Le Japon est inévitablement le pays des masques portés en société, mais aussi celui d’une pression sociale lancinante, tout au long de la vie, en particulier sur les femmes. Ces deux composantes exacerbées donnent parfois naissance à des maladies mentales spécifiques au Japon si répandues qu’elles vont jusqu’à inspirer des modes à part entière, voire même un courant artistique. C’est le cas du Menhera (メンヘラ), un cousin du creepy-cute, mélangeant le mignon, l’horreur à travers le spectre de la maladie mentale. Qu’en est-il exactement ? Où s’arrête la mode, où commence la maladie ? Exploration d’un reflet toxique de la société nippone.

Les amateurs de Japon le savent, la vie des femmes japonaises n’est pas toujours enviable. C’est particulièrement le cas des jeunes femmes qui font l’objet d’un fétichisme latent. Attouchements dans le métro, harcèlement sexuel au travail, viol comme fétiche assumé, rapports forcés avec drogue, les témoignages que nous avons reçus ces 10 dernières années sont édifiants, choquants, tristement récurrents et rares sont les victimes à oser s’exprimer. Surtout pas dans la société japonaise où règne toujours le culte du silence.

Est-ce donc cette objectification des femmes et l’impossibilité de s’exprimer sur ses traumatismes qui a généré une épidémie de maladies mentales « modernes » et de comportements borderlines qu’on peut regrouper sous le terme de Menhera ? La question reste ouverte, tant les études sur le sujet sont rares, si pas inexistantes. Pourtant, les multiples observations invitent à se pencher sur ce phénomène urbain qui ne date pas d’hier, comme en témoignent certaines œuvres classiques du cinéma japonais comme Perfect Blue (パーフェクトブルー) ou même Paprika (パプリカ) de Satoshi Kon.

Perfect Blue, symbole d’une personnalité brisée et multiple.

Le comportement « Menhera »

Il convient d’admettre que le terme « Menhera » est un mot-valise (dont les Japonais ont le secret) provenant d’un anglicisme, pas une dénomination médicale. C’est une contraction de Mental Health, ou en français « santé mentale ». Il est à la fois utilisé pour décrire une mode mais aussi de manière péjorative pour désigner un type de femme japonaise souffrant de maladie mentale avec des attitudes toxiques. La victime, AKA le partenaire (homme comme femme), doit subir le comportement de celle-ci. Dans les traits inhérents à la Menhera, on retrouve tout un panel de vexations : dépendance affective, peu de contrôle sur les drogues, chantage affectif, instabilité permanente, menaces d’automutilation voire de suicide en cas de séparation. Mais aussi un ascenseur émotionnel, passant de l’euphorie à la rage en l’espace d’un instant, sans oublier le stalking (forme de harcèlement oppressif), l’espionnage de la vie privée d’autrui et d’autres comportements destructeurs tant pour la personne concernée que pour son entourage.

Peut-être sous la pression des normes et de traumatismes, la Menhera devient l’antithèse de l’image fantasmée de la femme japonaise soumise, douce et docile. De victime d’un rapport de force oppressif, celle-ci devient bourreau et exprime une forme de vengeance radicale envers la société dans des comportements destructeurs. Cependant, en société comme au travail et devant la famille, la Menhera gardera une visage irréprochable. Sa toxicité ne doit pas transparaître publiquement. Au contraire, le masque porté en public restera « kawaii » (mignon) afin d’inspirer la douceur et la fragilité.

Le « Menhera » en tant que courant artistique exprime aussi très clairement les troubles du comportement liés au spectre de la maladie mentale.

Contrairement à la Yandere qui aspire à tuer son partenaire par amour, la Menhera l’entraîne dans son monde torturé jusqu’à la dépression. Le ou la malheureuse tombant dans son escarcelle se retrouve peu à peu vidé moralement et épuisé physiquement. Il est forcément difficile de sortir sans séquelle d’une telle relation.

Au commencement, le terme désignait un sous-courant de la culture kawaii. Né dans les années 2000, le terme apparaît pour la première fois avec la publication du manga « Menhera-chan » de Bisuko Ezaki. L’héroïne de cette œuvre porte des marques de bandages et des symboles de souffrance mentale, contrastant avec son image mignonne et attachante. C’est probablement cette apparente dualité, ce contraste inattendu qui suscita à l’époque des discussions sur la représentation de la santé mentale dans la société japonaise.

La magie des réseaux sociaux combinée à l’engouement des fans firent leur œuvre. Très rapidement, le phénomène gagna en popularité grâce à la diffusion d’images et d’illustrations Menhera venant de fans et d’artistes indépendants. L’esthétique fut rapidement adoptée par une partie de la jeunesse japonaise féminine : le courant Menhera était né, en parallèle de la maladie. Et cette naissance, étant l’expression d’un symptôme sociétal, n’a pas eu que des effets négatifs.

Loin de n’être qu’une énième mode vestimentaire, le mouvement eut pour effet positif de mettre les questions de santé mentale sur le devant de la scène. Tour de force s’il en est, dans un pays comme le Japon où le sujet de la santé mentale est extrêmement tabou, au point qu’une partie non négligeable de la population préfère passer sous silence ses souffrances intérieures, avec pour conséquences l’isolement social, le suicide ou la dépression.

Des communautés en ligne se sont alors créées autour de la question et ont joué un rôle essentiel dans la création d’un espace de soutien et de compréhension mutuelle. Pas mal de personnes en détresse peuvent, à travers ce mouvement, trouver d’autres personnes traversant les mêmes difficultés qu’eux. Paradoxalement, le mouvement Menhera a permis à des « victimes » de sentir moins seul dans la détresse, dans un pays où tout se vit dans l’intimité.
 Mais pour chaque chose en ce monde, il n’y a pas de lumière sans sa part d’obscurité…

Une mode ou une maladie mentale ?

Il est important de mentionner que les Menhera jouissent d’une image populaire assez négative. Et pas qu’un peu… Parfois plus ou moins justifiée. Comme tout phénomène de mode, le Menhera n’a pas échappé à la critique. L’un des arguments phares des détracteurs du mouvement est que l’esthétique Menhera pourrait être une forme de glorification de la souffrance mentale, voire une banalisation de troubles potentiellement invalidants dans la société japonaise classique. Il est vrai qu’il serait tentant d’y voir une forme de romantisation des questions de santé mentale pourtant graves. Mais comme tout ce qui touche à cette spécialité médicale, une aura obscure d’incompréhension et de préjugés vient littéralement décrédibiliser les personnes atteintes. Classique des handicaps invisibles…

L’une des préoccupations principales des sceptiques du mouvement serait l’impact possible que pourrait avoir une telle mode sur les personnes vulnérables, ou celles en recherche d’attention ou en plein questionnement. Celles-ci pourraient en effet se trouver happées et ne pas aller chercher de l’aide au bon endroit, s’enfonçant de facto plus profondément dans leur propre détresse, allant jusqu’à glorifier celle-ci et explorer des formes plus extrêmes d’autodestruction. Il n’est ainsi pas rare de faire un lien entre Menhera et la banalisation de la prostitution, parfois très jeune au Japon. Vendre son corps à de riches Japonais contre quelques vêtements de marque semble faire inévitablement partie de ce processus d’auto-destruction et de dissociation du corps et de l’esprit.

Femme idéale le jour, hôtesse de kyabakura la nuit.

Le lecteur avisé de notre site le sait déjà : la santé mentale au Japon est un sujet préoccupant qui nécessite une attention toute particulière. Beaucoup de facteurs peuvent expliquer certains comportements préoccupants dans un pays où le travail occupe une place proéminente et où nul ne peut sortir du moule sous peine d’exclusion, puis de mort sociale. Diverses études mettent en lumière qu’environ 20% de la population du pays sera confrontée à des problèmes de santé mentale au cours de sa vie. Données à mettre en relation avec le nombre alarmant de suicides, l’un des taux les plus élevés parmi les pays industrialisés (à l’instar de la France d’ailleurs).

Par ailleurs, 40% des travailleurs japonais se sentent constamment stressés. Sans oublier la part de jeunes désabusés ayant peur de s’insérer dans cette machine à broyer les âmes. Au Japon, l’accent est mis sur la conformité et l’harmonie, au détriment de l’individualité. Il est alors aisé de comprendre le chiffre alarmant d’une enquête menée par le ministère japonais de la santé : près de 60% des personnes atteintes de troubles mentaux au Japon ne cherchent pas de traitement. Ces personnes vivent avec la maladie et évoluent avec celle-ci. Est-il alors étonnant de voir la maladie mentale devenir une mode à part entière dans un tel contexte ?

La réponse gouvernementale, bien qu’en bonne voie, reste insuffisante dans une culture sclérosée par le poids de ses propres mœurs. La place donnée par la société nippone aux femmes n’est toujours pas un facteur d’épanouissement. Infantilisées dans le monde professionnel, dévalorisées et sous-payées, mais aussi hypersexualisées à un très jeune âge, puis rejetée et jugée « périmée » après 30 ans, devant idéalement devenir la mère au foyer idéale, entièrement dévouée à sa famille quitte à s’oublier, la vie d’une femme japonaise n’est pas de tout repos. Le « sois belle et tais-toi » érigé au rang de mode de vie. Ce contexte écrasant n’aurait-il pas un impact encore plus fort sur la santé mentale des femmes ? Est-ce que leurs difficultés relationnelles en tant que Menhera ne pourraient pas s’expliquer par ce fardeau imposé par cette société ultra-patriarcale et hiérarchisée ? Le question reste ouverte.

Repérer les caractéristiques d’une Menhera

Il faut souligner que la Menhera peut très bien ne pas être reconnaissable par son style vestimentaire, mais bel et bien par ses attributs psychologiques et comportements dans la sphère privée. Le thème de la santé mentale est vaste, et nous ne prétendons pas ici nous soustraire à l’œil médical, bien plus au fait que nous sur ces sujets ô combien complexes. Mais de par les témoignages ainsi que nos expériences propres, voici quelques éléments qui, nous l’espérons, permettront à nos lecteurs de les reconnaître afin d’aider les personnes concernées. Voir aussi de vous préserver, car bien souvent la victime peut parfois devenir bourreau.

Nous tenons aussi à rappeler à nos lecteurs que les cas de violences conjugales peuvent toucher tous les genres. Un homme peut lui aussi se retrouver victime d’une relation toxique. Pour comprendre le phénomène, il est important de sortir des schémas éculés; car peu importe le genre, il n’y a aucune honte à être victime et à demander de l’aide. Sans généraliser, au début, une relation avec une personne Menhera commencera normalement, avec une certaine intensité et un amour partagé et profond. Les premiers signaux d’alerte deviendront alors peu à peu visibles. Il est important de les repérer afin de savoir fuir avant que la situation n’échappe à tout contrôle.

Très rapidement, le conjoint se fera isoler de votre entourage, amical ou familial. La Menhera fera tout pour prendre une place centrale dans votre vie dans un premier temps. Voyages, visites inattendues à votre domiciles, cadeaux, son arme est d’abord la manipulation émotionnelle. Après quelques semaines, un chantage affectif viendra s’immiscer dans le couple. La victime se retrouve alors prise au piège dans ce qui constitue la première étape de l’aliénation dans une relation amoureuse. La Menhera va alors jouer le chaud et le froid en permanence. Dans la même journée, elle peut être extrêmement prévenante et gentille, pour soudainement exploser sans raison valable et blâmer son conjoint.

Subrepticement, la jalousie entre dans la danse, accompagnée d’un contrôle excessif exercé par la Menhera. Vie privée, sortie sans-elle, loisirs… Tout passera à la moulinette du jugement de celle qui aspire à représenter le centre de votre vie. Pourtant, de son côté, elle s’absentera soudainement et ne donnera plus de signe de vie aussi longtemps que nécessaire pour mettre le conjoint en situation de manque.
Dernier signe que la relation est en train d’échapper à tout contrôle est la dernière étape : la violence verbale qui précède généralement une violence physique.

Une fois le sentiment amoureux bien installé, la Menhera va commencer à vous rabaisser de manière quotidienne en critiquant vos goûts, vos choix vestimentaires, vos opinions. Le plus intolérable reste la violence physique. Lors de crises bipolaires, la Menhera peut parfois perdre le contrôle et se mettre à tout détruire dans le logement. Dans les pires cas, elle s’automutilera devant vos yeux impuissants tout en vous accusant d’être responsable de son acte. La personne Menhera n’hésitera pas à vous imputer la responsabilité de son comportement extrême et toxique. Ce sera de votre faute à vous, mais pas la sienne.

Ce qui nous conduit à un point commun à la majorité des Menhera : l’instabilité émotionnelle avec des crises répétées et déclenchées par des évènements mineurs. Elles seraient constamment plongées dans des états de tristesse ou de colère, rendant difficile le maintien de relations stables. De nombreux témoignages de Menhera elles-mêmes, ou de leurs victimes font état de ce type de comportement. Un ascenseur émotionnel quotidien pouvant évoquer une myriade de troubles, allant de la dépression à la bipolarité, en passant par des troubles plus lourds.

Une autre image négative associée à ces individus est la dépendance affective. Les Menhera auraient constamment besoin d’attention, de validation et de soutien émotionnel de la part de leur partenaire, mais aussi, en secret, d’autres partenaires éventuels, expliquant ces mystérieuses disparitions prolongées. Ce qui peut être perçu comme particulièrement étouffant ou épuisant. L’aspect possessif est également souligné, mais est à sens unique ! Vous lui devez allégeance, loyauté, et devez consacrer votre vie entière à elle, mais la réciproque n’est pas forcément de la partie. Il n’est pas rare que celle-ci entre subitement dans une crise destructrice si elle se sent trahie ou insuffisamment comprise. Tout peut y passer : de la vaisselle au téléviseur, en passant par vos effets personnels. Et dans les minutes qui suivent, debout sur un champ de ruines, vous vous retrouvez face à un visage angélique vous disant qu’elle vous aime et qu’elle est désolée.

Les témoignages dont nous disposons évoquent en toute fin des ruptures particulièrement difficiles. Après vous avoir littéralement lessivé, vidé de votre essence vitale, la Menhera, réalisant venir la fin de la relation, peut très bien décider alors de vous trahir ou de chercher à vous nuire par divers moyens pervers… Sans oublier bien sûr de vous en faire porter la responsabilité.

Enfin, les Menhera sont aussi associées à des comportements autodestructeurs. Principalement l’automutilation ou la consommation excessive de substances psychotropes (drogues, médicaments, alcool). Ces deux derniers points sont particulièrement alimentés par l’Art en relation avec ce courant et son imagerie mignonne/macabre (à différencier du style gothique). Si certaines en souffrent vraiment, d’autres n’ont que l’esthétisme de la Menhera. Il est important de nuancer et de ne juger personne sur un choix vestimentaire. D’autant plus que la Menhera peut être atteinte de pathologies diverses et de différents degrés qui ne deviennent détectables que dans le privé. Cependant, les traces visibles de mutilations sur le corps sont des signaux d’alerte importants.

Témoignages d’une victime de Menhera

Nous avons recueilli le témoignage de Damien, expatrié au Japon entre 2013 et 2016. Celui-ci fut marié à Natsumi, une Japonaise correspondant à la description d’une Menhera.
Voici son histoire :

« J’ai rencontré Natsumi* en 2012, pendant son échange étudiant en France. Au début, nous filions le parfait amour, tout semblait idyllique. La relation dans sa première année ne s’est pas passée sans anicroches ; il y avait bien eu des signaux d’alerte, mais l’amour rend aveugle dit-on. J’étais souvent victime de son comportement capricieux, il fallait que je sois tout à elle, rien qu’à elle, au point d’en perdre le contact avec mes amis. Parfois, elle me punissait pour une obscure raison en cessant de me parler pendant plusieurs jours. Et quand enfin elle se remettait à parler, c’était pour me reprocher de ne pas comprendre ce qu’elle voulait, ni la raison du problème. Difficile sans communication… 2013, et je décide l’impensable : franchir le pas et nous installer au Japon, où nous nous sommes mariés !

Une fois dans son pays, nulle échappatoire : j’étais sous son emprise totale. S’en est suivi 2 ans et demi d’une très longue descente aux enfers. Tout a commencé peu de temps après mon arrivée dans le pays. Un jour, sans aucune raison, Natsumi s’est mise à hurler et a commencé à me jeter divers objets de notre appartement au visage. Choqué par ce comportement inexpliqué, j’ai réussi néanmoins à la calmer. Le stress de la vie nippone, pensais-je alors naïvement.

Petit à petit, les vexations se sont multipliées. De par leur fréquence, mais aussi leur intensité. La montée en violence ne semblait connaître aucune limite. Il m’est déjà arrivé de rentrer du travail tout en étant accueilli par un bon repas, et l’instant d’après me retrouver debout au milieu d’un amas de vaisselle brisée. La situation était d’autant plus compliquée à gérer qu’elle me tenait sous son joug en me menaçant d’appeler la police après s’être auto-mutilée devant mes yeux. Chose qui se retournera de manière systématique contre le Gaijin, l’étranger, forcément toujours fautif dans ce genre de situation. N’espérez pas non plus demander de l’aide. Au Japon, un homme ne peut pas être victime de violence physique ou morale. Et le cas inverse peut aussi se solder par une fin de non-recevoir. Il n’est pas rare d’entendre des témoignages de femmes ayant tenté de porter plainte contre un conjoint trop violent, se retrouver dans une pièce à faire une réconciliation avec comme médiateur un agent de police, qui déclarera dans son rapport que cela n’était rien d’autre qu’une banale dispute de couple… »

Tout ce que je faisais ou disais était, de l’avis de Natsumi, forcément ridicule. Mon emploi était forcément dégradant. Mes goûts, mes envies, tout n’était rien à côté de sa personne, hautaine et agressive. Habile manipulatrice, elle réussissait pourtant à nous faire passer pour un couple exemplaire en public. Moi, j’étais entièrement isolé socialement, condamné à subir.

Puis la violence morale a augmenté pallier par pallier. J’ai eu droit à diverses reprises à des injonctions à me suicider. Selon elle, si j’étais tout le temps déprimé (des conséquences de son comportement), alors pourquoi continuer à vivre pour lui gâcher la vie ? J’ai été victime de deux pulsions suicidaires avec un quasi passage à l’acte, entre 2014 et 2015. En 2015, Natsumi se fit embaucher dans une entreprise renommée dans l’import-export. C’est à cet instant que l’ultime limite fut franchie. Devant accomplir une formation d’un mois et demi dans une autre ville, je n’eus pas le moindre contact avec elle. Elle m’avait purement et simplement bloqué sur toutes les plateformes de communication ! Et son retour n’a rien arrangé. Le jour des retrouvailles fut glaçant : pas un seul mot, rien. Nous étions pourtant mariés et j’ai toujours été aux petits soins avec elle.

Illustration par Mr Japanization avec Midjourney

Mais l’horreur allait encore monter d’un cran… Alors que je dormais, je fus réveillé soudainement par des hurlements et une sensation de pression contre ma gorge. Natsumi était sur moi et tenait un couteau sous ma gorge ! Elle hurlait qu’elle allait m’égorger ! Tentant de la calmer comme je le pouvais, je finis tant bien que mal à lui faire poser le couteau. C’est ce jour où j’ai connu ma première période à dormir dans un parc sur un banc. Je n’avais nulle part où aller, ma famille étant en France, ma maison occupée par une personne qui avait essayé de m’égorger pendant mon sommeil. À l’époque, j’étais terrifié à l’idée d’en parler à mes amis… Être un homme victime de violences conjugales était pour moi une honte insurmontable. Mais la peine était encore plus difficile à gérer : répondre à la violence par la violence m’aurait conduit directement en prison, ou à un drame plus terrible encore. Je restai donc passif et silencieux.

Épuisé et résigné, je dus finalement me résigner à rentrer chez moi, avec Natsumi. J’alertai ses parents sur la situation, décidé à au moins lui venir en aide. Je ne pouvais pas me résigner à l’abandonner à ses soucis psychiatriques. Sans surprise, les parents tentèrent uniquement de nous faire recoller les morceaux, mais à aucun moment ne voulaient entendre parler d’un suivi psychiatrique. Le sujet est encore bien trop tabou au Japon. Après une courte période d’accalmie, j’eus droit à un ultime coup d’éclat. Natsumi détruisit toutes nos affaires dans l’appartement dans un accès de rage. Devant ce spectacle, je m’effondrai au sol, m’évanouissant de stress et d’épuisement. À mon réveil, je la vis devant moi, les genoux en sang, me fixant avec un grand sourire, me disant « je t’aime »… Cette vision fut particulièrement effrayante. Mon état de détresse psychologique à cet instant était difficilement descriptible… Je m’effondrait en larmes. Ma réaction provoqua un nouvel accès de colère instantané chez Natsumi, qui partit aux toilettes après avoir arraché mon alliance de mon doigt. Deux sons métalliques résonnèrent, suivis du bruit de la chasse d’eau…

C’est ainsi que je fis ma valise et partis purement et simplement de mon propre domicile, laissant tout derrière moi. De toute façon, elle nous avait endettés avec son train de vie hors norme, l’entièreté de mon salaire partant dans le remboursement de ses dépenses compulsives. Perdu pour perdu… Ce fut le début de plusieurs jours d’errance dans la rue. Mais je ne regrette pas le jour où j’ai tout abandonné. La vie et la santé mentale n’ont pas de prix. « 

Notre second témoignage est celui de Philippe, expatrié au Japon depuis plus de 15 ans :

« La rencontre avec mon ex-fiancée fut idyllique ! Dans un petit musée, au calme, des papillons dans le ventre. Le début de la relation fut particulièrement rapide et fusionnelle. Lisa donnait tout, son temps, sa présence, son amour. Nous avons passé trois mois sans aucun problème, un peu isolés du monde. Très vite, elle était venue habiter à la maison. Sans le réaliser, je m’étais éloigné de mes amis et de ma famille. Un jour, Lisa me demande d’annuler un cours de Français que je donnais pour me voir en urgence. Elle me donne rendez-vous dans un café. Je suis un peu inquiet. Elle aura 2 heures de retard. Une fois sur place, elle me demande de sortir du café car elle n’est plus certaine de vouloir me parler. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Une fois devant elle, elle me prend dans ses bras et me demande de la suivre. Après un petit voyage en train, nous prenons un verre ensemble. Elle me dit vouloir fumer, alors qu’elle ne fume pas. Je lui dis très gentiment que ce n’est peut-être pas une bonne idée pour sa santé… Lisa – habituellement sage et calme – se met alors à hurler sur moi et m’insulte copieusement comme personne ne l’avait fait de ma vie. Je suis littéralement tétanisé. Abasourdi, je rentre chez moi patraque pensant à une rupture aussi soudaine que définitive.

Une semaine plus tard, Lisa frappe à ma porte un soir vers minuit. Elle est toute souriante et agit comme si tout était normal. J’étais tellement soulagé de la retrouver. Les mois qui suivirent allaient être parsemés d’épisodes similaires. Soudainement, Lisa explosait, sans raison explicable. Je ne tenait pas le parapluie assez droit ? Explosion et insultes, avant de me prendre dans ses bras plein d’amour… Un jour, j’ai osé donner mon opinion sur un sujet politique sur lequel elle n’était pas d’accord. Elle m’a alors rétorqué droit dans les yeux, avec un grand sourire que si je mourrais demain, elle n’aurait aucune tristesse. Lisa ne faisait pas dans l’humour ni dans le sarcasme.

Illustration par Mr Japanization avec Midjourney

Peu à peu, Lisa instaurait un climat de violence psychologique permanent, soufflant le chaud et le froid, l’amour et le rejet, chaque jour. Elle critiquait mes amis et m’encourageait à m’en éloigner. Elle critiquait mon travail et m’encourageait à le changer, même si je gagnais bien mieux ma vie qu’elle. Elle trouvait que je parlais trop souvent à ma famille au téléphone (une fois par semaine maximum) et me disait que ça renvoyait une mauvaise image. Au début, je contestais, mais elle explosait à la moindre résistance. De plus en plus, elle disparaissait de la maison pendant des jours sans donner de nouvelle, prétextant de « ne pas avoir de place dans sa tête pour moi en ce moment ». Je déprimais pendant ces passages à vide ou elle ne donnait aucune nouvelle. Puis elle revenait un soir sans prévenir avec un grand sourire. Un jour, lors d’une absence prolongée, j’ai osé lui téléphoner un soir à 23h ! Elle a répondu sur un ton froid : « Huh, Oui ? C’est pour quoi ? » J’étais inquiet, je prenais juste de ses nouvelles 5 minutes. « Je n’ai pas le temps. Je m’occupe de moi en ce moment » a-t-elle répondu avant de me raccrocher au nez. J’ai naturellement envisagé l’idée qu’elle me trompait comme c’est souvent le cas au Japon mais sa mère a toujours nié cette possibilité. En dehors de la maison, elle était l’enfant modèle, gentille, parfaite, fidèle. Mais une fois à la maison, elle pouvait se transformer en démon à tout instant, comme cette fois où j’ai cuisiné des crêpes et que celle dans son assiette n’était pas assez ronde et belle à son goût : crise de colère jusqu’à 2 heures du matin ! Il était courant, le soir, qu’elle entre dans un monologue existentiel pendant des heures interminables, parfois jusqu’au petit matin. Lors de ces monologues, elle seule était autorisée à parler. Je devais me contenter d’acquiescer de la tête. Si j’osais donner mon avis sur ses sentiments, elle s’énervait encore plus. Si je tombais de sommeil, elle me reprochait de ne pas l’écouter vraiment. Si je demandais à dormir, elle m’en voulait encore plus. Rien de ce que je faisais était bon à ses yeux. Pourtant, je travaillais énormément pour notre ménage chaque jour, je lui donnais de mon temps, et elle avait tout ce qu’elle pouvait désirer.

Un jour, après une dispute, Lisa a exigé que je lui achète un cadeau d’une valeur de 500 euros pour me faire pardonner d’une chose que je n’avais pas faite. Pour la première fois, je refusais ce chantage. Elle explosa de colère et quitta la maison. Je n’en pouvais plus. J’ai mis toutes ses affaires dans des sacs et à son retour, elle s’effondra en excuses. Bête et amoureux comme j’étais alors, j’acceptais… L’enfer continua quelques semaines et je m’enfonçais dans la dépression. Lisa était excessivement jalouse, mais voyais ses « amis » (hommes) régulièrement. Vers la fin, je la soupçonnais de vendre son temps, si pas son corps, à des « papas » pour gagner de l’argent, ce qui sera confirmé un soir où je la confrontais sur ce sujet. Elle avoua en larmes ses aventures secrètes contre de l’argent, sa double vie déstructurée dans le monde du sexe. Pourtant, elle travaillait pour une grande entreprise japonaise et semblait, en apparence, totalement normale, calme et timide. Impossible d’imaginer ça en la voyant ! Alors que j’allais rompre, elle m’annonça soudainement qu’elle était enceinte de moi. J’étais surpris et avait forcément des doutes sur l’origine de l’enfant, mais je décidais de prendre mes responsabilités. Je prenais congé systématiquement et allais avec elle dans tous les hôpitaux pour le suivi, ma main dans la sienne pour la soutenir en dépit de la situation. Vers 10 semaines de grossesse, Lisa disparu de la maison sans laisser un mot, sans répondre à mes messages. Une semaine d’angoisse plus tard, elle m’envoya un message pour me demander de me rendre dans un hôtel lugubre de Tokyo. Sur place, elle me dit froidement, sans l’ombre d’un sentiment : « J’ai tué le bébé ».

Illustration par Mr Japanization avec Midjourney

Épuisé moralement, choqué, je décidai de la quitter définitivement. Sa rage fut totale. Elle rentra chez sa mère et envoya la police à notre domicile le soir même. Elle avait inventé une histoire abracadabrantesque dans le but manifeste de me nuire et surtout de me forcer à quitter le Japon. En l’espace d’un mois, alors que je n’avais plus aucun contact avec elle, elle envoya la police à mon domicile trois fois en pleine nuit, probablement lors d’une de ses crises, pendant que je dormais, avec chaque fois une nouvelle histoire hallucinante inventée de toutes pièces. Elle pris également soins de contacter des amis et des proches pour leur dire que je devais quitter immédiatement le Japon sous peine d’avoir des ennuis. Je devais démontrer à chaque visite de la police que son témoignage était faux, infondé, basé sur absolument rien de concret et qu’elle voulait simplement se venger de mon choix de rompre avec elle. J’ai mis plus d’un an à me remettre de cette histoire. J’apprendrai plus tard que Lisa avait été mariée et que son ex-mari fut hospitalisé pour dépression. Avant lui, son dernier petit ami s’était suicidé ! Je pense que je n’étais pas très loin de le faire à mon tour à un certain point de notre relation… Heureusement, j’ai tenu bon jusqu’à la fin.

Ce n’est que des années plus tard que j’ai découvert le terme Menhera dans les médias. Son profil toxique correspondait totalement à ce trouble du comportement. Du début à la fin de notre relation, j’ai été bienveillant, poli, dévoué et respectueux avec elle. Aujourd’hui encore, je me méfie fortement de mes relations avec les Japonaises en général. Il faut des mois, des années, pour voir leur vrai visage. Sans faire de généralités, je sais désormais qu’au Japon, un masque en cache souvent d’autres… « 

Savoir se préserver… Mais aussi intervenir quand cela est possible !

Les exemples et descriptions présentés dans cet article ne sont pas destinés à tirer des généralité, encore moins à porter un jugement sur les personnes atteintes de troubles mentaux, ou sur celles qui suivent une mode vestimentaire ou un style de vie particulier. De plus, bien que le terme « Menhera » soit principalement utilisé pour décrire des individus de sexe féminin, il est important de souligner à nouveau que la violence conjugale peut toucher des personnes de tous les sexes, tant les victimes que les agresseurs.

L’agresseur, surtout dans le cas des personnes Menhera, est souvent lui-même une victime. Victime des tabous basés sur des modèles dépassés qui n’ont plus leur place dans nos sociétés modernes et plus émancipées. Ils sont également victimes de la pression exercée par les normes sociales, ainsi que par les attentes qui leur sont imposées en fonction de leur rôle attribué au sein de la société. On laisse de côté leurs aspirations personnelles, les privant ainsi de profiter de leurs plus belles années de vie dans un monde où l’avenir semble de plus en plus incertain.

Bien que le terme « Menhera » soit spécifique au Japon, les statistiques mondiales concernant les problèmes de santé mentale sont de plus en plus alarmantes : l’anxiété progresse et le taux de suicides augmente. La question de la santé mentale occupe une place de plus en plus importante dans le débat public, ce qui est encourageant. Cependant, les efforts déployés ne sont pas encore suffisants, et cela ne concerne pas seulement le Japon, mais également les autres pays industrialisés. Les professionnels de la santé mentale se battent depuis de nombreuses années contre la fermeture progressive des centres médico-psychologiques (CMP) faute de financements suffisants. C’est un véritable désastre lorsque l’on sait que ces centres offrent un suivi et une écoute gratuits aux personnes vulnérables, souffrant de troubles mentaux ou de maladies mentales. C’est une hypocrisie flagrante de la part de nos gouvernements qui tentent de nous faire croire qu’ils s’attaquent véritablement à l’anxiété généralisée en déployant des manœuvres politiciennes sournoises.

La situation est d’autant plus grave que ce type de trouble est généralement invisible. Si vous avez une jambe manquante, les personnes en face de vous comprendront vos difficultés. Mais quand il s’agit de troubles mentaux, vous serez souvent traité d’affabulateur, de mythomane ou de personne exagérant les choses, voire même de danger public ! Difficile de soigner les personnes en souffrance dans ces conditions, ce qui ne fait qu’accentuer le problème.

Si vous êtes victime de violences conjugales ou si quelqu’un de votre entourage l’est, il est crucial d’essayer de lui apporter de l’aide sans vous exposer directement. Il est important d’éviter également de causer des dommages collatéraux. Que vous soyez en France ou au Japon, il existe des numéros d’aide aux victimes de violence conjugale que vous pouvez contacter pour demander de l’assistance. En France, vous pouvez appeler le 3919 (Violences Conjugales Info) ou contacter le site internet https://www.stop-violences-femmes.gouv.fr/. La plateforme Européenne d’aide aux victimes, joignable au 116 006, saura aussi vous venir en aide, que vous soyez un homme ou une femme.

Au Japon, vous pouvez contacter le « Domestic violence hotline » au 0120-279-889. D’autres associations existent. La police peut aussi être d’une grande aide, mais les résultats sont assez mitigés d’après nos témoignages. En cas de violences physiques, il ne faut pas hésiter à voir un médecin pour certifier de ces violences. N’hésitez pas à vous tourner vers votre famille et vos amis, car ils peuvent également se révéler utiles, même si vous pensez les avoir perdus en raison de l’isolement forcé dans lequel vous vous trouvez malgré vous.

Enfin, dans certains cas, il est possible d’aider une personne souffrant de troubles mentaux. Cela peut se faire par une tentative de prise de conscience ou par d’autres moyens. Cependant, il est primordial d’ÉVALUER le risque que vous encourez en vous engageant dans cette démarche. Parfois, il vaut mieux savoir prendre ses distances plutôt que de tenter l’impossible et de mettre votre propre sécurité en danger.

Illustration par Mr Japanization avec Midjourney

Gilles Chemin & Mr Japanization