Saules aveugles, femme endormie : adaptation solaire de Murakami au cinéma

Animation – Il y a des paris qui ne sont jamais gagnés d’avance tant ils sont audacieux. Adapter plusieurs nouvelles d’Haruki Murakami en animation fait partie de ceux-là. En découvrant « Saules aveugles femme endormie », on se rend pourtant compte que ce paris audacieux est remporté avec maestria…

Saules aveugles, femme endormie est un nouveau film d’animation réalisé par Pierre Földes. Il s’agit de l’adaptation de 6 nouvelles de l’écrivain japonais Haruki Murakami (déjà adapté avec Drive my Car), dont certaines issues justement du recueil qui donne son titre au long-métrage.

On y suit les destins entrelacés d’un attaché de presse sans ambition, de sa femme frustrée et d’un comptable schizophrène qui tentent de sauver Tokyo d’un tremblement de terre. Ils sont aidés dans leur mission par des alliés aussi extraordinaires qu’un chat perdu ou une étrange grenouille géante et bien volubile appelée Frog.

Saules aveugles femme endormie : quand les horizons s’ouvrent

Ici, l’extraordinaire n’est pas synonyme de peur mais plutôt de fascination. Comme si les personnages, conscients de l’ordinaire de leur quotidien, rencontraient enfin des événements qui allaient les motiver à repousser les limites de leur réalité. Ainsi, quand Katagiri découvre une grenouille verte géante dans son appartement, il n’est même pas effrayé. Il reste certes bouche bée de longues secondes mais choisit consciemment de s’asseoir à sa table et laisse l’amphibien lui servir un thé. Le dialogue qui s’en suit mêle absurde et humour, le Japonais se voyant confié la mission de sauver Tokyo de la destruction.

Les protagonistes sont ainsi confrontés à leurs propres peurs de mal faire et en souffrent. « Je passe mon temps à imaginer la douleur. C’est pire que la douleur elle-même. » peut-on entendre au grès d’une conversation. Une phrase qui résume à elle seule le mal-être ressenti par les personnages qui avaient besoin que la porte vers un autre monde s’ouvre pour relancer leurs vies, même si elle menait vers une dimension difficile à cerner.

Entre réel et irréel

Saules aveugles, femme endormie est avant tout une expérience sensorielle et psychologique. Les personnages n’ont pas vraiment de quêtes affirmées si ce n’est celle de se comprendre eux-mêmes. Quant aux problèmes auxquels ils font face, il est presque plus important pour eux de les comprendre que d’y faire face. Leurs déambulations alternent entre ce monde tokyoïte bouleversé par le tremblement de terre et le royaume des songes qui laisse parler leur subconscient.

Le geste artistique est courageux et payant pour les spectateurs qui accepteront d’être bercés par une œuvre aussi poétique que mélancolique. Un film qui peut également se déguster comme un long tableau.

Peintur-luberlu !

Saules aveugles, femme endormie est en effet esthétiquement très réussi. Bien que créé entièrement en numérique, le réalisateur réussit à donner à son film une pâture qui lui donne l’aspect de l’animation traditionnelle. Nous voguons alors de tableau en tableau au grès des aventures de nos trois protagonistes principaux. Il n’y a d’yeux que pour eux et les autres humains présents à l’écran sont souvent représentés tels des fantômes sans visage. La beauté esthétique donne même des airs de contes de fée à certains passages du film qui nous plongent dans les tréfonds de rêves inavoués. L’animation des mouvements est fluide et on ne peut que saluer l’écrin sublime dans lequel évolue tout ce petit monde.

Cette compilation de nouvelles réussit l’exploit de ne pas en avoir l’air avec une unité entre elles qui ne lui évite de ressembler à un film à sketchs. Nous restons subjugués par ce que l’on voit et ce que l’on entend, et nous voyageons au travers des mots et des réflexions de Murakami sur la vie. « Tu commences à sentir que tu fais un vrai voyage ? Mais en fait, c’est seulement le début. ». Cette phrase peut résumer à elle-seule ce qu’est véritablement Saules aveugles, femme endormie. Une aventure singulière qui nous prend par la main pour nous emporter avec elle dans un monde étrange et mélancolique à l’agréable douceur.

Le film est à découvrir au cinéma en France depuis le 22 février.

Stéphane Hubert