L’artiste de rue japonais 281_Anti Nuke fait partie des très rares artistes nippons engagés dans une lutte. Suite à l’incident nucléaire, il se fait un nom dans le monde du street-art via les réseaux sociaux et ce en dépit du peu d’engouement des médias officiels à son égard, frileux envers cette forme d’art contemporain bien trop au-delà des normes. Nous avons rencontré ce militant anti-nucléaire dans un pays à l’importante activité sismique.
« INVISIBLE », « POLLUTION », « NO FUN », les mots sont simples, le message percutant, les symboles évocateurs. Les silhouettes, à peine esquissées pour être reconnaissables, sont majoritairement en noir et blanc avec une pointe de rouge. Au premier coup d’œil, on pense à Banksy auquel il est d’ailleurs souvent comparé, mais l’auteur de ces stickers qui peuplent Tokyo a choisi comme nom d’artiste 281_Anti Nuke. « Anti Nuke » comme Anti Nucléaire naturellement, et 281 en référence à l’un de ses maillots de lycéen, un « souvenir des jours heureux » dit-il avec nostalgie. Un simple numéro qui voulait devenir plus que ça…
Le traumatisme nucléaire japonais
Vous l’aurez deviné, 281_Anti Nuke milite contre le nucléaire et la menace que celui-ci représente dans un Japon à nouveau traumatisé par la catastrophe nucléaire de Fukushima. Un choc qui s’ajoute à celui provoqué par la fin brutale de la guerre, toujours profondément inscrite dans les arcanes de la culture moderne japonaise, notamment à travers l’image de Godzilla, ce lézard géant irradié, menaçant de détruire une ville.
En décembre 2011 il colle son premier sticker à Omotesando, un quartier de Tokyo : une réinterprétation du logo de Tepco, l’exploitant de la centrale de Fukushima. Une réaction quasi-spontanée face à la passivité des japonais, aux mensonges des autorités et aux non-dits des médias japonais au sujet des conséquences du désastre. En effet, c’est grâce à des échanges téléphoniques avec des correspondants étrangers qu’il dit avoir reçu le plus d’informations concernant l’incident et sa gravité.
Quelques semaines après le drame, alors que les médias japonais se voulaient rassurants et que les japonais reprenaient leur vie quotidienne comme si tout danger avait été écarté, les entreprises étrangères conseillaient à leurs employés de rester chez eux et de se protéger. Un double discours qu’il peine à comprendre. Il se rappelle : « Tandis qu’autour de moi les gens oubliaient, je sentais monter en moi de plus en plus de frustration et de colère envers ceux qui préféraient se voiler la face sur cette crise« . Le street art lui est alors apparu comme le moyen d’extérioriser ses sentiments : « Je voulais que le street art fasse réfléchir les gens et leur rafraîchisse la mémoire. » Il s’engage alors dans une lutte discrète et anonyme dans les rues de Tokyo.
Notre reportage
En sus des risques directs du nucléaire, il entend dénoncer le gouvernement japonais dont il redoute l’orientation toujours plus à droite, craignant un retour des années d’avant la Seconde Guerre Mondiale. Dans ses œuvres, il cible en particulier le Premier Ministre Shinzo Abe, aussi son motif favori, qui a fait voter fin 2013 une loi polémique sur les secrets d’état, menaçant le droit à l’information pourtant garanti par la Constitution japonaise et la liberté d’expression. Cette loi permettrait au gouvernement de dissimuler des renseignements capitaux au grand public au sujet d’une catastrophe comme celle de Fukushima. Par ailleurs, le gouvernement japonais reste résolument pro-nucléaire en dépit de l’incident mais surtout d’une opposition massive de la population (plus de 60%). La popularité dont jouit le Premier Ministre japonais est d’ailleurs pour lui un complet mystère.
Représailles et nécessité d’anonymat
« Les japonais essaient d’être tous pareils, mais au fond je pense qu’on a tous un avis différent. J’essaie de témoigner de ces différents avis grâce à mon art » nous explique-t-il avec lucidité. N’empêche. Il agace, déplaît, dans son pays où la contestation politique est rare, signe qu’il touche du doigt des sujets hautement sensibles et polémiques. L’homme reçoit régulièrement des menaces de mort et craint des représailles de certains groupuscules d’extrême-droite et même, dit-il, de la police qui pourrait l’arrêter entre autres pour diffamation ou dégradation de biens.
Par prudence, il refuse les photos, se dissimule derrière des lunettes noires, un masque blanc, une veste ou un sweet à capuche. Naturellement, il ne donne son identité à aucun journaliste. Impossible ne serait-ce que de savoir son âge précis, il entend n’exister qu’à travers sa signature graphique et ne cherche aucun bénéfice à son œuvre. Il a choisi le sticker et non le graffiti comme support par commodité : il peut les poser rapidement, ce qu’il fait de nuit, quand la rue est déserte. Ses messages sont en anglais, langue qu’il estime plus directe et plus incisive que le japonais. À ce jour, il estime avoir crée deux cents modèles dont il a posé des milliers d’exemplaires dans les rues tokyoïtes.
Il est facile aujourd’hui d’apercevoir son travail au cœur de Shibuya. Une vraie attraction à ciel ouvert, que peu de touristes connaissent ! Mais, souvent, il retrouve ses stickers abîmés, déchirés, comme si le fait de les mutiler anéantissait leur message. On est tenté de dire que cela les renforce au contraire. Utilisant souvent l’image d’une petite fille pour illustrer la pureté et la simplicité, des individus anonymes viennent régulièrement lui lacérer le visage. 281_Anti Nuke s’en dit surpris. Il y voit une sorte de communication très mystérieuse avec les gens qui n’ont pas les mêmes opinions. « Au moins mon avis est entendu » commente-t-il positif, et c’est là l’essentiel pour lui malgré les risques. Ouvrir le dialogue, un premier pas vers des actes, après les mots.
S. Barret
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Sources : 281antinuke.com / scmp.com / newyorker.com