Dans le quartier d’Akihabara, à Tokyo, la chef Yuki Chizui dirige le seul restaurant de sushis (sushiya) du Japon au personnel exclusivement féminin. Une petite révolution dans ce milieu qui exclut traditionnellement les femmes de la cuisine et dont elle espère que son exemple fera des émules.

Au Japon la préparation de sushis est « sacrée ». Il ne faut pas moins d’une dizaine d’années d’apprentissage sous la direction intraitable d’un chef confirmé pour maîtriser cet art. Et pour beaucoup de japonais dans le milieu, les femmes n’ont pas leur place dans cet univers très codifié en dépit du fait que les bars à sushis industriels pullulent.

Pourquoi pas les femmes ?

De nombreuses raisons sont avancées par ces hommes pour justifier le rejet des femmes dans le milieu : les femmes ne seraient pas faites pour supporter cet exigeant travail aux horaires difficiles. Leurs mains seraient trop petites pour former correctement les sushis. De plus, elles seraient plus chaudes que celles des hommes, ce qui altèrerait le goût des sushis tout comme leur maquillage et leur parfum perturbent leur odorat. Et, argument suprême, mis en avant par Kazuyoshi Ono, le propre fils et successeur du chef triplement étoilé Jiro Ono : « À cause de leur cycle menstruel, les femmes ont un sens du goût déséquilibré, c’est pourquoi elles ne peuvent devenir chef sushi ».

On le constate, ces explications semblent plus tenir de la superstition sur fond de culture patriarcale que d’une quelconque réalité scientifique. Quand bien même l’occidental moyen serait tenu de respecter cette culture, ce sont les Japonaises elles-mêmes qui réclament plus d’égalité et de respect en matière de restauration.

Toutes ces soi-disant justifications, Yuki Chizui a décidé de les reléguer à la poubelle de son sushiya. Pour elle, les arguments portés contre les femmes sont absurdes. « Nous ne portons ni parfum ni vernis à ongles, et mettons juste assez de maquillage pour être présentables aux yeux des clients » réplique-t-elle non sans humour à ses détracteurs.

La jeune trentenaire a ouvert en 2010 son établissement à sushi, le Nadeshiko Sushi, dans le quartier d’Akihabara à Tokyo. Dès l’entrée, une pancarte prévient les clients : « des sushis préparés par des femmes ». Car vous ne trouverez aucun homme derrière le comptoir en franchissant la porte de ce restaurant, la brigade de 6 à 7 personnes, est féminine. Un choix radical que Yuki assume totalement espérant ainsi attirer les regards et bousculer les idées reçues dans ce milieu dominé par les hommes.

« Au Japon, le poids de la tradition est important. Nous essayons de dépasser cette image stéréotypée des chefs sushi » déplore-t-elle. De plus, le lieu peut accueillir ces femmes qui voudraient travailler dans le secteur du sushi mais rejetées ailleurs en raison de leur sexe. Elle déplore au passage le manque de considération que subissent les femmes employées dans la restauration en général : « Nous avons travaillé pour des hommes maîtres sushi » raconte-t-elle. « Pour la plupart des chefs, l’intérêt des femmes résidait uniquement dans leur apparence physique. Nous étions juste bonnes à décorer et à façonner le riz. On n’attendait pas de nous que l’on apprenne à exécuter les tâches les plus difficiles ». Des arguments de poids pour Yuki qui s’est donc lancée à l’aventure.

Même si ses employées n’ont pas pu suivre le parcours traditionnel (aucun chef sushi n’accepterait de prendre une femme comme apprentie), elles ont néanmoins acquis les bases du métier à l’Académie du Sushi de Tokyo et perfectionnent leur savoir-faire dans le restaurant de Yuki. Elle-même s’est formée au métier sur le tas, en travaillant pour une chaîne de restaurants de sushis. Puis, elle a passé avec succès des examens confirmant ses compétences avant d’ouvrir son propre établissement. Situé à Akihabara, la ville électrique, le restaurant original est idéalement situé de sorte à également attirer les touristes. En effet, à nouveau, le restaurant pourrait être économiquement victime du rejet d’une partie des consommateurs.

Si le cadre de Nadeshiko Sushi est conforme à l’aspect classique du restaurant de sushis (un long comptoir en bois, tables minimalistes, shôji), l’ambiance se veut « fresh & kawai » (« frais et mignon »). Yuki et ses employées mettent en avant leur féminité, devenue un atout, en revêtant des kimonos aux couleurs vives, avec des fleurs ou des foulards colorés dans les cheveux. « Chaque restaurant de sushis à son style et ses saveurs propres, selon comment le riz est préparé, les poissons sélectionnés… Nous aussi, nous avons notre touche personnelle » affirme Yuki. La carte présente ainsi en plus des mets traditionnels, un menu spécial « deko » à la touche féminine marquée dans ses chirashi (bol de riz avec une garniture de poissons ou de fruits de mer) et ses makis décorés de formes et de motifs mignons.

Somme toute, Yuki analyse : « Au Japon, on considère que les chefs sushi sont des artistes. Les femmes, elles, sont de bonnes communicantes et sont d’un naturel plus gai » (…) « Grâce à ces qualités justement, je pense que les femmes peuvent devenir de bons maîtres sushi ». Aujourd’hui, Yuki souhaite que son exemple ne reste pas unique : « Un restaurant de sushis tenu par des femmes ne devrait pas être quelque chose de rare. J’aimerais voir plus de femmes chefs travaillant dans des sushiya, et en compagnie de chefs hommes aussi. Mais je pense que nous sommes sur la bonne voie » conclue-t-elle avec espoir.

S. Barret


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Sources : greatbigstory.comtheguardian.comen.rocketnews24.com