ? « La vie est très difficile ». Spontanément, elle se confesse sans autre forme de procès. « Je n’ai pas beaucoup d’amis. C’est vraiment difficile de se faire des amis ». Elle nous confie que la communication verbale au Japon est particulièrement délicate.

Dans ses relations, elle a tant expérimenté la déception, le mensonge, les masques sociaux d’une culture qui ne brille pas par sa capacité à exprimer ses sentiments, ce qui offre paradoxalement une certaine incertitude constante, parfois douloureuse, parfois magique, et cette profondeur insaisissable des échanges informels. « J’ai été triste et j’ai réalisé ce gâteau avec les propres larmes de cette tristesse afin de me faire de nouveaux amis, pas par la communication usuelle, mais par les symboles, l’art et l’expérience, par l’échange de ce qui m’appartient contre ce une chose qui vous appartient ». Ce qui m’appartient ?

https://www.instagram.com/p/B3tqg3pFu2v/

Alors qu’on pensait avoir tout vu, une alarme retentit. Et un son profond de battements de cœur surgit du gâteau. Celui-ci se met à tourner sur lui-même au rythme lent des battements. « Ce que vous entendez, ce sont mes propres battements de cœur ». La situation devient de plus en plus déroutante, une douce folie dont seuls les artistes peuvent être capables. L’Art, n’est-ce pas avant tout ce besoin d’un être humain de partager des sentiments par toutes voies possibles ? Voilà qui est réussi. Mais ce n’était pas la fin de nos surprises.

Alors que la gâteau s’arrête de battre la chamade au plus grand désespoir de nos cœurs, l’artiste nous fait une proposition qui n’arrive qu’une fois dans la vie : « Si vous m’offrez un peu de vos cheveux ou de vos poils, vous pouvez goutter à mes larmes. » Moment de silence. Échanges de regards. Faut-il éclater de rire ou partir en courant tant que nous le pouvons encore ? Le trou sur mon bras atteste du seul choix possible dans circonstances pareilles. Délicatement, elle place ces quelques éléments de mon être dans un petit sachet hermétique nominatif, telle une enquêtrice d’NCIS sur une scène de crime. « Nous voilà amis à présent » dit-elle satisfaite. Ainsi avons nous goutté aux larmes d’une japonaise, dans l’espoir inexprimé de les avoir effacés de son visage à tout jamais.

Michi Okada et son gâteau aux véritables larmes.