La culture moderne japonaise est souvent critiquée pour son excentricité et ses pratiques osées, mais il faut croire que leurs coutumes ancestrales le sont encore plus. Le « Nyotaimori » (女体盛り), ou, littéralement, « service sur un corps féminin », est une tradition remontant à l’époque des Samouraïs (période Edo) qui consiste à manger des sushis ou sashimis présentés sur le corps nu d’une femme immobile. Toujours populaire au pays du soleil levant, la notoriété du Nyotaimori s’accroît dans les pays occidentaux. S’exporte-t-elle à tort ?

Le principe du Nyotaimori est simple : une femme nue, immobile durant des heures, muette et recouverte de sushis que des invités dégustent. Cette pratique parait invraisemblable et il est facile de remettre en question sa véritable utilité. L’objectification de la femme y est manifeste et la pratique est généralement qualifiée de décadente ou humiliante par l’œil étranger si bien que des pays comme la Chine l’ont fait interdire. Pour le pays qui en est à l’origine, il s’agit d’une représentation artistique symbolique qui n’est pas liée à la sexualité.

Historiquement parlant, cette coutume appartenait à une sous-culture des geishas : après une victoire, les Samouraïs se regroupaient dans une maison de geishas et célébraient leur triomphe en se régalant sur les corps nus de femmes. Par ce contact direct, les sushis étaient censés s’imprégner d’énergie naturelle. Cette coutume était autrefois une activité, au même titre que la calligraphie, la cérémonie du thé ou encore les danses traditionnelles. Elle était l’exemple même du service poussé au plus haut degré de raffinement.

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Source : reciclartme

Contrairement à ce que suggère la nudité, attouchements et rapports sexuels sont exclus. Le modèle est même entièrement épilé car la pilosité pourrait suggérer, dans la culture japonaise, un caractère sexualisant. Cette pratique surprenante a traversé les âges et est aujourd’hui toujours populaire au Japon bien que discrète. Cependant, certaines problématiques entourant cette coutume divisent toujours.

Tout d’abord, beaucoup de questions autour du rôle accordé à la femme dans le Nyotaimori sont à soulever. Il est clair que les sous-cultures entourant le « foodporn » ont gagné en popularité ces dernières années. Et manger sur un corps nu s’inscrit dans ces nouveaux désirs de la société moderne. Cependant, s’il ne s’agissait que de cela, le Nyotaimori relèverait plus de l’érotisme et du fantasme personnel que de l’art. Si c’est peut-être l’attente d’un visiteur étranger en mal d’exotisme, ce n’est pas nécessairement le cas au Japon.

Le Nyotaimori est aujourd’hui avant tout une activité à but lucratif. Il n’est plus réellement question d’entretenir l’aspect traditionnel de la culture nippone pour beaucoup de restaurants qui proposent ce service, mais bien d’utiliser l’image de séduisantes femmes nues, muettes et immobiles pour attirer des clients potentiels. Cependant, la pratique conserve un nombre de normes rigides importantes qui gravitent autour du Nyotaimori et doivent être respectées avec rigueur. Si ces nombreuses règles sont censées protéger la femme de gestes déplacés, beaucoup d’autres les condamnent à n’être qu’un simple support. Effectivement, la femme servant de « table vivante » aux sushis n’est pas autorisée à bouger ni même frémir. Forte d’un long apprentissage, celle-ci doit rester immobile pendant des heures sans respirer trop fort, sans frissonner à cause de la fraîcheur de la pièce ou des sushis, ou sans remuer en dépit des coups de baguette accidentels. De même, les femmes ont strictement interdiction d’interagir avec la clientèle par des regards ou encore moins des paroles.

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Exemple d’occidentalisation de la pratique

Certes, il est clair qu’aujourd’hui pratiquer le Nyotaimori est un véritable métier à part entière qu’il est possible d’accepter ou de refuser. Vu la difficulté de l’épreuve, beaucoup considèrent toujours la prestation comme un véritable art impliquant contrôle de soi et l’art de la mise en scène. De même, si vous trouvez cette pratique trop sexiste, on vous répondra de vous rabattre sur le Nantaimori, une pratique similaire sur corps d’homme. Cependant, on remarquera que ce dernier, qui n’était déjà pas des plus populaires à son apogée comparé au Nyotaimori, ne l’est presque plus aujourd’hui.

Quant aux modèles, principales concernées, celles-ci refusent généralement le jugement radical du regard des observateurs qui veulent les juger. C’est notamment le cas de Jessica Perry, modèle pour « Naked Sushi », une chaine de restaurants canadiens créée par Mike Keenan. Celle-ci affirme adorer son travail et a avoué être « plus heureuse que jamais avec ce job » qu’elle exerce en toute liberté et connaissance de cause. Elle se sent « confiante, fière d’elle » affirme-t-elle. Mais l’occidentalisation de la pratique est-elle souhaitable ?

En gardant en tête que le Nyotaimori s’apparente aujourd’hui plus à un business qu’à une réelle coutume, il est légitime de se poser quelques questions concernant l’exportation du Nyotaimori en dehors du cadre japonais très codé. Car s’il est possible de se cacher derrière l’excuse de la tradition au Japon (dans les limites du raisonnable), cela reste beaucoup plus difficile en occident. Pourtant, le « Naked Sushi » et restaurants occidentaux s’étant accaparés de la tradition pour alimenter leur business, déclarent inviter à « découvrir la culture japonaise » à l’aide de photos de femmes nues qui ne sont pour la plupart pas japonaises, et qui posent dans des poses suggestives et aux regards aguicheurs. Traditionnellement, le modèle doit pourtant éviter tout regard et interaction avec le client. Une bien étrange manière d’exporter la culture nippone. De même, les prix y sont exorbitants (sans doute expliqué par la nécessité de payer les modèles) et évidemment, seules les femmes en font l’objet. Ainsi, il est intéressant de constater qu’il n’est plus question de transmettre un art raffiné de la culture nippone, mais plutôt de l’utiliser comme excuse pour alimenter une machine économique rentable.

https://www.youtube.com/watch?v=oYguxFVpXSM&t=75s

Comme il est possible de se l’imaginer, beaucoup de personnes ont apprécié l’expérience du Nyotaimori. Cependant, certains en sont ressortis réellement dégoutés. Dans son livre « A short Poetics of Cruel Food » paru en 2011, le Professeur Jeremy Strong de l’Université of West London a décrit le Nyotaimori comme décadent, humiliant, cruel et objectiviste. De même, une chroniqueuse du Guardian ayant vécu l’expérience en tant que cliente révèle qu’elle avait eu l’impression d’être dans une morgue, mangeant sur un cadavre inerte. Les avis restent donc très partagés et il apparait mal placé pour un occidental de porter un jugement extérieur sur une pratique datant de plusieurs siècles. De plus, en matière de patriarcat et d’assujettissement de la femme, l’archipel rencontre des problématiques bien plus interpellantes et actuelles, telles que la prostitution discrète de jeunes étudiantes où encore l’embrigadement forcé de femmes dans l’industrie pornographique.

Ainsi, on peut considérer que l’occidentalisation et la sexualisation du Nyotaimori n’a rien d’enviable. Dans l’archipel, c’est aux japonais de trancher sur la perpétuation de cette tradition artistique controversée et aussi contrastée que l’est lui même l’empire des sens.

   – S.Grouard


Sources : nakedsushi.cawww.theplaidzebra.com / wikipedia.org