Le suicide au Japon est un véritable problème de société. Le pays fait d’ailleurs partie de ceux qui ont le taux le plus élevé au monde en particulier chez les jeunes. Comme tous les sujets importants, la question du suicide est bien évidemment traitée dans de nombreux animés/mangas et films d’animation japonais. S’il est parfois évoqué brièvement, pour expliquer la personnalité ou le passé d’un personnage, le suicide est au cœur de nombreuses autres œuvres. Nous en avons sélectionné six, particulièrement intéressantes, qui méritent d’être vu pour comprendre la nature particulière du Japon.

Le suicide au Japon

Hara-kiri, kamikaze… le suicide, associé à la notion d’honneur, est présent dans l’histoire du Japon depuis très longtemps. Hara-kiri, ou seppuku, désigne un suicide rituel réalisé principalement par les samouraïs afin d’éviter le déshonneur après une défaite ou une trahison et Kamikaze désigne quant à lui les attaques-suicides réalisées par les avions japonais pendant la Seconde Guerre mondiale au nom de l’empereur.

Le rituel du Seppuku reconstitué lors d’une pièce de théâtre datant de l’ère Meiji (wikimedia commons)

Si le temps des samouraïs et de la guerre semble bien loin, le suicide est toujours très présent au Japon avec un des plus fort taux au monde. En 2022, on compte pas moins de 21.881 suicides commis au Japon. Ce chiffre avait tendance à baisser depuis les années 2010, mais il est reparti en hausse suite à la pandémie. Parmi les motifs de suicide chez les adultes, on retrouve principalement la dépression, la perte d’un emploi ou encore des difficultés générales de vie (sentimentales, isolement, faible communication,..). Chez les plus jeunes, c’est le harcèlement scolaire qui arrive en première position des causes de suicide. Toujours lié à la pandémie récente, on constate que depuis 2021 un nouveau motif de suicide revient particulièrement, celui des problèmes de santé.

On trouve toujours une certaine dimension « rituelle » dans le suicide au Japon, puisqu’il est parfois réalisé en groupe ou dans un lieu renommé, comme dans la forêt d’Aokigahara surnommée la forêt des suicides… mais il est le plus souvent exécuté de façon spectaculaire, par le biais des voies de chemin de fer à la vue de tous ou en sautant du toit d’un bâtiment comme ce fut le cas cette semaine à Shinjuku. Et ce choix n’est pas sans conséquence. Des frais emportants engendrés par ces suicides doivent être acquittés par la famille

Le suicide fait partie des thèmes très présents dans les animés/mangas et films d’animation japonais. On le retrouve par exemple évoqué dans Naruto, où le père de Kakashi se suicide après avoir commis une erreur lors d’une mission. Cette erreur lui a permis de sauver ses coéquipiers, mais il fut rejeté par les habitants de son village et même par ceux qu’il a sauvés… S’il est très souvent évoqué de manière secondaire, on le trouve également comme thème principal de nombreuses œuvres marquantes de la culture pop nippone. Voici une sélection des plus marquantes.

Orange

Orange オレンジ est un animé de 13 épisodes, sorti en 2016, et basé sur le manga du même nom. L’animé traite du suicide, en se focalisant surtout sur la façon dont les proches peuvent essayer de l’éviter. On y suit Naho, une lycéenne qui reçoit une lettre écrite par elle-même, 10 ans plus tard. Dans cette lettre, la « Naho du futur » lui explique tout ce qui va se produire, afin qu’elle ne commette pas les mêmes erreurs et qu’elle puisse empêcher le suicide de leur ami Kakeru…

Grâce aux conseils contenus dans ces lettres, Naho et son groupe d’amis vont être très présents pour Kakeru, qui est très affecté par le suicide de sa mère qu’il aurait pu éviter. Sans entrer dans les détails, ce qui est particulièrement intéressant et important dans Orange c’est que Kakeru ne se débarrasse jamais vraiment de son état dépressif. Souvent, on pense qu’une personne heureuse ne peut pas être dépressive, ce qui est faux ! Même en faisant en sorte que tout se passe parfaitement pour Kakeru, ses amis ne feront pas disparaître ce sentiment. En revanche, Kakeru peut désormais compter sur le soutien de ses amis, qui savent ce qu’il traverse, ce qui change beaucoup de choses…

Silent Voice

Acclamé par la critique, Silent Voice 聲の形 est un film d’animation réalisé par Naoko Yamada. Sorti en 2016, il s’agit d’une adaptation du manga créé par Yoshitoki Ôima en 2013/2014. Silent Voice nous raconte l’histoire d’Ishida et de Nishimiya. Alors qu’il est en primaire Ishida va harceler une de ses camarades, Nishimiya, atteinte de surdité. Il ne va pas être le seul à se moquer de la jeune fille, mais va aller beaucoup trop loin en s’amusant, entre autres, avec ses appareils auditifs extrêmement coûteux.

Nishimiya va alors changer d’école et Ishida, jugé seul responsable de ce qui s’est passé, va être exclu à son tour par ses camarades. Des années après, Ishida s’est totalement refermé sur lui-même et prévoit de se suicider, mais avant ça il veut revoir Nishimiya et a même appris la langue des signes pour lui parler… Silent Voice est un film qui traite avec intelligence, et subtilité, du harcèlement scolaire, de la rédemption et fait surtout partie de ces trop rares œuvres qui traitent de la surdité.

Given

Given ギヴン est un animé de 11 épisodes, sorti en 2019, et adapté d’un manga sorti en 2013. Il s’agit d’un Boy’s love, un type de manga/animé centré sur l’amour entre garçons. Given nous raconte l’histoire de Ritsuka Uenoyama, un lycéen très doué pour la guitare et membre d’un groupe de rock, mais qui a perdu toute motivation. Un jour, il croise dans les couloirs du lycée Mafuyu Satô, un garçon tenant une guitare serrée contre lui. Mafuyu va alors lui demander de l’aide pour apprendre à en jouer, car en réalité cette guitare n’est pas à lui, mais à son petit ami qui vient de se suicider

Lorsqu’une personne se suicide, elle laisse souvent derrière elle des gens qui l’aiment. C’est justement sur elles que se concentre Given. Non seulement la personne doit gérer la perte de l’être cher, mais aussi le sentiment de culpabilité qui l’accompagne, tout en apprenant aussi à vivre et à aimer à nouveau…

Colorful

Colorful カラフル est un film d’animation réalisé par Keiichi Hara en 2010 et adapté d’un roman d’Eto Mori. L’histoire suit l’âme de quelqu’un qui vient de mourir et qui se retrouve dans une sorte de gare. Un certain Pura-pura vient alors lui annoncer qu’il a été tiré au sort pour retourner sur terre, bien qu’il ait commis une faute grave dans son ancienne vie…

L’âme va alors se retrouver dans le corps d’un garçon appelé Makoto Kobayashi. Ce dernier, qui a fait une tentative de suicide, est sur le point de mourir à l’hôpital. L’âme prend donc sa place et va devoir apprendre à vivre dans une toute nouvelle famille, comprendre ce qui a bien pu le pousser à se suicider tout en cherchant ce que lui-même a bien pu faire comme « faute grave » de son vivant… Malgré quelques longueurs, Colorful traite de sujets assez difficiles comme le suicide, la prostitution chez les adolescents ou encore l’adultère, tout en donnant au spectateur un sentiment d’espoir.

Aoi Bungaku

Aoi Bungaku 青い文学シリーズ, ou Youth Litterature, est un animé de 12 épisodes qui raconte six histoires différentes, tirées de six classiques de la littérature japonaise. La partie qui va nous intéresser est celle consacrée à l’œuvre d’Osamu Dazai : la Déchéance d’un Homme. Cette partie de l’animé, réalisée par Morio Asaka, est racontée en 4 épisodes.

La Déchéance d’un Homme 人間失格 fait partie des romans japonais les plus réputés. Publié en 1948 par Osamu Dazai, ce roman est écrit à la première personne et semble être autobiographique, puisque l’auteur s’est suicidé peu de temps après l’avoir terminé. Les thèmes principaux du roman, tout comme ceux des 4 épisodes de l’animé, sont le suicide et l’aliénation sociale. On y suit Ôba Yôzô, un jeune homme issu d’une famille riche souhaitant devenir peintre, mais qui ne parvient pas à trouver sa place parmi les humains qu’il ne comprend absolument pas. Il se contente alors de se cacher derrière différentes personnalités pour survivre socialement. Un soir, il rencontre une femme mariée avec qui il va avoir une relation. Rongés par la honte, les deux décident alors de commettre un double suicide. Ils prennent des cachets avant de sauter dans l’eau, mais Ôba ne sautera finalement pas, laissant la femme se suicider seule…

La Déchéance d’un Homme est un chef-d’œuvre de la littérature japonaise et l’animé aborde parfaitement la face sombre et complexe du personnage d’Ôba. C’est aussi un excellent moyen pour ceux qui n’ont pas lu le roman de pouvoir découvrir cette histoire de manière plus légère.

Bienvenue dans la NHK

Bienvenue dans la NHK, NHKにようこそ!, est un animé de 24 épisodes diffusé en 2006. Il est adapté d’un manga (2004), lui-même tiré d’un roman (2002). Il ne s’agit pas forcément de l’animé qui traite le plus du thème du suicide, ni le plus abordable, mais il est intéressant car il aborde de graves sujets avec humour.

Dans Bienvenue dans la NHK on suit Satô Tatsuhiro, un hikikomori de 22 ans, c’est-à-dire quelqu’un qui ne travaille pas et ne sort plus de chez lui. Mais attention, si Satô est un hikikomori ce n’est pas de sa faute, mais à cause d’un complot organisé par la chaîne de télévision NHK, qui diffuse en permanence des animés afin de forcer les jeunes à vivre reclus devant la télé ! D’ailleurs le « H » de NHK (Nippon Hôsô Kyôkai) serait en fait pour Hikikomori.

Un jour, il rencontre une certaine Nakahara Misaki qui vient taper à sa porte car elle fait partie d’un groupe aidant les hikikomori. Elle va lui confier qu’elle l’a choisi pour son « grand projet » et qu’elle peut le sauver… Cet animé aborde de nombreux thèmes, comme le complot, la dépression et le suicide, avec un humour qui ne nuit pas à la gravité des sujets.

Nous avons choisi de vous présenter ces six œuvres, car elles traitent du suicide avec originalité, sérieux et qualité, mais il en existe de nombreuses autres : Myself, Yourself, Genshiken, Sayonara Zetsubo Sensei ou encore Wonder Egg Priority. Si le sujet vous intéresse vous aurez de quoi faire, en attendant ces œuvres vous permettront de vous familiariser avec ce sujet lourd mais hautement important dans un pays où nombre d’habitants souffrent en silence, sans pouvoir exprimer leur détresse.

Claire-Marie Grasteau