Se faire harceler une fois est déjà largement de trop… Mais trois fois de suite, par trois inconnus différents, en l’espace d’un mois, et c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Aujourd’hui, la compagne de Poulpy vous partage son expérience récente à travers trois exemples de harcèlement bien trop courants pour être de simples faits divers. Des comportements qui reflètent une certaine mentalité chez une catégorie de jeunes hommes japonais et cette capacité à prendre les femmes pour des objets de désirs et des proies potentielles.

Il n’est pas facile de s’imaginer ce que doivent vivre les femmes dans la société japonaise. Beaucoup d’hommes aiment s’imaginer qu’elles ont désormais les mêmes droits, que l’égalité existe, que tout va bien dans le meilleur des mondes… Les faits contredisent ces croyances. Non seulement les femmes n’ont pas accès aux mêmes droits, tout particulièrement aux Japon, mais en plus elles ont beaucoup plus de risques de sombrer dans la précarité que leurs homologues masculins.

Ne parlons pas du plafond de verre qui permet aux japonais masculins de se coopter entre eux pour accéder aux postes de pouvoir…tout en dénigrant la capacité des femmes à occuper des travaux à responsabilité. Sans oublier les métiers où la femme est clairement perçue comme impropre et rejetée, comme dans le monde de la restauration.

Parlons enfin du harcèlement dont les femmes sont quasi exclusivement les victimes et qui ne se limite évidemment pas au Japon. Nous en avons un bel aperçu à chaque fois que nous publions une vidéo où on aperçoit une fraction de seconde Yuki-san, la compagne japonaise de Poulpy, en recevant des messages privés pour le moins étranges… L’inverse n’arrive jamais.

Il vaut mieux en rire…

Après les attouchements normalisés dans le métro à l’adolescence, l’âge adulte promet aussi son lot de surprises… Certes, comme vous allez le voir, ces cas ne relèvent pas de la criminalité, comme pourrait l’être un viol, mais bien d’une forme de harcèlement devenue beaucoup trop ordinaire pour être passé sous silence.

La gravité se trouve ici dans la banalité du mal et cette manière de prendre les femmes pour des cibles potentielles. Pour rentrer dans le vif du sujet avec un cas concret, voici trois évènements qui se sont produits en l’espace d’un mois, vécus par ma compagne japonaise de 28 ans que nous nommerons Yuki pour préserver son identité.

 

1. « Je t’observe en secret chaque jour »

Yuki travaille dans un petit bar à smoothies au centre de Tokyo. Les clients vont et viennent par centaines chaque jour. Il arrive que je la rejoigne à la fermeture, à la tombée de la nuit, pour lui faire une surprise. Ce soir là, un jeune homme se présente une minute après la fermeture. Tout indique que le bar est déjà fermé. Son comportement est bizarre. Il observe, hésite un instant et puis demande s’il peut être servit. Nous nous excusons et l’invitons à repasser un autre jour.

Dans les jours qui suivent, plusieurs employées du bar, toutes des jeunes femmes, observent une scène similaire : un jeune homme vient systématiquement à la fermeture autour du bar. Il tourne en rond, il observe de loin, il semble attendre quelque-chose… Parfois, il passe commande timidement mais les filles relèvent que son comportement est bizarre et instable. À d’autres moments, il attend dans un coin sombre sans ne rien faire. Le temps passe et ce manège commence à inquiéter tout le monde.

On réalise alors que l’homme cible Yuki en particulier. Il revient un soir sur deux observer si elle est là en attendant la fin du service pour essayer de l’accoster et probablement étudier son horaire. La chose est tellement répétitive et bizarre qu’elle tourne peu à peu en du harcèlement passif malsain. À la fin, le bar a été contraint d’appeler la police pour faire fuir cet inconnu. Peut-être celui-ci souffre-il d’une quelconque maladie mentale, mais la sécurité des travailleuses doit être garantie.

Cette première histoire se termine bien mais instaure un contexte inquiétant tant pour elle que pour ses proches qui s’inquiètent beaucoup. Pour cause, on ne sait jamais de quoi un inconnu visiblement instable peut-être capable, surtout avec un comportement relevant du stalking, une forme d’harcèlement qui n’a rien d’ordinaire…

 

2. « J’irai frapper à ta porte… »

Cute young female yoga instructor doing exercises for stretching legs while leaning bare foot to head while sitting on large white window sill

Ceci se produit quelques jours plus tard, chez nous ! Nous bénéficions d’un toit complètement plat, ce qui nous permet de profiter de la vue sur Tokyo et du soleil. Un jour, Yuki décide de faire une séance de Yoga sur le toit. À la fin de son entraînement, je quitte le domicile pour faire une course… Un peu après, Yuki me téléphone en panique. Un japonais d’une trentaine d’années frappe à la porte et demande à rentrer avec insistance.

L’homme porte un vêtement noir et une capuche. Heureusement, Yuki a le réflexe de ne pas ouvrir. À travers la porte, son discours n’est pas clair. Il essaye de la convaincre d’ouvrir la porte en créant une histoire sans queue ni tête. À savoir qu’au Japon, personne ne vient jamais sans prévenir, excepté la poste. Nous n’avons également pas de témoins de Jéhovah dans la région. L’homme restera planté devant la porte pendant 10 minutes sans bouger. Le temps de revenir en urgence, il avait disparu.

Après avoir discuté de cet évènement, nous en avons conclu qu’un homme avait probablement observé la séance de Yoga depuis la fenêtre d’un appartement se trouvant dans les environs. Il a du probablement s’exciter seul devant la scène et aura attendu mon départ pour se rendre à notre domicile dans l’espoir d’y entrer… S’il était effectivement rentré, on ne peut qu’imaginer le pire. Cet évènement nous fait toujours froid dans le dos un mois plus tard, d’autant que le personnage en question doit toujours être dans les parages !

Malheureusement, le cas d’un japonais entrant de force au domicile d’une femme est tristement classique au Japon. Pratiquement toutes nos amies japonaises ont vécu une expérience similaire au moins une fois dans leur vie. Dans les médias, des cas extrêmes défraient régulièrement la chronique. Notamment, celui d’une Idol agressée sexuellement par un fan qui a retrouvé son domicile en observant les reflets dans les yeux d’une photographie privée de manière à déterminer sa localisation. Mais c’est uniquement quand ces histoires de « stalkers » touchent une célébrité qu’elles font la une des journaux. Les « simples » viols, eux, ne sont jamais médiatisés. Une chose est certaine, les stalkers japonais peuvent aller très loin pour assouvir leurs fantasmes perturbés.

3. « Je te suivrai jusqu’à chez toi… »

La cerise sur le gâteau. Ceci se produit quelques semaines après ces évènements. Yuki revenait du travail et décide de faire un détour par la maison de ses parents. Dans les trains japonais locaux, les fenêtres sont ouvertes officiellement pour lutter contre le Covid (les courants d’air frais limitant la propagation des virus). Les alertes étant levées, tout comme l’obligation de porter le masque, Yuki décide de retirer un peu son masque pour mieux respirer. Il n’y a pratiquement personne et les distances sont respectées.

C’est là qu’elle réalise qu’un homme d’une quarantaine d’année l’observe lourdement… Pendant un temps, elle se force à ne pas y prêter attention. Peut-être celui-ci n’avait-il pas vu un visage féminin depuis longtemps ? Soudainement, l’homme se lève, s’approche et lui fait un commentaire sur son absence de masque. Yuki lui demande de la laisser tranquille. Mais l’homme s’assoie face à elle et l’observe de plus belle. De longues minutes passent et enfin elle arrive à sa station… Malheureusement pour elle, son calvaire ne fait que commencer.

L’inconnu sort également du train. Au début elle ne fait pas trop attention. Elle a 15 minutes de marche jusqu’à la maison de ses parents. Elle réalise que l’homme est toujours derrière elle. La peur monte jusqu’à se rendre à l’évidence : elle est suivie et ses intentions ne sont clairement pas bonnes. Elle accélère le pas sans succès. Elle ira finalement se réfugier chez ses parents le plus vite possible, l’homme restant planté devant la maison quelques instants avant de partir.

Il est difficile de croire que ces évènements se déroulent à Tokyo, en 2022, avec quelques semaines d’écart seulement. Et pourtant, c’est une réalité pour beaucoup de femmes japonaises. Heureusement, Yuki est incroyablement courageuse, forte et positive. Elle oublie rapidement ces évènements pour revenir à son quotidien tranquille. Mais combien en souffrent en silence ? Combien en gardent des traumatismes à vie ?

Entre frustrations et culture hypersexualisée

Beaucoup pointeront du doigt les problèmes de frustrations sexuelles importantes du Japon qui génèrent ce genre de comportements délirants rendant la vie des femmes concrètement infernale. En effet, les japonais ne bénéficient toujours d’aucune éducation sexuelle et on estime officiellement que plus de 40% des jeunes âgés de 18 à 35 ans n’ont jamais eu de rapport sexuel.

Paradoxe, la culture pop japonaise dont raffole la même tranche d’âge expose en permanence les jeunes adultes à une sexualité totalement débridée dans les médias. L’image de la femme est ouvertement sexualisée et beaucoup d’hommes japonais attendent d’elles qu’elles soient jeunes, mignonnes et sexuellement soumises à leurs désirs les plus fous. Le cocktail ne peut-être que pervers et exposer les femmes à des dangers bien réels.

Nous n’avons malheureusement pas de recette miracle aujourd’hui pour faire basculer la peur dans l’autre camp. Les femmes japonaises doivent vivre avec cette réalité – globalement ignorées par les autorités – en développant des parades pour limiter les risques. Mais la parole se libère quoi qu’il advienne, n’en déplaisent aux masculinistes les plus radicaux qui caricaturent volontiers le féminisme pour faire taire leurs revendications légitimes. Les inégalités sont réelles, des femmes en souffrent, d’autres sont harcelées, agressées, violées et parfois tuées dans un silence assourdissant. Ceci ne peut plus durer.

En bonus, notre reportage avec Kazuna Yamamoto