Au royaume de Mickey, la féérie règne en maîtresse, les visiteurs petits et grands viennent passer des moments magiques dans l’univers de leur enfance, se griser dans les attractions ou faire un selfie avec les mascottes qui déambulent dans le parc. Disneyland Resort Tokyo est probablement l’un des parcs de la franchise qui fonctionne le mieux dans le monde. Mais un récent scandale fait brutalement basculer les fans invétérés de l’autre côté du miroir. Ici, une réalité bien plus sombre pour les employés.
Travailler dans le monde magique de Mickey, c’est le rêve de nombre de jeunes tokyoïte. une expérience qui n’aura pas laissé que de bons souvenirs à deux anciennes employées japonaises qui ont récemment décidé d’attaquer la firme en justice pour cause de surmenage et de harcèlement moral. Mais de quoi se plaignent-elles ?
La première plaignante, une femme de 28 ans qui avait rejoint la firme en février 2015, se trouve en arrêt maladie en raison de douleurs aigües qui seraient imputables aux lourds costumes qu’elle devait porter incessamment lors des parades. Des costumes, dit-elle, qui pouvaient peser jusqu’à 30 kilos ! Et n’ayant pas assez d’ancienneté, cette femme ne se sentait pas le droit de demander un congé, ce qui a certainement contribué à aggraver ses douleurs. Il est d’ailleurs courant au Japon que les employés soient implicitement invités à travailler toujours plus sans faire de vague, « pour la cause de l’entreprise ». Une impression constante du monde du travail qui nous ferait presque oublier que les japonais, eux aussi, sont de simples humains, avec leurs limites. Par la suite, cette jeune japonaise a été diagnostiquée du « syndrome de sortie thoracique » : il s’agit de troubles qui apparaissent lorsque les vaisseaux sanguins et les nerfs sont comprimés de manière trop intense et répétée, ce qui dans le cas de cette femme est sans aucun doute la conséquence du port des costumes.
La seconde plaignante, une femme de 38 ans, travaillait pour la firme depuis 2008 elle aussi en tant qu’interprète costumée. C’est à partir de 2013 qu’elle a commencé à subir intimidations et harcèlement de la part de ses supérieurs. Ces derniers lui auraient notamment déclaré « d’aller mourir » et que les femmes « de plus de 30 ans sont inutiles ». La victime en aura développé des troubles psychosomatiques pour lesquels elle a du se faire soigner. Si ce cas semble imputable à la hiérarchie plus qu’aux costumes, il fait écho à l’idée d’un culte de la jeunesse omniprésent au Japon, qui se retranscrit dans le travail par la nécessité de devoir supporter des tâches contraignantes, répétitives et fatigantes. Forcément, dans un tel climat, prendre de l’âge n’est pas toujours bien perçu…
Les affections médicales dont souffrent ces deux femmes ont été reconnues par les autorités du travail comme résultantes de leurs conditions de travail, en conséquence de quoi elles ont obtenu une indemnisation. Mais les anciennes employées n’entendaient pas en rester là et en juillet dernier elles ont intenté un procès à leur ex-employeur devant le tribunal de Chiba, demandant 7,55 millions de yen de dommages et intérêts (60 000 euros) pour leurs problèmes de santé découlant de leurs conditions de travail. Pour cause, après la perte de leur travail et les problèmes de santé, c’est leur avenir dans la société japonaise qui a été compromis.
Les motifs de plainte des deux femmes sont malheureusement assez révélateurs des mentalités qui règnent encore dans le monde du travail et la société japonaise. Par esprit de corps, la plupart des travailleurs n’osent pas prendre les congés auxquels ils ont droit, de peur que leur absence ne rajoute une charge de travail supplémentaire à leurs collègues, mais aussi par soucis de sacrifice et dévotion. C’en est au point que le gouvernement a étudié une loi pour forcer les employés à poser des congés et faire diminuer les cas de surmenage et de décès au travail. De même, il est assez mal vu de quitter tôt son travail. Et quitte à faire semblant de travailler, nombreux sont les salarymen à rester à leur poste jusqu’à ce que leur supérieur ne parte, tard le soir. Ce qui est paradoxal, c’est que les japonais ne jouissent malgré tout pas d’une productivité extraordinaire au travail comme on pourrait le penser.
Quant aux déclarations sexistes dont a été victime une des plaignantes, elles s’inscrivent dans la mentalité patriarcale encore très ancrée chez les Japonais(es). La hiérarchie d’entreprise, toujours très masculine, ne leur fait également pas de cadeau. Ainsi, si une femme a évidemment le droit de faire des études et d’exercer un emploi, elle est soumise à une forte pression de la part de la société (voir de sa famille) pour se marier avant l’âge fatidique de 30 ans. Celles qui ne suivent pas ce chemin tout tracé doivent s’exposer aux jugements de la société. Ce choix binaire entre la carrière et le foyer est porteur de conséquences néfastes autant chez les femmes que chez les hommes qui, eux aussi, souffrent d’une pression économique démesurée.
De son côté, Oriental Land Company, la société japonaise qui possède le parc d’attraction (Disney ne percevant qu’un pourcentage) a demandé le rejet de la plainte le 13 novembre et s’est refusée à toute déclaration.
S. Barret
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Source : japantimes.co.jp