L’ascension de l’Everest est un des plus grands défis qu’un alpiniste puisse se lancer. Pour atteindre ses 8849m, il faut mettre sa vie en jeu, entre exploit insensé et désir de défier la mort. C’est cette folie passionnelle que raconte Le Sommet des dieux, long-métrage grandiose adapté de l’œuvre de Jirō Taniguchi et Baku Yumemakura. Immersion.
Dans Le Sommet des dieux de Patrick Imbert, nous suivons Fukamachi, photographe frustré de ne plus suivre que de petites expéditions, qui s’avèrent souvent incapables d’aller jusqu’au bout. Mais à Katmandou, il croit tomber sur Habu Jôji, un célèbre alpiniste japonais que tout le monde croyait disparu. Encore plus intrigant : ce dernier serait en possession d’un appareil photo contenant des clichés qui pourraient changer l’histoire de l’alpinisme. En effet, ils pourraient prouver que George Mallory et Andrew Irvine ont atteint le sommet de l’Everest en 1924, soit 29 ans avant Edmund Hillary et Tenzing Norgay que l’on considère pourtant depuis toujours comme les pionniers. Le photo-reporter se lance alors dans cette enquête à piolets perdus avec la ferme intention de découvrir la vérité…
Œuvre complète
Avant même d’être un manga, puis un film d’animation, Le Sommet des dieux (神々の山嶺, Kamigami no itadaki) est un roman de Baku Yumemakura publié épisodiquement entre 1994 et 1997 dans la revue japonaise Shôsetsu Subaru. En tout, ce sont plus de 1700 pages qui seront signées par l’écrivain. Le romancier japonais s’y inspire de faits réels et campe son récit autour de cet appareil photo sacré de Mallory et Irvine, transformé en mythe au fil du temps. Pour créer son personnage d’Habu, il s’intéressera notamment à la personnalité et aux exploits de Masura Morita, un alpiniste reconnu de la discipline.
Jirō Taniguchi, qui avait déjà travaillé avec Yumemakura sur Garôden en 1989, s’entend à nouveau avec lui pour proposer une version manga de cette aventure dans les hauteurs. Celle-ci est alors prépubliée dans Business Seinen entre 2000 et 2003, avant d’être compilée en 5 volumes. La publication, bien que très réussie, reste confidentielle au Japon. En France, en revanche, c’est une avalanche de succès qui lui est réservée, avec plus de 380 000 tomes vendus depuis la sortie en 2004 aux éditions Kana.
Alors, bien sûr, Le Sommet des dieux version animation a dû élaguer dans les sous intrigues et adapter le récit pour faire tenir son histoire en 1h30. Pourtant, l’essentiel est là, tout comme le mystère qui berce cette œuvre d’une grande beauté. Les décors dans la montagne sont à couper le souffle et une réelle attention a été portée aux détails, même s’ils sont tout de même moins nombreux que sur les planches de Taniguchi. D’ailleurs, alors que le film sort 4 ans après la mort de ce dernier, Jirō Taniguchi avait tout de même pu voir les dessins préparatoires et donner son aval au projet.
Les paysages sont sublimes et la réalisation ne manque pas de multiplier les plans vertigineux, en plus de laisser sans voix devant la tension qui s’en dégage. Si l’animation peut parfois sembler un peu saccadée, cela donne encore plus de force au récit puisqu’elle est en adéquation totale avec l’époque qu’elle évoque : les années 90. Dans ces années-là, l’Everest était beaucoup moins fréquenté que de nos jours, avant que son exploitation commerciale par le gouvernement népalais explose au début du XXe siècle. On est loin de l’époque des GPS et des téléphones portables et on doit alors souvent sa survie face au grand froid à un simple appel de talkie-walkie. En cela, choisir une animation en dessin-animé plutôt qu’en images de synthèse est une idée qui donne encore plus d’authenticité et de charme au rendu final.
Attention : la suite de l’article contient des spoilers sur l’intrigue du film.
Rencontre au sommet
Le Sommet des dieux est une histoire d’obsession, de limites repoussées et de cette recherche constante d’adrénaline qui se transforme en folie. Chaque ascension est un nouveau défi contre sa propre mortalité. Et les alpinistes de l’extrême, comme c’est magnifiquement montré dans le long-métrage, trouvent toujours une raison de se soumettre à la volonté de cette grande faucheuse glacée qui se cache sous un doux manteau blanc.
« Un alpiniste se trouve toujours de nouveaux défis. Ça ne finit jamais »
Tous les protagonistes remettent donc continuellement leurs vies en jeu pour un sommet plus haut, une nouvelle face, une saison différente, une aventure en solitaire ou un record de vitesse. Pour Habu, le personnage principal, ce sera seul, vers l’Everest, et sa face sud-ouest en hiver. Chaque excursion est ainsi une façon de mettre sa vie entre les mains des Dieux et de pénétrer leur domaine.
Mais les erreurs se payent souvent et Habu le sait plus que les autres. Il s’en veut d’avoir amené avec lui le jeune Muntaro lors d’une sortie fatale. Il s’est laissé attendrir par l’énergie et le regard émerveillé du jeune alpiniste, même s’il savait qu’il n’était pas prêt. Autant par passion que pour se punir, il repart et manque de mourir, se cassant une jambe, un bras et perdant plusieurs doigts. Pourtant, cela ne l’arrête pas. Il disparaît de la sphère médiatique et publique, se prépare pendant 8 ans, et repart.
Cette fois-ci, même si son ascension se fera en solitaire, il sera suivi par l’objectif de Fukamachi qui l’accompagne pour deux raisons. La première, c’est de récupérer le célèbre appareil photo ayant peut-être appartenu à Mallory. La deuxième, c’est de revivre enfin le frisson de l’alpinisme au plus près de sa pureté. Car en travaillant en tant que photographe pour un magazine, il ne suit plus que de petites équipes. « Les gens veulent de belles photos » lui rappelle son supérieur. Une phrase qui résonnera en lui comme un appel au réveil. Cette quête dans laquelle il perdra lui aussi presque la vie va lui redonner foi en l’amour qu’il ressent pour les grands espaces enneigés dont les dangers n’en font pas oublier la beauté onirique.
Mystère et boule de neige
Le scénario de Le Sommet des dieux s’appuie sur deux axes mystérieux dès le départ. Le photographe Fukamachi a-t-il vraiment vu le vrai Habu à Katmandou ? Et ce dernier était-il vraiment en possession de cet appareil photo que tout le monde pensait disparu ? Le début du film est en cela un mix entre enquête journalistique du présent et flashbacks sur les aventures d’Habu. Ces intrigues qui finissent par se retrouver nous tiennent en haleine jusqu’au bout et font de Le Sommet des dieux un film qui transcende son sujet principal.
Le long-métrage s’en retrouve palpitant dans toutes ses séquences, qu’elles soient narratives ou d’action, et aucune scène ne semble accessoire. On ne peut que saluer très haut l’adaptation scénaristique de Magali Pouzol et Patrick Imbert qui ont réussi à dégrossir les 1500 pages de l’œuvre originale de Yumemakura et Taniguchi pour nous offrir 1h30 passionnantes. Parlant de ce besoin insatiable de grimper aux sommets, Habu lâche : « Un fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer ». Une formule somme tout aussi valable pour ce long-métrage magistral de Patrick Imbert.
Le Sommet des dieux est un film captivant et une vraie leçon de narration, de suspens et de passion que l’on vous conseille les yeux fermés. Il est à découvrir au cinéma en France depuis le 22 septembre. Affiche.