Comment c’est, en vrai, la prison et la garde à vue au Japon ? Sur le sujet, les documents officiels sont rares et les Japonais eux-mêmes restent volontairement discrets sur leur univers carcéral connu pour sa rudesse et des pratiques humainement dégradantes qui ont pour but de casser psychologiquement les individus. Les Français pouvant témoigner de cette expérience se comptent sur les doigts de la main. Nous en avons rencontré un. Voici son témoignage sans filtre et son cheminement intellectuel de l’enfermement à la liberté en passant par la folie, les poussées suicidaires et les regrets…
Nous l’appellerons Thomas, un jeune Français d’une vingtaine d’années au parcours pour le moins atypique. Happé dans le monde de la nuit d’Osaka, il va peu à peu perdre pied avec la réalité. Pour la communauté de Mr Japanization, il a décidé d’exprimer sans filtre sa lente descente dans la délinquance ordinaire, puis dans la criminalité, suivie de la douche froide inévitable, son incarcération. Aujourd’hui entièrement libre, réinséré normalement dans la société et menant une vie honorable, il regarde son passé trouble dans les yeux et souhaite exprimer son expérience publiquement pour mettre en garde ceux qui, comme lui, pourraient sombrer dans une spirale criminelle bien plus facilement qu’on l’imagine…
L’histoire de Thomas commence en 2014, à 18 ans, alors qu’il réalise un simple voyage touristique au Japon. « Ce fut une révélation. Après ce voyage, je suis revenu le plus vite possible avec un visa étudiant. Pendant cette première année à Tokyo, tout s’est bien passé pour moi. Heureux de cette expérience forte, je suis revenu une troisième fois au Japon, à l’aide d’un ‘working holiday visa’ (NDLR : le Programme Vacances-Travail) dans le but de m’installer sérieusement. » Thomas va alors choisir de vivre à Osaka pour varier son expérience dans l’archipel.
« Je me suis soudainement retrouvé dans une sharehouse, sans trop d’économies, mais avec la volonté de trouver un travail le plus vite possible. J’ai donc prospecté sérieusement et j’ai rapidement commencé à travailler comme maître nageur dans une piscine privée. C’était une belle expérience. Je me sentais utile. » Après le travail, comme beaucoup de ses collègues, Thomas aime sortir le soir à Osaka. Particulièrement sociable, il sympathise avec des promoteurs de boites de nuit qui arpentent les rues d’Osaka à la recherche de clients. « Comme je sortais beaucoup, j’ai commencé à me faire connaître et un jour, des rabatteurs m’ont proposé de travailler pour eux. Ma communication facile avec les gens et mon sourire sincère était un atout à leurs yeux. »
En parallèle de son travail de maître nageur, Thomas devient donc promoteur de boite de nuit et rabatteur de clients avec un salaire confortable pour son âge : « J’étais heureux de vivre au Japon à ce moment là. Comme j’avais grandi dans une banlieue éloignée de Lyon, je me suis senti pousser des ailes dans ce monde dans la nuit où tout est possible. Je gagnais bien ma vie. Je m’amusais beaucoup. Je faisais plein de rencontres et les Japonaises m’adoraient. À 20 ans, ça fait tourner la tête.
Très vite je me suis retrouvé dans un cadre de vie irréel : boite de nuit tous les soirs, boissons gratuites à volonté, le tout en étant très bien payé. Sans m’en rendre compte, j’ai pris l’habitude de boire énormément, chaque jour. Peu à peu, j’ai perdu pied avec la réalité. Mon esprit était dans le brouillard en permanence. Et je le reconnais, je suis le seul responsable.
De là, tout s’est passé très vite… En trois semaines, mon monde allait basculé. J’allais passer de l’expatrié lambda un peu fêtard à un délinquant ordinaire. Toujours alcoolisé, j’ai commencé à prendre des mauvais réflexes. Je commettais des petits larcins d’abord sans le réaliser, comme partir sans payer, prendre des objets dans les magasins et sortir naturellement, etc. C’était très facile et c’est rapidement devenu une normalité pour moi.
Un soir, je vais au karaoké et, au bout de la nuit, je pars sans payer ! Et personne n’a rien remarqué. Je me sentais tout puissant. C’est là que j’ai réalisé qu’au Japon, la confiance est tellement grande dans la sincérité du consommateur que je pouvais faire n’importe quoi, personne ne dirait rien ! Avec le recul, je réalise aujourd’hui que ça semble complètement fou. Mais à l’époque, je vivais dans un monde parallèle, avec un sentiment de toute puissance.
Un peu plus tard, je suis retourné dans un autre karaoké avec des amis. En fin de soirée, je pars sans payer comme j’avais pris l’habitude de le faire. Il était 6h du matin… Mais là, pour la première fois, un Japonais me course et m’attrape par le sac à dos. J’étais fortement alcoolisé. Me sentant agressé, je me retourne et lui mets mon poing dans la figure. Il se relève et me saute dessus. Je riposte et le mets au sol. Je réalise alors qu’il s’agit d’un employé du karaoké.
Avec mes amis, nous paniquons et nous nous enfuyons du karaoké pour nous réfugier dans notre sharehouse. Ce soir là, j’ai eu un choc. J’ai pris peur et décidais d’arrêter les conneries. Mais ça ne durera pas bien longtemps, quelques semaines tout au mieux. Malheureusement, sous l’effet de l’alcool et de la folie du monde de la nuit, je reprends très vite mes mauvaises habitudes : je vols des vêtements, de l’alcool, des choses sans valeurs dans les konbinis… Ce n’était pas pour faire de l’argent car je gagnais bien ma vie. Avec le recul, je ne me l’explique pas vraiment. Mon esprit avait basculé. À l’époque, je rencontrais plein de Yakuzas, j’ai changé de mentalité, j’avais l’impression que tout était possible et de toute façon, personne n’allait jamais rien me faire. Pour tout vous dire, on allait jusqu’à fumer du cannabis dans la rue. Impensable au Japon !
Il faudra huit mois… huit mois pour me faire prendre à mon propre jeu. Je le méritais amplement. J’avais tellement confiance en mois que je volais systématiquement, partout, sans arrêt. Quand tout devient gratuit, tu ne vois plus l’intérêt de payer. C’est pratiquement une maladie. Je volais même dans le konbini sous le regard des employés avec pour récompense ce petit shot d’adrénaline. Tu rentres, tu prends ce que tu veux, tu sors, et personne ne disait rien. Jusqu’au soir où ce cirque insensé devait s’arrêter.
Un soir ou j’étais complètement “torché” (pour le dire crûment), je me rends dans un konbini où j’avais déjà volé plusieurs fois. À force, les gens commencent à vous reconnaître, surtout comme étranger. Et là, un employé me saute dessus et m’enferme à l’arrière du magasin. La police arrive rapidement et me met en garde à vue. Je n’ai pratiquement aucun souvenir de cette soirée tellement j’étais alcoolisé. Je n’aurais même pas pu m’enfuir. J’étais au bord de l’évanouissement. Il était loin, le temps où j’étais un maître nageur respecté.
Après cette nuit, je vais rester 10 jours en garde à vue. Durant cette période, les policiers d’un autre quartier me retrouvent également. J’ai pris 20 jours d’isolement supplémentaires, soit un mois au total. Ça vous semble peu ? Ces 30 jours de réclusion furent les pires de toute mon existence si bien que la mort aurait été plus douce à bien des égards.
Je suis accusé sans surprise de vol à l’étalage à répétition et vol avec violence en bande organisée (pour l’affaire du karaoké). On m’annonce entre 3 et 7 ans de prison ferme, avec 40 000 euros de caution (que je refuse catégoriquement). Ma vie défile devant mes yeux. Je vois trois avocats, un pour chaque affaire. Heureusement pour moi, ils ne connaissent que ces affaires là…
Les 30 premiers jours d’enfermement seront un véritable enfer. C’est simple, j’ai perdu 6kg les premiers jours. Je suis devenu tout blanc. J’ai perdu une grande partie de mes cheveux. Je ne sais pas par où commencer ? On te sert trois petits repas pour à peine survivre (le reste est payant et forcément tu n’as rien!), on te laisse dans le froid, tu es isolé du matin au soir, on te hurle dessus en permanence. Les cellules sont sans chauffage, en avril… J’étais tellement sous le choc physiquement que je n’ai pas pu aller aux toilettes pendant 15 jours. Quand mon corps est arrivé à bout de ce qu’il pouvait supporter, j’ai été transporté d’urgence à l’hôpital en camisole de force pour me faire soigner et avoir un lavage médical pour éviter que mon estomac n’explose dans mon corps.
Ici, l’humiliation est permanente. Vous n’êtes plus un citoyen, ni même un humain. On te regarde déféquer. J’ai du prendre ça à la dérision sur le moment pour ne pas craquer. Le plus horrible, c’est ce sentiment de se réveiller le matin avec la fausse impression d’être libre, et en redécouvrant à chaque fois que tu es enfermé dans le froid entre 4 petits murs dans une pièce vide. Comme élément extérieur, à part les murs, tu as uniquement le rouleau de papier toilette pour te changer les idées. Tu n’as RIEN, pas même un livre, un magazine, RIEN.
J’avais perdu pied avec le monde réel dehors, c’était pire à l’intérieur. Tu n’as rien pour te raccrocher à la réalité. Alors, tu deviens rapidement fou. Chaque jour, j’avais droit à 20 minutes en dehors de la cellule. Pas dehors à l’air libre, non ! Ce « voyage » se limitait à changer de pièce et à percevoir un petit trou d’air pour y respirer une seconde. Impossible de voir le ciel ou l’extérieur. Ma cellule faisait environ 9 mètres carrés, la taille d’un tatami, sans fenêtre vers l’extérieur et une lumière artificielle qui reste allumée même la nuit. En face, des machines à laver tournaient sans fin, toute la nuit. Je pense qu’elles sont placées à proximité des détenus pour nous empêcher de dormir, pour nous torturer. Bref, tout est fait pour te détruire psychologiquement. La simple idée de réinsertion ici n’existe pas. On a l’impression que s’ils pouvaient simplement t’abattre d’une balle dans la tête, ils le ferraient sans hésiter. Après 30 jours isolé dans cette pièce, j’arrivais à souhaiter que ça arrive, qu’un garde dégaine son arme et me tue.
Ici, tu n’as aucun moment où tu peux te dire « aujourd’hui c’est une belle journée ». Pas un seul instant de bonheur. Mentalement, c’est la descente aux enfers assurée. À un certain point de déconnexion avec le réel, j’avais trouvé la faille pour me suicider. Tout irait vite et ça en serait terminé. À une certaine heure, quand personne ne regarderait, j’allais prendre mon pull, le prendre au grillage et m’y pendre par la gorge. Avec un peu de chance, je serais mort avant qu’ils ne le réalisent. On te laisse tout le temps d’y penser. Tu n’as que ça à faire. Mais peut-être que ce grillage était là pour ça ?
Dès que tu ouvres les yeux le matin, la première chose que tu entends, c’est quelqu’un gueuler sur toi en japonais, en boucle, sans fin. Avant même qu’ils arrivent, tu dois avoir déjà fait ton lit. Tu dois tout nettoyer chaque matin. Tu n’as évidemment pas le droit de les regarder dans les yeux. Sinon… Puis, chaque matin, on te projette contre le mur et on fouille ta chambre. Mais le pire, c’est quand ils gueulent en cœur sans fin, sans raison, pour nous terroriser j’imagine. Au soir, rebelote. Ça hurle sans fin. Je ne sais pas qui sont les animaux, eux ou nous ?
Il faut noter que dans mon cas, l’ambassade n’a pas été prévenue, ce qui m’a complètement coupé du monde. Par conséquent, personne ne savais où je me trouvais. À l’extérieur, j’ai été porté disparu pendant deux semaines. Mes colocataires se sont inquiétés. Je déconnais peut-être, mais je n’étais pas un monstre et tout le monde m’appréciait dehors. Un avis de disparition a même beaucoup circulé sur Facebook à l’époque, peut-être l’avez-vous vu passer. Et là, par miracle, ma mère voit le message sur Facebook et me reconnaît. Elle se débrouille pour prendre le contrôle de mon compte e-mail et grâce à ma connexion internet, mes proches arrivent à me localiser en prison. En quelques jours, tout le monde savait que j’étais enfermé, sans pouvoir me contacter.
De cette expérience traumatisante, je retiens cette scène particulièrement marquante. Au bout de trois semaines, les matons étaient globalement horribles avec moi. Ils tenaient des propos racistes ouvertement et ne cachaient pas leur haine anti-gaijin… Je ne pouvais pas leur parler et surtout pas leur répondre. Je devais garder mon sang froid, même si tout était fait pour me faire craquer. A un moment, un garde arrive et me dit de me taire ! « Mais je ne parle pas » lui ai-je répondu un peu naïvement. Et là j’ai réalisé que je pensais tout haut. Je parlais sans m’en rendre compte à force d’être isolé. J’étais devenu fou. Mais le réaliser m’a permis de me ressaisir et de me donner une bonne claque.
Avec l’isolement venaient les interrogatoires musclés. Pratiquement tous les jours, entre 2 à 5 heures d’interrogatoire avec la police. L’avocat est le seul humain que vous pouvez voir à l’exception de deux visiteurs (si vous en avez !). L’avocat m’a toujours dit de rester silencieux, de ne rien dire, sous aucun prétexte. Du coup, je ne disais rien pendant des heures. Parfois, on restait une heure à se regarder dans le blanc des yeux, sans rien dire. Je ne sais pas si c’était mieux que d’être enfermé dans ma cellule. C’était lourd et pesant, tant pour moi que pour eux. Ces interrogatoires sont faits pour vous ajouter des charges, rien de plus. Parler, c’est se rendre coupable. Je luttais contre moi-même pour tenir ma bouche fermée, alors que les questions des policiers n’arrêtaient pas.
C’est facile de lire mon témoignage et de se l’imaginer, mais c’est impossible de ressentir le dégoût, la folie, le froid, l’isolement total, sans l’avoir vécu. Je pense que beaucoup d’entre nous craqueraient dès la première semaine. Après un mois de ce traitement, je n’étais plus dans la réalité. Une fois libéré, quand je me réveillais le matin, je croyais que j’étais encore enfermé dans mes rêves. Je paniquais. C’était l’horreur. Ce sentiment est parti petit à petit.
Je l’avoue à contrecœur, ce modèle fondé sur la terreur est diablement efficace. Il détruit l’humain. Je ne pense pas que j’aurais pu tenir un an dans ces conditions. J’en serais mort.
Mon dernier avocat m’a dit : « T’as plus de chance de gagner au Loto que de sortir libre d’ici ». Trop de charges contre moi. Quand je suis passé devant la juge, j’étais à bout, dans un état second. Tous les avocats m’ont dit de me taire jusqu’au passage devant le procureur. J’étais un peu comme un Japonais, très humble, et calme, silencieux, ailleurs surtout. A la barre, j’ai expliqué ma vie et mon histoire au Japon, comment j’ai commencé à voler, ma descente aux enfers… J’étais à bout. Épuisé psychologiquement. Je n’en pouvais plus. J’étais sincère dans mon histoire. Et là, un miracle inespéré s’est produit. La juge décide de me libérer sans condition, sans même révoquer mon Visa. Là, sur le moment, j’ai pleuré de joie. Je suis tombé en larmes devant tout le monde. Cette décision était inespérée.
Ce que j’ai vécu à changé ma vie. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est que je dois assumer mes fautes. Être privé de liberté et se dire que la vie bascule, ça crée un déclic radical dans la tête. Je me demandais pourquoi le Japon était si droit, si propre, si bienveillant : maintenant je sais. Si tu « merdes », on te remet radicalement à ta place et c’est peu de le dire. C’est vrai que les Yakuzas ont souvent été au-dessus des lois, mais j’ai l’impression que ça change petit à petit. Ils ont moins de pouvoir qu’avant. Et moi, j’ai suivi bêtement cette mauvaise route.
Il est évident que je ne recommencerai jamais ce type de comportement, ni au Japon, ni ailleurs. D’ailleurs, je crois que le contexte culturel unique et mes mauvaises rencontres ont été propices à vivre cette expérience seulement au Japon.
Je crois même que ceci peut arriver à n’importe qui faisant les mauvaises rencontres et les mauvais choix. Aujourd’hui, je suis conscient des risques et respectueux des autres. Si tu violes des lois, tu en payes le prix fort. L’idée d’être tout puissant dans un pays qui te laisse faire en apparence est une erreur grossière. Ce que j’ai fait était totalement stupide et immature. Maintenant que je raconte cette histoire publiquement, l’esprit léger, je réalise tout le bonheur d’être en liberté. Sans la clémence de cette juge, je serais encore enfermé, dans le froid et l’humidité, la peur au ventre. Mais tout ceci est derrière moi.
Que mon histoire puisse servir de leçon à ceux qui, comme moi, risquent un jour de se laisser séduire par le monde de la nuit au Japon où tout semble possible…
Nous remercions Thomas pour son témoignage poignant, à cœur ouvert, en rappelant qu’il est parfois facile de juger hâtivement les actes de délinquance. Il est beaucoup plus courageux d’écouter une histoire unique avec empathie et de comprendre que les gens sont des êtres complexes qui peuvent changer et ont aussi droit au pardon, parfois.
Interview réalisée et textualisée par Mr Japanization