La France a, en Octobre, la chance de découvrir au cinéma « La Comédie humaine », le tout premier film de Kôji Fukuda, sorti au Japon en 2008. Resté jusque-là à l’écart de l’Hexagone, le film nous enchante enfin de son trio d’histoires qui explore plusieurs facettes de la société japonaise. Un régal !
La Comédie humaine (2h20) est réalisé par Kôji Fukada, dont nous avions apprécié le récent Love Life. Ce drame japonais est composé de trois histoires qui s’entrecroisent et révèlent des vérités jusque-là bien enfouies. Dans Chat blanc, deux inconnues passent une étrange soirée marquée du sceau du hasard. Dans Photographie, une jeune photographe prépare une exposition de ses œuvres. Enfin, dans Bras droit, un homme amputé apprend à vivre avec un membre en moins.
Surmenage à trois
La Comédie humaine est donc un film composé de trois moyens-métrages durant chacun à peu près une quarantaine de minutes. Cette œuvre cinématographique profonde possède ainsi une narration travaillée et maligne. Tout se passe dans le même quartier avec des personnages qui vont et viennent suivant leur importance dans les différentes intrigues. Parfois principaux dans un segment, ils ne sont qu’évoqués dans un autre, ou simplement figurant dans le troisième.
Le long-métrage explore ainsi les intrications de la nature humaine à travers trois histoires distinctes mais interconnectées. On y découvre les vérités cachées de la vie quotidienne de ces Japonais, révélant alors des aspects de l’existence souvent négligés ou ignorés. Chaque histoire, bien qu’unique, trouve une résonance dans les autres, créant une tapisserie riche et nuancée de la vie moderne. On y parle d’amitié, d’amour, de besoin de reconnaissance et de mensonges. De la vie, tout simplement, qui s’égrène à son propre rythme.
Une danse lente et lancinante…
Comme souvent dans les films de Kôji Fukada, le rythme est ici lent, intime et donne beaucoup de place aux silences. Le réalisateur privilégie les plans séquences et c’est bien cette mise en scène fortement théâtrale qui donne de l’importance à ces moments où les mots n’ont pas leur place. Les regards qui se croisent et ceux qui s’évitent valent tous les longs discours, un constat encore plus vrai dans une société japonaise où les non-dits et le langage non-verbal ont valeur de vérité. Les longues conversations sur l’amour et les relations mettent ainsi en lumière la complexité des interactions humaines au Japon.
Sa caméra discrète parvient à capturer l’essence de chaque scène, permettant aux acteurs de briller tout en mettant en avant les subtilités de leurs interactions. Cette première œuvre porte en elle toutes les qualités de réalisation qui feront du Japonais un artiste au style reconnaissable 15 ans plus tard en quelques secondes. Le réalisateur a d’ailleurs réussi à se faire une place de choix dans le cœur des cinéphiles français avec L’Infirmière, le diptyque Suis-moi, je te fuis et Fuis-moi, je te suis ou Harmonium. Son cinéma touche universellement avec des thèmes pourtant teintés d’une couleur toute japonaise.
Les râteaux de l’archipel
La Comédie humaine est en effet bien plus qu’un simple drame. Il s’agit d’une fenêtre ouverte sur la société japonaise contemporaine. Chaque segment du film, bien que distinct, sert ainsi de miroir à des aspects spécifiques de la culture et de la mentalité nippones. On y retrouve ces histoires d’amour compliquées, souvent plus poussées par la raison que par le cœur. D’ici née l’insatisfaction et ce perpétuel questionnement sur la sincérité des sentiments.
Tout est codifié et on hésite souvent à donner sa place au hasard. Pourtant, dans le segment Chat Blanc, ce dernier donne naissance à une drôle de soirée que deux femmes n’oublieront jamais. Les hommes et les femmes sont en quête constante de connexion dans une société pourtant souvent perçue comme isolée.
Dans la deuxième partie intitulée Photographie, Fukada explore la pression sociale de la réussite et de la reconnaissance. La galerie d’art vide symbolise l’isolement ressenti par ceux qui ne répondent pas aux attentes sociétales, une thématique récurrente dans la culture japonaise. Là, la jeune photographe veut à tout prix exposer ses clichés sans vraiment être sûre de posséder un certain talent. Et si elle le fait plus par amusement au départ, elle ne peut que constater son échec à fasciner autant ses amis que des inconnus de passage.
Une autre paire de manche
Enfin, Bras droit aborde le concept de « membre fantôme », que l’on peut voir comme une métaphore puissante de la manière dont le passé et les regrets peuvent hanter l’esprit japonais. Masaki perd un bras dans un accident mais il le ressent toujours, et pas de n’importe quelle façon : son poing est serré. Ce symbole fort montre en effet son envie d’en découdre avec son quotidien, alors qu’il garde pour lui un lourd secret. Doit-il le confier à sa femme et faire exploser son couple ? Lui qui vient de se marier sait bien qu’il a tout à perdre à le faire, alors que le mariage est un passage obligé et véritable image d’une certaine idée du bonheur suivant les carcans sociétaux du Japon.
Fukada, à travers ces 3 histoires, braque un périscope sur les maux de son pays, mettant en lumière ses désirs, ses craintes et ses espoirs. Il dépeint une société en quête de sens, où tradition et modernité coexistent souvent en tension.
Cette ressortie de l’inédit La Comédie humaine est un signe fort et osé de la part du distributeur Art House. Il nous montre combien le cinéma japonais à aujourd’hui une place importante sur les écrans de l’hexagone. Personne ne va s’en plaindre, nous les premiers.
Le film est à retrouver au cinéma en France depuis le 18 octobre.
Stéphane Hubert