Nous attendions Inu-Oh de pied ferme depuis la découverte des premières images explosives du nouveau long-métrage de Masaaki Yuasa. Alors est-il à la hauteur des espoirs que nous avions placés en lui ? Le film est sorti au cinéma en France depuis quelques jours et il est l’heure de mettre fin au suspense.

Inu-Oh est le dernier film du réalisateur Masaaki Yuasa après Ride your Wave sorti en 2019. Il est adapté du roman Le Roi Chien d’Hideo Furukawa paru en France aux Éditions Picquier.

On y suit le jeune Tomona, devenu aveugle étant petit après que son père ait découvert un étrange trésor au fond de la mer. Après des années de formation, il devient moine biwa et pense son avenir tout tracé, entre musique, recueillement et transmission historique. Sa rencontre avec Inu-Oh, un garçon étrange doté d’un long bras et le visage caché derrière un masque en forme de gourde, va chambouler le destin du duo, bien décidé à s’épanouir et renverser les conventions.

Il est d’ailleurs important de souligner que, pour une fois, la bande-annonce est parfaite, vous garantissant une découverte maximale des surprises du film et de son scénario.

Critique garantie sans spoil !

Inu-Oh : un film qui vous met dans les cordes

Votre serviteur ne va pas s’en cacher : c’est un grand admirateur de l’œuvre de Masaaki Yuasa. Il en a déjà parlé avec des articles sur la série animée Keep your Hands off, Eizouken ou le long-métrage Ride Your Wave. The Night is Young Walk on Girl est également un film incroyable et on peut dire que le réalisateur japonais possède une vraie patte artistique. Pour lui, l’étrange s’associe toujours au réel et le thème de la différence salvatrice est prépondérant au fil de son œuvre.

Vous voulez vivre une expérience insipide et calme ? N’allez pas voir Inu-Oh ! Le réalisateur n’étant pas du genre à vous prendre par surprise, il annonce d’ailleurs la couleur dès les premières secondes avec cette suite de flashs extrasensoriels mélangeant passé et présent. Oui, maintenant, c’est sûr, son film sera un feu d’artifice ! L’homme n’est pas vraiment venu pour nous offrir un moment de contemplation mais plutôt une fable hallucinogène à la mise en scène magistrale qui vous coupera le souffle par son rythme effréné. Tout ici respire le sublime et l’envie d’éblouir, et nous sommes souvent subjugués par la beauté de nombreux plans.
Et si les yeux en prennent plein les mirettes, que dire de nos oreilles ?

La mélodie du bonheur

Inu-Oh met en effet la musique – et l’art du spectacle en général – au milieu de son intrigue pour mieux subjuguer le spectateur. Cette dernière vous fera entrer en transe à travers ses percussions vibrantes et ses envoûtantes notes de biwa (luth japonais à quatre cordes). Au bout d’une demi-heure, au terme d’une nouvelle rencontre entre les deux personnages, les mélodies font valdinguer les traditions et se parent d’une aura plus rock’n’roll tendance 70’s. Tomona devient Tomoichi, porte maintenant les cheveux longs et chante la vie de son ami au gré de mélodies rageuses et distordues. Led Zeppelin, Jimmy Hendrix, Queen et Cream ne sont pas loin !

Ne vous étonnez donc pas de tout à coup battre la mesure avec un pied et de balancer votre tête d’avant en arrière. Vous serez galvanisés par les rythmes endiablés et aurez probablement envie de vous lever dans la salle et de taper dans vos mains. Quant à Inu-Oh, il danse comme Michael Jackson, et on discerne également dans certaines de ses attitudes des bribes de Freddie Mercury. Bien qu’inspiré par des génies du futur, le duo n’a pourtant qu’un but : faire parler sa singularité.

S’exprimer pour devenir

Le message du réalisateur est clair : l’art doit vous aider à vous trouver et à être vous-même. Le duo se découvre en effet petit à petit et s’exprime par la musique, le chant et la dance. Leur passion et leur talent leur permettent de faire exploser les traditions, et le public en redemande ! Masaaki Yuasa s’amuse en mixant périodes et genres. Saupoudré d’anachronismes surprenants, sa réalité alternative souligne son propos, comme il l’explique dans le dossier de presse :

Inu-Oh et Tomona s’échappent de leur condition grâce au chant, à la danse et en mettant la foule en liesse durant l’ère de Muromachi. Je suis certain que votre cœur battra au rythme du film. Il est plein d’élé­ments qui ne sont pas censés être présents à cette période. Il y a tant d’histoires de cette époque qui ne nous sont pas parvenues. Si nous célé­brons ensemble ce duo aujourd’hui, cela résonnera comme une récompense pour ceux qui osent être fidèles à eux-mêmes, génération après génération.

Car même si l’excentricité de l’ensemble pourrait nous faire croire le contraire, le long-métrage est bien inspiré d’une histoire vraie.

Inu-Oh : des siècles d’avance

Inu-Oh est en effet un personnage qui a vraiment existé au temps du Japon féodal. L’homme faisait du théâtre avant même qu’il porte officiellement ce nom. Son art, loin des traditions de l’époque, était plutôt mal vu, même s’il régalait le public de ce qui était alors qualifié de « singeries ». Ainsi, l’artiste est devenu une légende alors qu’absolument aucune de ses œuvres n’a réussi à traverser les siècles. Ce voile de mystère permet au réalisateur de lui prêter toutes les extravagances et un destin glorieux sans doute bien différent du véritable.

Enfin, l’intrigue nous parle également de la guerre civile de Genpei (1180-1185), un pan de l’histoire japonaise qui vit le très puissant clan Heike 平家 (ou Taira) quasiment disparaître, vaincu par le clan Genji 源氏 (ou Minamoto). À la suite de cette victoire, les vainqueurs prirent un malin plaisir à réécrire la tournure des événements à travers des textes officiels desquels il ne fallait surtout pas s’éloigner dans les récits racontés dans les spectacles et autres livres.

Une censure pure et dure que Masaaki Yuasa met en lumière dans son récit, teintant la folie générale de son scénario de quelques gouttes amères difficiles à avaler pour le spectateur un peu sonné par cette claque soudaine de triste réalité.

Fascinant par bien des aspects, impossible de décrocher à l’énergie rock distillée pendant les 1h37 que dure Inu-Oh. Son excentricité et ses partis pris originaux et risqués en font une œuvre d’une liberté créative folle et exceptionnelle. Tous les schémas narratifs classiques explosent en vol et l’histoire suit sa propre logique sans jamais perdre un spectateur qui ne s’ennuiera jamais.

Devient-on enfin nous-mêmes quand nous nous exprimons à travers l’art ? Chaque nouvelle œuvre de Masaaki Yuasa nous montre bien que, lui, l’a parfaitement compris.

Inu-Oh est à découvrir au cinéma en France depuis le 23 novembre.

Stéphane Hubert