C’est arrivé en 1923, comme toujours, quand personne ne pouvait s’y attendre. La terre allait engouffrer une partie du Japon et ses habitants. Le 1er septembre, un tremblement de terre d’une puissance infernale frappe la région du Kanto. Les villes de Yokohama, Tokyo, Kanagawa et Shizuoka, gravement touchées, dénombrent plus de 200 000 victimes. La catastrophe, on le conçoit aisément, va durablement s’imprimer les esprits tant de nombreuses vies et familles furent brisées. Et dans les années qui suivirent, les artistes en particulier vont matérialiser le douloureux souvenir du drame qu’ils ont vécu en produisant de nombreuses estampes marquantes. Poulpy vous en présente quelques-unes.

En représentant le tremblement du terre du Kanto, les artistes ont non seulement crée des œuvres d’art mais ils ont également réalisé une documentation de la catastrophe précieuse pour les historiens. Un témoignage visuel précieux pour comprendre l’ampleur du désastre. Le tremblement de terre a emporté dans les premières heures plus 200 000 victimes mortes principalement brûlées mais aussi écrasées sous un bâtiment. Il causa en même temps la destruction de plus de 500 000 bâtiments et 2 millions de personnes se retrouvèrent sans abris. On peine seulement à imaginer le choc d’un tel évènement pour la population japonaise de l’époque.

11 heures 58 minutes par Kôyo Shibata

11h58 fut l’heure à laquelle débuta le tremblement de terre, rapportent les documents d’époque. À ce moment de la journée, de nombreuses personnes cuisinaient chez elles pour le déjeuner, ce qui a permis à de multiples incendies de prendre soudainement dans toute la ville. Koyô Shibata a intelligemment su rendre l’effet du séisme en dessinant les fils électriques du tramway s’agitant sous l’effet de la secousse, pouvant parfois se briser et électrocuter des passants, pour la plupart habillés en kimono.

Source : ukiyo-e.org
Près d’Ueno par Unpo Takashima

A l’époque du séisme, beaucoup de bâtiments et d’habitations étaient construits en bois. Ces derniers ont alors pris feu très facilement, lequel était attisé par des vents puissants. On a pu voir les habitants fuirent les incendies, en essayant de soustraire quelques précieux biens aux flammes. Une panique générale, loin du calme légendaire des japonais, va prendre d’assaut la population. Ici l’artiste a su dépeindre cette panique par un trait incisif. Des habitants pensèrent avoir trouvé refuge dans de grands espaces de Tokyo mais ils s’y firent en fait piégés, le vent poussant la fumée et les flammes dans ces lieux. À l’endroit où plus de 38 000 personnes périrent fut bâti le musée mémorial du séisme du Kanto.

Brûlées ou noyés par Nyosen Hamada

Pour échapper aux flammes des Japonais eurent l’idée d’aller se jeter à l’eau. Mais outre le fait que nombre d’entre eux s’y noyèrent dans la mêlée, l’eau devint bouillante à cause de particules de feu répandues à sa surface. Une fois encore, on parle d’un feu gigantesque, alimenté par les bâtiments en bois, d’où rien ne peut s’échapper.

Aux alentours du pont Gofuku par Hakuhan Yawata

Mais les flammes n’étaient pas le seul danger mortel. Beaucoup de gens sont morts piétinés par d’autres ou par les chevaux qui tiraient les carrioles terrorisés par les flammes comme représenté ci-dessus. La peur se lit clairement dans l’expression de cet imposant cheval noir.

La dévastation du quartier Nakabashi Hirokoji par Kougai Noguch

Si la plupart des victimes ont succombé aux flammes, bien d’autres sont mortes sous les décombres de bâtiments qui se sont écroulés au-dessus d’eux. Certains, à l’image de cette estampe ont cependant eu la chance d’être secourus à temps. Malheureusement, le pire était à venir… Car après la terre, c’est souvent à la mer de déchaîner sa colère.

Tsunami à Suji par Shiun Kondo

Le séisme fit trembler la terre mais également les flots provoquant un tsunami ravageur. Aussi quelques minutes après la première secousse, des vagues hautes de 10 mètres ont violemment heurté les côtes du Japon. Elles tuèrent des milliers de personnes et ravagèrent des constructions en bord de mer. On retrouva des bateaux de pêche 100 mètres à l’intérieur des terres comme cette estampe le suggère.

Patrouille nocturne par Sengai Igawa (1876-1961)

Sans surprise le chaos régna après le passage du séisme. Les survivants organisèrent alors des patrouilles pour garantir un minimum d’ordre et de sécurité. Des rumeurs racistes se répandirent au sujet de Coréens qui entretenaient des feux pour commettre des crimes et des vols. En quelques jours pas moins de 6 000 Coréens, Chinois et habitants d’Okinawa furent assassinés sur la base de ces soupçons avant que l’instauration de la loi martiale ne mette fin à cette chasse à l’homme.

Les ruines de Ginza par Senrin Kirigaya

Dans un style qui se rapproche de l’Impressionnisme, l’artiste a figuré les restes du quartier commercial de Ginza. Un quartier pourtant moderne pour l’époque avec des bâtiments en brique et un éclairage de rue au gaz. Et comme bien d’autres, le séisme le réduisit à l’état de ruines.

La ville de Suda par Shunpan Katayam

Après la catastrophe, la reconstruction prit du temps, surtout à ses débuts. Ici l’artiste a figuré le retour des réfugiés chez eux tandis que d’autres personnages s’activent à transporter du matériel nécessaire pour rebâtir maisons, commerces et édifices détruits.

Source : ukiyo-e.org
Source : ukiyo-e.org

Quand on nous demande d’expliquer ce qui caractérise l’humilité des Japonais, en dehors de la défaite militaire d’après guerre et d’un régime pacifiste imposé, on ne peut s’empêcher de répondre, peut-être légèrement, que les tremblements de terre ne cessent de remettre l’existence même des japonais en perspective. À l’image du cerisier japonais lui même, dont l’espérance de vie est si courte autant que belle, les japonais doivent vivre avec l’idée que la mort peut frapper à tout instant. Personne n’en parle, mais tout le monde sait… Aujourd’hui, il est de réputation que Tokyo attend sagement le prochain « big one » !

S. Barret


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