Quand on pense à « travail à temps partiel » ou à un « petit boulot », les premiers qui viennent à l’esprit sont souvent des postes comme serveur dans un restaurant ou caissière dans un konbini. Mais saviez-vous qu’au Japon, il existe une pléthore de jobs précaires bien plus originaux et souvent étonnants ? Voici une sélection de six emplois aussi uniques qu’insolites, propres à la culture Japonaise, encore pratiqués aujourd’hui.

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Oh oui, le Japon moderne est singulier sur bien des points, pour le meilleur et pour le pire. C’est ce qui fait toute son originalité et ce sentiment d’être propulsé dans une dystopie parfois étrange. Yuki nous invite à découvrir 6 emplois atypiques, uniques à la culture nippone.

1. Les surveillants de distributeurs de mouchoirs et leurs sur-surveillants

Distribuer des mouchoirs dans la rue est un emploi très courant au Japon, notamment pour les étudiants ou ceux n’ayant aucune expérience professionnelle préalable. Ces distributeurs sont souvent postés à des endroits stratégiques, abordant les passants avec un sourire et un simple paquet de mouchoirs, généralement accompagnés d’une publicité imprimée.

Cependant, il arrive que certains distributeurs, débordés par les exigences de distribution ou tout simplement peu scrupuleux, ne remplissent pas leur quota quotidien : ils peuvent rapporter des paquets non distribués ou, pire, les ramener chez eux et les jeter discrètement. C’est pour résoudre ce problème qu’a été introduit un système de « surveillance » : des travailleurs surnommés « les corbeaux » (カラス) surveillent ces distributeurs pour s’assurer qu’ils effectuent leur travail correctement.

Dans une anecdote rapportée par une émission de variété japonaise, un certain « A » a commencé comme distributeur avant d’être promu « corbeau » grâce à son sérieux. À l’insu du distributeur, le corbeau doit se cacher à un coin de la rue pour observer le distributeur de mouchoirs toute la sainte journée. Mais l’histoire ne s’arrête pas là : ce dernier fut, plus tard, promu « hibou » (フクロウ) : un préposé chargé de surveiller les corbeaux eux-mêmes ! Il découvrit alors qu’il était lui-même surveillé tout ce temps. Malheureusement, sa carrière prit fin lorsqu’il fut surpris à faire une pause dans un café au lieu de surveiller les corbeaux. Ironie du sort, il avait été signalé par un « observateur d’oiseaux » (バードウォッチャー), le superviseur suprême de ce système de surveillance digne d’une fiction.

Quand vous recevez un paquet de mouchoirs dans les rues japonaises, n’oubliez pas qu’un réseau complexe de surveillance veille en coulisses !

2. L’agent de contrition ou « proxy » d’excuses

Que ce soit par simple impossibilité de se déplacer, par peur ou tout simplement par timidité, certaines personnes préfèrent engager un professionnel pour présenter leurs excuses à leur place. Et en matière d’excuse, le Japon possède des codes bien définis. C’est là qu’interviennent les agents de contrition. Leur travail consiste à se rendre auprès de la personne ou de l’entité concernée, à exprimer des excuses sincères et à tenter d’apaiser les tensions.

Les demandes varient, allant de simples conflits personnels entre voisins à des erreurs professionnelles graves. Cependant, la raison la plus courante pour recourir à ce service reste les problèmes d’infidélité… Car l’agent peut aussi jouer un rôle et mentir sur son identité. Par exemple, un agent peut se faire passer pour une « maîtresse » afin de présenter des excuses au conjoint trompé, en utilisant des stratégies psychologiques étudiées pour éviter que la situation ne dégénère. Ceci peut aller jusqu’à ce prosterner à terre en hurlant. Ne rigolez pas ! Les enjeux financiers peuvent être très importants, surtout pour les couples mariés.

Remplacer un employé mentalement fragile ?!

La génération Yutori (※), souvent critiquée pour son extrême sensibilité, est souvent à l’origine de demandes de proxy d’excuses. Certaines entreprises préfèrent envoyer un proxy plutôt que de risquer de voir un jeune employé démissionner dans de mauvaises conditions après une confrontation difficile qui entraînerait peut-être des dédommagements financiers importants. La réputation de l’entreprise peut en dépendre !

※ La génération Yutori désigne les personnes nées entre le milieu des années 1980 et les années 2000, ayant grandi dans un système éducatif très protecteur, évitant la compétition excessive et le conflit.

Ce job de proxy d’excuses peut être risqué, la pression mentale étant énorme. Bien que ce travail puisse sembler simple, il nécessite d’importantes compétences en communication, une certaine capacité au jeu d’acteur, un sang-froid à toute épreuve et une bonne dose de patience face aux émotions fortes. Pensez-y avant de rompre avec votre petite amie Menhera

3. Pousser les passagers dans le train : le « Oshiya »

C’est peut-être le job loufoque le plus connu en dehors du pays. Au Japon, où la ponctualité est cruciale, même une minute de retard peut être critique pour le bon fonctionnement de l’ensemble de la société. Lorsque trop de passagers tentent de monter dans un train au même moment, les portes ne se ferment pas, retardant son départ. C’est là qu’intervient le « Oshiya », un employé spécialement chargé de pousser les passagers pour permettre la fermeture des portes. Ce job, appelé « Oshiya », a même fait l’objet de recrutements spécifiques.

Ce rôle a vu le jour en 1955 à la gare de Shinjuku, connue comme la plus fréquentée du monde avec un record de 350 millions de passagers par jour. À l’époque, des étudiants étaient recrutés pour remplir cette mission jugée ingrate. Jusqu’à 130 « Oshiya » étaient déployés par jour ! Cependant, avec l’apparition des portes automatiques sur les quais et l’augmentation du nombre de trains, ce métier emblématique du Japon tend à disparaître.

Dans les années 1980, un étudiant du nom de Hiroshi (nom modifié pour préserver son anonymat) a marqué les esprits en tant que « Oshiya ». Alors que le job était perçu comme ingrat, mais Hiroshi a su y apporter sa touche personnelle. Il avait développé une technique unique : il utilisait une petite planche en bois pour guider les passagers dans les wagons avec précision et sans brutalité. Cette méthode, bien qu’atypique, était si efficace qu’elle a rapidement attiré l’attention.

Un jour, un photographe de presse présent dans la gare a immortalisé Hiroshi en pleine action. La photo, publiée en une d’un journal local, était accompagnée du titre : « Le magicien de Shinjuku : comment un Oshiya transforme le chaos en ordre ». Hiroshi est devenu une petite célébrité parmi les habitués de la gare. Les passagers commençaient même à le reconnaître et à lui adresser des sourires ou des saluts lorsqu’ils le croisaient à son poste.

Mais cette notoriété a eu une fin soudaine. Un matin, alors qu’il utilisait sa fameuse planche pour pousser les passagers, un homme d’affaires pressé a mal interprété son geste. Se sentant attaqué physiquement, ce dernier a porté plainte, jugeant la méthode de Hiroshi trop intrusive et violente. Malgré son efficacité, Hiroshi a dû abandonner sa planche et revenir à des techniques plus conventionnelles pour éviter tout autre incident.

4. Le plieur d’origami professionnel

L’origami, symbole de paix et de bonne fortune, est un art traditionnel très réputé au Japon. Parmi les figures les plus célèbres, les grues de papier « senbazuru » occupent une place particulière, souvent associées à des vœux de santé ou de réussite. Lors de désastres comme des tremblements de terre, nombre de Japonais envoie des sacs entiers de grues en origami en soutien psychologique. 1000 grues à plier à la main ?! Vous imaginez l’ampleur d’un tel travail ?

Pour s’éviter cette peine, il est possible d’employer des plieurs de grue. Ce travail à domicile consiste à plier des milliers de grues de papier en un temps record. Mais attention : la précision et la qualité du pliage sont scrutées de près. Le salaire ? Très modeste. Une participante témoigne avoir reçu 2200 yens (15 euros) pour avoir plié 1000 grues, un travail exténuant qui lui a demandé plusieurs jours. Résultat ? Une tendinite. Un emploi certes original, mais très peu rémunérateur et à la limite de l’exploitation. Après tant d’efforts, elle a juré de ne plus jamais recommencer. Un paradoxe alors que la personne qui offrira ces grues le fera en son propre nom. Pourtant, le principe du pliage des 1000 grues est le dépassement de soi, à l’image de l’ascension du Mont Fuji.

5. Les « remplaçants de pèlerinage »

On reste dans l’esprit « flemme » avec les préposés au pèlerinage… Au Japon, le pèlerinage des 88 temples de Shikoku est une tradition sacrée, symbolisant réflexion, dépassement et purification. Cependant, avec un trajet de 1200 km et plusieurs semaines sont nécessaires pour réaliser cet objectif louable. Tout le monde ne peut se permettre un tel engagement, surtout au Japon où le temps libre est rare. Des « remplaçants » proposent donc de réaliser ce voyage spirituel à la place des fidèles, contre une rémunération substantielle. Bien que ce travail exige une grande énergie physique, il demande également du respect envers les croyances des clients et une implication sincère dans les rites. Il est ainsi très bien payé avec une rémunération allant de 350 000 à 500 000 yens par mission.

Le pèlerinage doit suivre un ordre précis, mais il existe une méthode appelée « gyaku-uchi » où les temples sont visités dans l’ordre inverse. Cette méthode est considérée comme plus difficile, mais aussi plus méritoire. Cependant, certaines légendes associent cette pratique à des malédictions. Le film d’horreur « Shikoku », sorti en 1999, a popularisé cette idée de malédiction du pèlerinage inversé.

Image du film Shikoku

6. Les « décolleurs » : maîtres de l’ombre des rencontres avec les idoles…

Lors des rencontres entre idoles et fans, les « décolleurs » sont chargés de réguler le temps passé par chaque fan avec son artiste préféré. Leur mission : s’assurer que l’événement reste fluide tout en évitant tout comportement excessif. Les rencontres avec les idoles permettent généralement aux fans de serrer la main de leur idole. Ces quelques secondes sont très précieuses pour les fans généralement masculins qui fantasment énormément sur les jeunes filles… Sans surprise, certains fans perdent la raison, dépassent le temps imparti et refusent de lâcher leur idole. C’est là qu’interviennent les « décolleurs » chargés de séparer délicatement (ou fermement) les fans des idoles.

Ce poste peut sembler anodin, mais il comporte des risques. Citons un incident de 2014, où un fan armé d’une scie a attaqué deux idoles et un membre du personnel pendant un tel évènement. Certains fans peuvent développer une relation maladive envers les idoles, au point de les traquer jusqu’à leur domicile en analysant leurs photographies postées sur les réseaux. Les filles doivent évidemment cacher toute relation personnelle avec des hommes, au risque de créer une explosion de jalousie dans la communauté. D’ailleurs, il leur est généralement interdit d’avoir des relations amoureuses privées au nom de leur carrière. Isolées et frustrées, elles deviennent d’autant plus fragiles pour les prédateurs du milieu du show-biz Japonais. Les histoires de viols ou de relations pas vraiment consenties entre des jeunes pré-ados en rêve de gloire et des producteurs beaucoup plus âgés ne sont pas rares…

Bonus : le job Légendaire : sous une table de massage…

Imaginez une salle de massage propre et lumineuse. Alors que votre massage commence, une voix légère émerge en dessous de vous : « Avez-vous quelque chose en tête en ce moment ? Voulez-vous en discuter ? ». Intrigué, vous engagez la conversation. Ce job légendaire consiste à discuter avec les clients, caché en dessous d’une table de massage.

En 2017, une annonce pour ce job avait attiré l’attention du public : « Aimez-vous discuter ? Venez travailler sous la table de massage pour discuter avec les clients ! ». L’annonce promettait une expérience unique, car peu de gens ont l’occasion de se cacher sous une table de massage… Un Japonais a même posté sur les réseaux sociaux qu’il avait reçu une « lettre d’acceptation » pour ce nouveau job, mais la suite reste mystérieuse. Aujourd’hui, cette annonce a disparu, mais elle reste un sujet de discussion sur les réseaux sociaux. Était-ce réel ou une blague élaborée ? Le mystère demeure. Mais vu la capacité des Japonais à créer des services loufoques, secrets et uniques en leur genre, personne ne serait étonné de l’existence d’un tel salon de massage… Il existe d’ailleurs au Japon autant de salons de « bien être » pour adultes qu’il existe de fantasmes imaginables.

Bref, ces quelques exemples illustrent à quel point les petits boulots en marge peuvent refléter la culture et les particularités d’un pays. Si certains peuvent sembler étonnants voire absurdes, ils offrent un regard unique sur la société japonaise et son ingéniosité face aux problèmes du quotidien. Rappelons cependant que si le Japon connaît un très bas taux de chômage, le travail précaire y est aujourd’hui très répandu.

– Yuki


Cet article a été rédigé par Yuki qui vient de rejoindre l’équipe. En situation de précarité, nous la rémunérons grâce à vos dons. Merci pour votre bienveillance.

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Sources et références :