Comment ne pas sentir perdue dans un monde immense où tout semble possible et en même temps hors de portée ? C’est le quotidien de Kana, l’héroïne du film « Desert of Namibia », miroir d’une jeunesse japonaise désenchantée qui ne sait plus trop où donner de la tête. Une œuvre à la forte personnalité au cinéma le 13 novembre.
Desert of Namibia est un film de Yoko Yamanaka (Amiko).
On y suit Kana (Yuumi Kawaii), une jeune japonaise de 21 ans, dont la vie n’est qu’une succession d’instants sans saveur. Même tomber amoureuse ne sert qu’à faire passer le temps. Insatisfaite de sa relation avec Honda, un garçon attentionné, elle le quitte pour Hayashi, un jeune homme plus excentrique. Entre tribulations professionnelles et sentimentales, Kana se cherche.
La confirmation d’un potentiel infini
Avant même de parler du film, penchons-nous sur la personnalité singulière de sa réalisatrice. Yoko Yamanaka signe ici, à 27 ans, son deuxième long-métrage. Elle s’est faite remarquée dès son premier : Amiko, tourné à seulement 20 ans pour une poignée de milliers d’euros. Pourtant, le film est remarqué et remporte même le Prix du Public au Pia Film Festival en 2017. Encore plus fou, il se retrouve invité à la 68e Berlinale.
La jeune femme d’à peine 20 ans devient alors la plus jeune réalisatrice à être sélectionnée à ce festival. Derrière, sa carrière décolle et elle enchaîne avec un segment du film choral 21th Century Girl ainsi que quelques épisodes de séries avant de revenir l’année dernière au long-métrage.
« Desert of Namibia a été tourné en à peine deux semaines autour de Tokyo.
Desert of Namibia a été tourné en à peine deux semaines, en septembre 2023, autour de Tokyo. Un tournage commando qui ne l’empêchera pas d’être sélectionné à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes cette année. Une reconnaissance méritée ?
Secret of Kana
Ce nouveau long-métrage suit Kana, une Japonaise de 21 ans qui a des difficultés à contrôler son humeur. Parfois complètement neurasthénique, elle se perd sur Youtube à regarder en direct ce qui se passe dans un désert en Namibie, comportement qui donne le titre du film. Et puis parfois, le volcan émotionnel explose ! Imprévisible, elle l’est tout autant que l’œuvre dont elle imprime absolument chaque seconde de pellicule.
Dans une des scènes qui ouvrent le bal, Kana discute avec son amie Ichika qui lui annonce qu’une de ses anciennes camarades de classe s’est suicidée. Et là où devrait naître des élans de tristesse s’invitent des interrogations très terre à terre sur la technique utilisée pour commettre l’acte.
Nous nageons en plein humour noir, dans un dialogue aussi plat sur la forme que surprenant sur le fond. Dès les premières minutes, le ton est donc donné : Desert of Namibia n’est vraiment pas un film comme les autres, et même son titre n’apparaît qu’à la 45ème minute. Tout ça en traitant d’un sujet d’actualité qui trouble et compromet le futur de l’archipel.
Desert of Namibia : l’âme torturée d’une jeunesse fatiguée d’avance
Kana est en effet le portrait d’une jeune femme désabusée par le monde qu’on lui offre sur un plateau en plastique. La vingtaine à peine entamée, elle travaille dans un centre d’épilation laser avec un niveau d’épanouissement proche du néant. Dans chaque scène s’y déroulant, elle a d’ailleurs tout simplement l’air d’être un robot répétant mécaniquement des informations préenregistrées. Professionnellement, ce n’est donc pas la plénitude jubilatoire. Et côté cœur ?
Là aussi, il y a d’un côté sa vie avec Honda, son copain officiel agent immobilier, rangée, calme et dans laquelle elle s’ennuie. Puis sa deuxième avec Hayashi, électron libre véritable étincelle inattendue. Pourtant, une fois qu’elle partage un appartement avec lui, la passion s’essouffle pour faire place à un quotidien qui étouffe la jeune fille. Surtout quand son compagnon lui impose, par exemple, qu’elle l’attende pour manger.
Quand le patriarcat pointe le bout de son nez, Kana ne retient plus sa colère. Les objets volent dans la pièce, les cris percent les tympans et les poings se heurtent aux chaînes invisibles pour les briser petit à petit. Yoko Yamanaka fait de son héroïne un modèle de femme s’efforçant de se libérer dans une société japonaise encore et toujours marquée par la force de son patriarcat. À la recherche d’un bonheur dont elle ose à peine encore rêver ?
Cette crise existentielle pour se sentir enfin vivante est jouée avec brio par une interprète habitée par le sujet.
Yuumi Kawai : l’ombre lumineuse
Pour qu’un film comme Desert of Namibia tienne sur la longueur (2h17 quand même !), il faut que l’actrice principale soit à la hauteur. Un pari plus que réussi pour Yuumi Kawaii, que l’on a déjà pu apprécier ces dernières années au cinéma en France avec des apparitions dans Plan 75, N’oublie pas les fleurs ou le récent A Man.
La Japonaise de 23 ans ensorcelle sans effort, forte d’un charisme nonchalant et hypnotique. Elle élance sa silhouette longiligne dans les rues de Tokyo jusqu’à sembler parfois ne pas vraiment maîtriser son corps et son esprit. La moue boudeuse accrochée au visage pendant presque la totalité du film, ses rares sourires n’en sont que plus lumineux.
L’actrice joue parfaitement le volcan et on sent dans son regard hagard que ses troublent intérieurs bouillent d’une rage qui ne peut pas rester éternellement contenue. Sa présence dans le film est un petit miracle venu d’une demande audacieuse d’il y a quelques années, comme le raconte la réalisatrice :
« J’ai rencontré Yuumi Kawai il y a six ans, lorsqu’elle est venue voir mon film « Amiko » et m’a remis une lettre. Elle était alors au lycée, et c’était avant qu’elle ne devienne actrice.
La lettre disait : « Je vais devenir actrice. S’il vous plaît, souvenez-vous de moi lorsque vous ferez un casting pour un film. » Ses yeux pleins de confiance m’ont marqué, et c’est pourquoi je l’ai choisie pour le rôle de Kana ».
Desert of Namibia est un état des lieux bouleversant et terrifiant d’une jeunesse féminine japonaise à la croisée des chemins. Soit elle monte la voix et la société évoluera dans le bon sens. Soit rien n’est fait et elle court vers l’explosion. L’œuvre de Yoko Yamanaka est ainsi une alarme qui doit résonner partout et le plus fort possible !
Distribué par Eurozoom, le film est à découvrir au cinéma en France dès le 13 novembre.
– Stéphane Hubert