Difficile de profiter de son été quand on voit son père faire face à la mort. Pourtant, dans le film « Renoir », Fuki se détache de sa réalité pour se créer un autre monde plus insouciant. Ou comment accepter le pire en imaginant le mieux.
Renoir est le nouveau film de Chie Hayakawa, déjà réalisatrice du très réussi et perturbant Plan 75.
Nous y suivons Fuki, 11 ans, qui vit entre un père hospitalisé et une mère débordée et absente. Un été suspendu commence ainsi pour la petite Japonaise, entre solitude, rituels étranges et élans d’enfance. Dotée d’une sensibilité hors du commun, elle cherche à entrer en contact avec les vivants, les morts, et peut-être surtout avec elle-même.
Renoir : Fuki aux pays des merveilles

Le long-métrage de Chie Hayakawa nous invite à suivre une héroïne bien jeune. Pourtant, malgré son âge, elle vit bien des aventures en deux heures de film. D’habitude, à 11 ans, on a plutôt l’habitude de jouer avec ses amis et chasser les papillons. Mais Fuki en a décidé autrement. Persuadée qu’un autre monde plus palpitant existe, elle s’essaie à la télépathie ou l’hypnose pour transcender sa réalité. Le petite fille a surtout énormément d’imagination, ce que son professeur confirme à sa mère. Les devoirs d’écriture qu’elle produit sont en effet pleins d’imagination, mais rarement très joyeux.
Il faut dire qu’autour d’elle, ce n’est pas le royaume de l’optimisme.
Une famille s’endort

Dans Renoir, la famille japonaise est loin d’être un modèle d’équilibre. D’un côté, le père souffre d’un cancer de l’estomac. Il se retrouve ainsi rapidement cloîtré dans une chambre d’hôpital, loin de sa fille. Et quand cette dernière lui rend visite, ce ne sont pas les grands discours qui s’enchaînent entre les deux. Face à eux, la mère de Fuki fait ce qu’elle peut pour tenir la tête haute. Cadre dans une grande société, elle semble toutefois oublier que sa fille existe. Il se pourrait même qu’elle pense déjà à l’après. Quand son mariage sera terminé.
Alors la jeune fille se retrouve très souvent seule et expérimente. Hélas, le monde autour d’elle n’est pas que bienveillance. Une scène en particulier en fin de film vous glacera le sang. Toute l’innocence de Fuki est mise à mal alors qu’un nouveau drame personnel vient de lui ouvrir sa porte.
Et si les thèmes sont assez noirs dans l’ensemble, la mise en scène nous offre de nombreux beaux moments d’émotions.
Un peu de moi et beaucoup d’ailes

Si le film se déroule en 1987, c’est que Chie Hayakawa s’est inspirée de sa propre expérience cette année-là. Elle aussi a ainsi vu son père combattre un cancer. Puisant dans ses réactions à l’époque, elle a donc truffé son scénario des nombreuses interrogations qui ont alors traversé son esprit, notamment la culpabilité de ne pas avoir été assez là. Peut-on faire preuve d’égoïsme face à la mort éminente d’un proche ? Comme elle l’a révélé, c’est le fait qu’elle soit elle-même devenue mère de deux enfants qui a changé sa vision de ce moment charnière de sa destinée :
Aujourd’hui, en approchant de l’âge qu’avaient mes parents quand j’étais enfant, je comprends la solitude que le père a dû ressentir, incapable de s’ouvrir à sa famille, mais aussi celle de la mère dépassée, en lutte contre ses émotions. J’ai l’impression que je peux enfin regarder avec plus de bienveillance mon adolescence, hantée par l’anxiété et la solitude, et représenter avec compassion nos imperfections humaines et nos comportements erratiques.
Son deuxième film se nourrit de cette émotion, tout spécialement dans la manière de filmer certains passages.
Dans un splendide silence

La mise en scène de la Tokyoïte se couvre en effet d’un beau voile de délicatesse. Comme un puzzle à la forme faussement désespérée, elle multiplie ainsi des scénettes toute en finesse et en pudeur autour de Fuki. Ces vignettes d’un été pas comme les autres nous émeuvent à chaque fois. Encore plus quand elles se protègent de toute verbosité.
Renoir n’est en effet jamais aussi beau que quand il oublie les mots. Les regards et les silences magnifient alors les moments suspendus. Et les protagonistes de découvrir qu’ils ne sont finalement pas aussi éloignés les uns des autres.

La musique du Français Rémi Boubal offre en plus un écrin de tendresse à ces scènes d’une grande beauté. Les tintements harmonieux de notes de piano toute en légèreté façonnent alors un cadre qui nous transporte dans un univers de songes éthérés. Et l’on sourit. Comme Fuki. Mention spéciale à son interprète Yui Suzuki dont c’est le premier long-métrage. Ses premiers pas sont en tout point prodigieux.
Présenté en compétition officiel au festival de Cannes, Renoir est un voyage étonnant, magique et fascinant, aussi désespéré que réconfortant. Chie Hayakawa transforme donc l’essai avec brio après son Plan 75 qui nous faisait déjà réfléchir sur la mort. Pour mieux apprécier la vie qui nous attend avant ? Assurément.

Distribué par Eurozoom, Renoir est à découvrir au cinéma en France dès le 10 septembre 2025.
Stéphane Hubert
















































