Au Japon, la catastrophe nucléaire semble déjà oubliée. Du moins, c’est ce que les industriels du secteur tentent de faire croire. Sept ans après la catastrophe du 11 mars 2011, la compagnie Tepco qui exploitait la centrale nucléaire de Fukushima, essaie de redorer son blason et de regagner la confiance perdue des citoyens japonais à coup de campagnes publicitaires. Objectif : retrouver sa compétitivité et relancer le business du nucléaire au Japon comme si de rien n’était…

Il faut dire que la compagnie a beaucoup à faire si elle veut retrouver un tant soit peu l’estime des Japonais. L’accident nucléaire de Fukushima a révélé au grand public les falsifications de rapports d’inspection de réacteurs nucléaires dont s’était rendue coupable Tepco. Plus de 200 incidents ayant eu lieu dans ses centrales avant la catastrophe – dont déjà plusieurs à Fukushima – entre la fin des années 80 et les années 90. Des évènements cachés aux Japonais. L’agence de sûreté nucléaire industrielle japonaise avait mis au jour ces fraudes déjà en 2002, éclairant aussi sur la facilité avec laquelle elles avaient été possibles : des anciens hauts fonctionnaires de ministères étant récupérés par le lobby du nucléaire pour étouffer toute fuite d’information compromettante et de remise en cause du nucléaire. Dans le même temps le lobby finançait, déjà à l’époque, d’importantes campagnes publicitaires pour vanter la sûreté des centrales. Et les révélations de l’agence de sûreté nucléaire n’ont été pas été suivies d’effets comme l’avenir l’a prouvé.

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Piscine pour les combustibles nucléaires usés.

On sait depuis le 11 mars 2011 ce que valait en réalité cette soi-disant sûreté à toute épreuve, dans un pays qui ne cesse d’être frappé par les catastrophes naturelles. La collusion entre le ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (qui gère la politique nucléaire), la Fédération des compagnies d’électricité, l’Agence de sûreté industrielle et nucléaire, les groupes industriels constructeurs des centrales et les opérateurs comme Tepco a éclaté au grand jour, annihilant la confiance que les Japonais pouvaient leur porter au sujet de la sûreté du nucléaire. De plus, au cœur de la crise, Tepco s’est illustré par ses minimisations du drame en cours, puis par le scandale des conditions de travail des « liquidateurs » risquant leur vie sur place pour retrouver le contrôle de la centrale (on peut même parler de sacrifice) et qui sont recrutés parmi les parias de la société nippone avec l’appui de la mafia.

Experts examinant le réacteur 4 de la centrale de Fukushima en vue de son démantèlement. Source : commons.wikimedia

Légitimement mis en cause, l’entreprise Tepco et le gouvernement doivent faire face à des vagues de procès pour négligence et se sont déjà vus condamnés par la Justice à rembourser des millions d’euros de dommages et intérêts aux victimes. D’autres procès sont encore en cours, notamment menés par des citoyens refusant de retourner vivre dans les zones contaminées comme le voudrait le gouvernement (voir notre récent article) et qui feront à terme grimper la facture des indemnisations en milliards. En outre, depuis le 11 mars 2011 les finances de Tepco sont calamiteuses : en plus de la baisse de sa cotation en bourse, l’entreprise doit dépenser des milliards en indemnisations, réparations des dégâts, stabilisation du site et démantèlement des réacteurs touchés.

Sans compter l’achat d’hydrocarbures pour ses centrales thermiques en compensation de l’absence d’énergie nucléaire. Pour sortir de cette situation, les actionnaires ont approuvé en toute hâte, le 27 juin 2012, la nationalisation de Tepco, dont les actions sont désormais détenues en majorité par le gouvernement qui avait déjà avancé 16 milliards d’euros à Tepco en prévision des indemnisations de particuliers et entreprises à venir. Une décision qui ne manquera pas de faire sourire, dans un pays ouvertement capitaliste, alors que TEPCO est déjà le fruit d’une privatisation ayant eu lieu le . Traduisez : privatiser les profits pour mieux collectiviser les pertes. Tant que tout allait bien, le secteur privé de l’énergie a engrangé des milliards de bénéfices sur le dos des citoyens japonais. Après la catastrophe, le coût colossal du désastre nucléaire s’est vu reporté sur le dos de la population entière.

https://www.youtube.com/watch?v=bwx0QxHLrWE

Le gouvernement japonais avait un temps envisagé de cesser toute activité nucléaire au Japon après la catastrophe, tous les réacteurs du pays avaient même été mis à l’arrêt. Après l’élection de Shinzo Abe fin 2012, le nouveau gouvernement en place est depuis revenu sur cette promesse, provoquant au passage la colère des associations anti-nucléaire. Jamais dans l’histoire moderne le Japon n’avait assisté à de si importantes manifestations. Les autorités se justifient en arguant la diminution des émissions de gaz à effet de serre du pays qui avaient fortement augmentées avec l’importation de combustibles fossiles en remplacement de l’énergie nucléaire, importation coûteuse elle aussi remise en cause. Jamais le modèle productiviste ou la société de consommation à outrance ne sont au centre du débat. Désormais, le gouvernement souhaite qu’à l’horizon 2030 la part du nucléaire représente 20% de l’électricité produite (contre 30% auparavant) tout en augmentant la part des énergies renouvelables de 15% à 22-24%, le reste étant fourni par l’exploitation du gaz, charbon et pétrole…

Tepco, ce petit lapin électrique tout mignon…

Pour retrouver la confiance perdue des Japonais envers Tepco, dissiper leur méfiance quant aux informations données par le gouvernement sur la dangerosité de la zone de Fukushima et leur faire accepter cette nouvelle politique énergétique, Tepco a donc engagé sa première campagne de communication depuis la catastrophe. Une sortie de l’ombre remarquée. La compagnie a ainsi lancé une publicité télévisée mettant en avant ses nouveaux services en insistant lourdement sur la sécurité. Dans le même temps, une nouvelle mascotte mignonne a été choisie et déclinée en produits dérivés (gants de cuisine, sacs, serviettes). Pour rendre compte de l’avancement des travaux de mise hors-service de la centrale, Tepco n’a pas hésité à investir une somme importante dans la création d’un site internet, Inside Fukushima Daiichi (accessible en japonais et en anglais), qui permet aux internautes d’effectuer une visite virtuelle interactive de la centrale de Fukushima à travers dix itinéraires soutenus par des explications textuelles et vocales. Tout semble fait pour rendre la chose attractive et faire oublier l’horreur de la situation.

https://www.youtube.com/watch?v=6bpwltbm9kE

Aucune allusion à la catastrophe de Fukushima dans ce spot télévisé…

Il faut avouer qu’au Japon la place de les écrans jouent un rôle central dans la formation de l’imaginaire collectif. La publicité y est omniprésente avec des pages commerciales parfois toutes les cinq minutes en ce qui concerne la télévision. Et ça marche ! une des publicités de Tepco lancée cet été comptabilise plus de 3 millions de vues, et ce uniquement sur Youtube ! Tepco – désormais dans les mains des autorités – joue donc carte sur table avec les « armes » à sa disposition. Il est d’autant plus impératif pour cet ancien géant de l’énergie japonais de regagner la confiance des usagers que le marché de l’électricité et du gaz a été complètement libéralisé en 2016, mettant désormais Tepco en concurrence avec d’autres entreprises ce qui lui a fait perdre plus de 3 millions de clients. Le temps des économies d’énergie post-Fukushima est donc révolu, les Japonais sont de nouveau incités à consommer de l’énergie – issue principalement d’industries polluantes – pour redonner la forme à Tepco (qui doit financer les divers coûts liés à Fukushima évoqués plus haut) et aux autres compagnies d’électricité. Et ce au détriment une fois de plus de la planète. À croire que la leçon de Fukushima est belle et bien oubliée.

S. Barret


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Sources : lefigaro.fr / lemonde.fr (1) (2) / lesechos.fr / japantrends.com (1) (2)/ soranews24.com /