La Japon ne cesse décidément de nous surprendre. Dans l’hypercentre de Tokyo, Pasona, une multinationale nippone spécialisée en ressources humaines a concilié ferme urbaine et travail de bureau au cœur de ses activités. Des centaines de cultures sont dispersées au sein du bâtiment, fournissant des légumes et des fruits frais à la cantine des employés. Quand le « salary-man » se fait fermier urbain, tactique marketing ou véritable engagement environnemental ?
Une rizière en plein espace de travail
Le concept de « ferme urbaine », ou d’agriculture au cœur des villes s’est démocratisé au cours de ces dernières années. Dans de nombreuses métropoles modernes, la gentrification fait fleurir des lopins de terre cultivés sur les toits et les balcons des immeubles. Pasona, une large société nipponne, s’est associée au phénomène dès 2010 en incorporant l’essence des fermes urbaines à la structure de son siège social.
Loin de vouloir bâtir un gratte ciel tape à l’œil, les dirigeants de Pasona ont préféré réinvestir un bloc de 9 étages construit dans les années 50, en lui donnant une nouvelle vie et fonction. Ils ont engagé les architectes du cabinet Kono Design afin de mener à bien la restauration et le réaménagement des 215 000 m2 disponibles. Objectif : faire cohabiter les employés en symbiose avec de vastes vergers et potagers.
Le résultat est unique au monde : des fleurs poussent sur sa façade végétalisée, des rizières traditionnelles côtoient des cultures hydroponiques (un nuage de nutriments alimente les pousses), des salades, des papayes, des végétaux de tous horizons s’y développent. En tout, les plantations occupent près de 40 000 m2, et si des équipements spéciaux favorisent leurs croissances, elles ne sont pas dissociées des salles de travaux. Les employés évoluent ainsi dans un espace pratiquement naturel, mais en pleine ville.
Une volonté de revenir aux sources
Les avantages sont multiples, d’une part le bilan carbone de l’entreprise est sensiblement atténué. D’autre part, tous les employés sont invités à participer à cette initiative : ils aident à la récolte du riz, taillent les plants et accomplissent diverses taches d’entretien. Ainsi, une ambiance particulière s’installe, les travailleurs échangent, constatent, ils partagent des moments auparavant étrangers au cadre de leur travail. Enfin, ils consomment les récoltes à la cafeteria, bien que trop peu nombreuses pour répondre aux besoins de tout le bâtiment.
Cependant, la stratégie de Pasona vise le long terme et la porte parole précise que la firme souhaite investir d’anciennes fermes abandonnées depuis l’exode rural (93% des Japonais sont urbains). Le siège constituerait ainsi une vitrine destinée à encourager les populations à s’engager dans les métiers agricoles. En stimulant ce secteur, l’entreprise de recrutement pourra vraisemblablement multiplier les contrats. De manière plus générale, le projet s’inscrit dans une volonté des japonais à se reconnecter avec la nature.
Cette tentative de dynamisation de l’agriculture n’est pas marginale puisque l’État nippon s’efforce de renforcer ce domaine économique très fragile, via des réformes essentiellement protectionnistes. En effet, le relief montagneux des îles de l’archipel, et la dégradation du savoir faire paysan, pousse le Japon à importer l’immense majorité des biens agricoles consommés, tandis que les exportations japonaises dans ce secteur sont quasiment nulles.
Oui, mais en occident ?
Le concept pourrait-il s’exporter à travers le monde ? Si les retombées semblent majoritairement positives, l’université technique de Berlin a soulevé un problème d’envergure en étudiant la qualité des produits cultivés au sein de la capitale allemande. Les légumes relevés présentaient une concentration anormalement élevée en métaux lourds. Ces particules de plomb, de mercure ou encore de cuivre, dont on connaît la dangerosité pour l’organisme humain, sont très présentes dans les zones industrielles et dans les gaz d’échappement.
Or le trafic à Tokyo est très réglementé : les véhicules diesel par exemple, responsables de la majorité des émissions de particules, y sont interdits. Cette politique écologique ferme mais nécessaire n’existe pratiquement pas en France. De ce fait, certaines villes à l’image de Paris ou Grenoble ne peuvent pas accueillir de fermes urbaines totalement saines. Par ailleurs, la production urbaine nipponne se pratique essentiellement à l’intérieur de locaux où les conditions atmosphériques peuvent être mesurées et contrôlées, ce qui limite tout risque de contamination.
Devenu une véritable attraction à Tokyo, la firme transnationale Pasona a réalisé un coup de maître en ordonnant la construction de ce siège social végétal. Communication efficace ? marketing révolutionnaire ? réponse innovante aux aspirations agricoles et traditionnelles d’un pays qui peine à conserver ses racines ? la ferme urbaine de Pasona est, quoi qu’il en soit, une grande réussite. L’entreprise a réussi à ouvrir la porte d’un nouveau paradigme sur la réappropriation du milieu urbain, mais un problème subsiste : comment concilier potagers métropolitains et pollutions urbaines dans les zones les plus peuplées ?
Sources : pasonagroup.co.jp / konodesigns.com / statistiques-mondiales.com / senat.fr / nippon.com / notre-planete.info / lemonde.fr / Photographie d’entête : Alva Lim