L’île d’Okinawa attise ma curiosité depuis longtemps. Elle est connue pour avoir trois fois plus de centenaires que partout ailleurs et principalement des femmes. Pour certains scientifiques, Okinawa fait partie des 5 « zones bleues » de notre planète (avec 4 autres régions de Sardaigne, de Californie, du Costa Rica et de Grèce), des petites oasis où l’on recense un très haut pourcentage de centenaires toujours très actifs et que rien ne semble pouvoir enlever à la vie… Partons sur les traces de leur secret.

J’ai eu la chance de rencontrer le Dr Makoto Suzuki, le principal auteur de l’étude sur les centenaires d’Okinawa. Lui-même âgé de 87 ans, le Dr Suzuki a fondé le centre de recherche pour la longévité au sein de l’université internationale d’Okinawa. Il travaille sur la question depuis près de 40 ans. Son bureau à Naha, sa capitale, est rempli de milliers de fiches cartonnées blanches. Un congélateur se trouve à côté de l’entrée. « Je garde les échantillons de sang et d’ADN de plus de 1000 centenaires à l’intérieur. C’est un trésor inestimable. » Pour cause, le Dr Suzuki recherche sans relâche le secret commun de ces individus à la longévité exceptionnelle.

D’où les habitants d’Okinawa tirent-ils leur exceptionnelle longévité ?

« Je suis venu de Tokyo en 1976 pour évaluer les conditions de vie de la communauté. J’ai été surpris de voir autant de personnes âgées robustes et en bonne santé, qui vivaient dans leur propre maison. Quand j’ai étudié les données démographiques au bureau du gouvernement d’Okinawa, j’ai découvert que l’espérance de vie était beaucoup plus élevée ici qu’ailleurs au Japon. J’ai donc décidé d’y consacrer mes recherches, » me confie-t-il.

Dr Makoto Suzuki

À ce jour, les résultats de ses analyses ont débouché sur 4 facteurs essentiels et convergents :

1.    L’alimentation

2.    L’activité physique

3.    L’auto-assistance (être en mesure de vérifier son propre état de santé)

4.    Le système d’entraide mutuelle et la notion de groupe, essentiel dans la culture japonaise traditionnelle

Étudions un instant chaque point…

Le goya, aliment « miracle » consommé notamment en jus.

L’alimentation

Okinawa possède des aliments « miracles » qui n’existent pas ailleurs comme par exemple, le goya, une sorte de concombre local qui contient une grande quantité de vitamines B, C, K,…, des patates douces locales de couleur violette qui possèdent des nutriments très bénéfiques pour le corps, plus de 20 sortes de tofu locaux (protéine végétale très saine contrairement aux croyances occidentales) et le loofah, une sorte de courgette qui peut aussi être utilisée pour se nettoyer le corps. L’île possède donc pleins de plantes et de légumes typiques et essentiels pour rester en bonne santé longtemps.

Il est également observé que les centenaires consomment peu de viande rouge mais beaucoup de poisson. Les produits laitiers sont également rares dans leur alimentation. Ils mangent beaucoup de soja sous toutes ses formes, qui contient des phyto-oestrogènes aux effets anti-oxydants, anti-cancer et anti-ostéoporose et ils absorbent énormément d’eau fraîche, de thé mais peu d’alcool.

Mais il n’y a pas que cela. La manière de manger est très importante : lentement et avec les autres. La sociabilité est très importante dans l’alimentation des japonais d’Okinawa. Manger à satiété mais sans se gaver ! Vient enfin la manière de cuisiner qui est également primordiale. En effet, les centenaires cuisinent encore de manière traditionnelle. Une cuisson très lente sans matière grasse. Tout l’opposé de la jeune génération qui se nourrit de fast-food et de produits préfabriqués en konbini. Une tradition culinaire qui se perd…

Kikue Okushima a 89 ans. Cette petite dame super active travaille bénévolement au bureau de la ville d’Ogimi, célèbre pour son nombre important de centenaires. Elle adore cuisiner, jardiner, chanter, rire. Les petits plaisirs de la vie sont importants pour elle. Elle ne se rend jamais au supermarché. Elle ne consomme que des produits locaux. Il lui arrive même aussi de donner des conférences sur sa manière de vivre et sur les secrets de la longévité.

L’activité physique

Les personnes âgées d’Okinawa sont généralement très actives. Elles ont généralement eu un emploi qui favorisait l’activité physique (la plupart étaient agriculteurs) et marchent beaucoup. Ils fument très peu. Certains exercent d’ailleurs toujours leur métier d’agriculteur aujourd’hui.

Les effets de l’activité physique sont parfaitement connus pour leurs bienfaits cardiaques, l’amélioration du sommeil donc un ralentissement du vieillissement, la sensation de bien-être, de « bonne fatigue » et la diminution des risques de diabète et d’ostéoporose.

umiko Taira a 99 ans. Elle est fan de gateball, un sport typiquement japonais. Tous les matins à 6h30, elle se rend au parc pour faire sa gymnastique quotidienne. Elle danse beaucoup aussi. Elle n’a pas été malade depuis plus de 50 ans.

L’auto-assistance

L’auto-assistance est un facteur important dans l’étude sur la longévité. Avoir un regard sur sa propre santé, que ce soit la santé physique, mentale, sociale et spirituelle. Et ce 4ème point est indispensable. En effet, être en mesure de détecter le moindre petit problème de santé permet de pouvoir rapidement y faire face dans une perspective de long terme. Il s’agit pratiquement d’anticiper la maladie. Malheureusement, ce savoir appartient au passé. Notre génération se contente bien souvent de consulter un docteur une fois la maladie installée, niant les nombreuses alertes du corps.

Ensuite, la santé spirituelle concerne le fait d’avoir une raison d’être et surtout, une profonde motivation pour se lever chaque matin. Selon le Dr Suzuki, les femmes vivent plus longtemps car elles sont plus « spirituelles » que les hommes japonais, très rationnels. Ce sont elles qui prient tous les matins, qui invoquent les ancêtres pour demander de l’aide dans leur vie et celle de leurs proches. Une philosophie de vie plus en phase avec la nature et les flux d’énergie, estiment-ils… Une façon d’aborder les difficultés de la vie qui se fait avec patience, tolérance et résilience.

Shinpuku Tamaki a 100 ans. Il a été agriculteur toute sa vie et se déplace encore aux champs tous les jours. Il se lève tous les jours vers 6-7h. Il va marcher très doucement. Il prend un petit déjeuner normal vers 8h. Il ne consomme que des produits locaux. Son secret ? Rien de spécial selon lui. Quand il était jeune, il aimait pêcher et escalader les montagnes. Aujourd’hui, il pratique le gateball avec ses amis. Il va se coucher généralement vers 21h. Il a eu une vie simple, sans maladie, sans stress particulier.

Le système d’entraide mutuelle

La communauté est très importante dans la vie des anciens d’Okinawa : rester connecté avec ses voisins, s’entraider en permanence, alimenter ses relations sociales,.. Voilà qui semble totalement trancher avec le mode de vie du reste de la population japonaise active dont le temps libre se compte en heures.

Fumi Tamaki a 94 ans et est la femme de Shinpuku Tamaki. Elle a des problèmes aux jambes et ne peut plus se déplacer pour aller travailler aux champs.

Le climat local joue aussi certainement un rôle. Ici, c’est un paradis tropical : une moyenne de 20 degrés toute l’année et la vie insulaire qui comporte moins de stress au quotidien. Il y a 40 ans, 32 centenaires vivaient ici à Okinawa et ils étaient presque tous encore actifs. Le Dr Suzuki constate qu’aujourd’hui, en 2016, 1011 centenaires vivent ici mais seulement 10% sont toujours actifs. Ils vivent plus longtemps grâce aux meilleures conditions médicales qu’il y a 40 ans mais leurs habitudes ont changé et ils sont de moins en moins actifs.

Mais les habitudes se perdent…

Les jeunes d’Okinawa vivent désormais comme le reste du Japon : la course au travail, plus de stress, perte des anciennes habitudes et connaissances, on se nourrit de fast-food,… La malbouffe est de plus en plus présente, influencée par la présence militaire américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le changement des habitudes alimentaires est aussi lié au fait que chaque bâtiment a son distributeur de boissons et les fast-foods sont beaucoup moins chers que n’importe quel plat : un hamburger coûte 100 yens (0,85 euro), moins qu’une soupe de nouilles sans sel traditionnelle d’Okinawa. Rares sont ceux qui peuvent donc résister pour des raisons économiques.

Faute de pouvoir changer cette société et sa fuite en avant capitaliste, l’éducation a un rôle important à jouer selon le Dr Suzuki. « Il faut éduquer la nouvelle génération dès le plus jeune âge. Une éducation saine doit être mise en place. Les enfants doivent observer leurs grands-parents et non leurs parents. » estime-t-il. À nous également, constatant cette réalité, de faire – ou pas – les efforts nécessaires pour assurer une vie longue, belle et en pleine santé !

Pascale Sury & Mr Japanization