Si vous voulez voir un documentaire qui résumera à lui seul combien la discipline et l’envie de faire plaisir sont des valeurs chères aux Japonais, « The God of Ramen » est celui qu’il vous faut. Le très beau portait d’un chef qui a consacré sa vie à son restaurant et la qualité des plats qu’il y sert.

The God of Ramen est un documentaire réalisé par Takashi Innami en 2013.

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Il se penche sur le quotidien de Kazuo Yamagishi, le chef réputé du restaurant tokyoïte Taishoken. Le documentaire suit, sur 13 années, la vie du cuisinier, examinant sa longue carrière, ses difficultés de santé et professionnelles à la fin de sa vie, ainsi que l’impact de son travail sur le monde du ramen au Japon.

The God of Ramen : Au nom du goût

Kazuo Yamagishi a ouvert son restaurant en 1961. En 1955, il a inventé le tsukemen, ce plat de nouilles froides ou chaudes que l’on plonge dans du bouillon. Mais l’homme n’avait pas besoin de ça pour gagner en réputation. Son établissement est en effet une institution depuis plus de 30 ans.

La boutique ouvre ainsi tous les jours à 11h et des personnes font la queue devant dès 7h30. Il y a même une limite à 250 bols par jour (le soir du Nouvel an, le nombre monte à 500 !). Riverains, habitués mais aussi gastronomes venus de partout de Tokyo s’y ruent avant la fermeture à 15h.

Pourquoi ? Déjà parce que les plats y sont très bons. Les portions y sont aussi plus que généreuses. Enfin, beaucoup viennent ici autant pour la nourriture que pour son patron, véritable sommité du genre.

Un dieu parmi les hommes

Le chef du Taishoken est en effet un homme qui a consacré sa vie à faire des plats de qualité. En premier lieu car, comme souvent au Japon, il recherche la maîtrise absolue de son art. Chaque bol, chaque bouillon et chaque cuisson ont été testés des centaines de fois pour en arriver à une recette dont il peut se montrer fier.

Inlassablement, il se lève chaque matin à 4h30 et prépare la journée. Une discipline incroyable qui lui vaut l’admiration de nombreux aspirants. Ainsi, les disciples vont et viennent dans la petite échoppe, assistant avec attention à la confection des mets du maître. Est-il à la recherche de la gloire ? Bien sûr que non. Lui, il veut juste faire du bon travail et voir des sourires sur les visages de ses clients.

C’est d’ailleurs pour ça qu’il n’a jamais déposé le nom « Taishoken », permettant alors à qui le souhaite d’ouvrir son propre établissement sous ce nom… et de capitaliser sur la réputation du grand chef. Ainsi, certains ont fait fortune sur sa notoriété, mais pas lui dont les aspirations sont bien loin de considérations aussi banales que l’argent.

Car derrière la concentration se cachent aussi des brisures.

Une légende pas toujours dans son assiette

Ce qui fait la force de The God of Ramen, c’est en effet qu’il se penche autant sur la psychologie de l’homme que sur ses qualités de cuisinier.

Suivant Yamagishi sur plus d’une décennie, nous voyons sa santé se détériorer petit à petit. Il a de plus en plus de mal à marcher mais, comme souvent chez les artisans de l’archipel, il refuse de s’arrêter, même s’il met quelque part sa vie en jeu.

Pas de quoi faire toutefois peur au chef qui confie « Je ne vis que pour mon travail. Si je peux rester en bonne santé et travailler, je serai heureux. Je ne vis pas pour chercher le bonheur. »

Le spectateur sent ainsi en lui une certaine tristesse et des blessures qui n’ont jamais vraiment cicatrisé, à commencer par la mort de sa femme. Alors le documentaire de se teinter de mystère comme cette pièce à l’entrée cachée derrière des immondices et dont il interdit l’accès. Il y a aussi cette photo de chats depuis toujours dans son restaurant, jaunie par les émanations de gras et qu’il refuse de laver.

C’est un très beau portrait, émouvant et prenant, que nous propose The God of Ramen. Celui d’une passion, d’un chef dans la maîtrise de son art. Celui aussi d’un homme talentueux au destin incroyable mais sans égo qui vit simplement avec comme seul objectif de régaler ses clients, entouré malgré lui des fantômes du passé. Cerise sur le ramen, le magnifique thème musical du reportage est composé par Joe Hisaishi, mondialement connu pour ses bandes-originales des films d’Hayao Miyazaki et Takeshi Kitano.

The God of Ramen est à découvrir d’urgence et gratuitement sur YouTube en sous-titré anglais :

Et au cinéma en ce moment, ne manquez pas Lumière pâle sur les collines.

– Stéphane Hubert