Adapté du 9ème roman éponyme de l’écrivaine belge Amélie Nothomb « Amélie et la métaphysique des tubes » est un bijou d’animation français sorti le 25 juin dernier et à (re)découvrir en DVD dès le 14 novembre 2025. Le film nous fait voyager dans l’univers singulier et délicat de l’autrice, dont l’imaginaire puise aux sources de son enfance japonaise.

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Après des années d’écriture et pas moins de 15 mois de gestation, « Amélie et la métaphysique des tubes » nous plonge dans les montagnes du Kansai à la fin des années 1960, dans le village de Shukugawa, près de Nishinomiya.

Fruit du travail de Liane-Cho Han (animateur et story-boardeur français) et Mailys Vallade (qui a travaillé sur « Les hirondelles de Kaboul » et « J’ai perdu mon corps »), le film a été diffusé à Cannes lors d’une séance spéciale et a remporté cette année le Prix du Public à Annecy.

Un film biographique

Amélie Nothomb, dont la légende voudrait qu’elle soit née à Kobe (d’autres diront qu’il s’agirait plutôt d’Etterbeek en Belgique), a passé les premières années de sa vie au Pays du Soleil levant.

Le roman comme le film, relate les 3 premières années d’existence d’Amélie alors qu’elle n’est, jusqu’à ses 2 ans et demi et d’après ses termes, qu’un « tube digestif inerte et végétatif dont les activités se bornent à des besoins primaires ». Le pédiatre japonais qui l’ausculte au début du film ne mâche d’ailleurs pas ses mots : « votre enfant est un légume ».

Étonnamment, ce constat n’est pas pour déplaire aux parents d’Amélie dont le père, consul à Osaka, est déjà bien assez occupé. Il est vrai qu’on ne s’ennuie pas chez les Nothomb. A la maison André et Juliette, les ainés de la fratrie, crient, jouent et se bousculent, brisant le silence (et les fenêtres) d’une maison traditionnelle japonaise sous le regard désespéré de Kashima-San, la propriétaire des lieux.

Alors, Amélie, qui ne parle pas et ne bouge pas, observe ce monde qu’elle pense contrôler. Elle est Dieu, omnipotente, au centre de tout. Dans ses pensées, elle débute une réflexion métaphysique et s’interroge sur son statut de « tube » dans un délire autobiographique hilarant. Mais le 13 aout 1969, c’est un tremblement de terre qui déclenche finalement ses premiers hurlements.

Puis, c’est sa grand-mère belge, de passage au Japon, qui provoque l’épiphanie en lui offrant un carré de chocolat blanc. Amélie est transcendée. Elle s’illumine, décolle, ouvre enfin les yeux sur le monde. Le printemps est là, c’est l’hanami (花見), les cerisiers sont en fleurs, et l’enfant-Dieu se range enfin du côté des mortels.

Une douce esthétique franco-Ghibli

Nourris par l’esthétique des films de Rémi Chayé (« Calamity, une enfance de Martha Jane Cannary » et « Tout en haut du monde »), Liane-Cho Han et Mailys Vallade ont travaillé les couleurs comme des peintres avec leurs palettes. Le graphisme est doux comme une peinture à la gouache, sans contour, dans des couleurs qui évoluent au rythme des saisons.

Si l’influence des studios Ghibli ne peut être niée, la patte française est bien présente et magnifie chaque plan. La couleur et les formes sont toujours mises au service de la narration. Ainsi, la nourrice d’Amélie, Nishio-San est tout en rondeur, souplesse, jaune et lumineuse comme le soleil alors que Kashima-San, plus rigide, porte le violet de la mélancolie, rappelant les traumatismes vivaces de la 2nde guerre mondiale.

Au fil des mois, c’est le champ visuel d’Amélie qui s’élargit et les contours d’une ville, invisibles les premières années, se dessinent au loin pour l’enfant qui grandit, comme pour le spectateur. Entièrement fabriqué en France, « Amélie et la métaphysique des tubes » s’offre également un habit sonore lumineux et poétique, composé par la pianiste Mari Fukuhara.

Chaque plan est une invitation à découvrir les éléments discrets qui font le Japon. On retrouve les chaines de pluie (Kusari Doi 鎖樋), les carpes dans les bassins des jardins zen, le (moins discret) chant des cigales qui emplit l’espace lorsque l’été arrive, les fūrin (風鈴) qui tintent au gré du vent.

Dans l’entrée de la maison, les chaussures sont délicatement déposées par Nishio-San dans le bon sens (contrairement aux enfants de la famille) avant de pénétrer sur les tatamis de la maison, les shoji coulissent doucement entre les pièces et la nourrice prend plaisir à faire découvrir les yōkai à une petite Amélie émerveillée par cette femme qui l’aime comme une mère.

Peu à peu, Amélie prend conscience de la fugacité de l’existence. D’abord, lors des cérémonies d’Obon, lorsque Nishio-San partage l’intime et la tradition en l’emmenant déposer des lanternes sur la rivière, mais aussi lors de l’épreuve de son premier deuil.

Enfin, alors que la jeune enfant se rêve japonaise, elle découvre le déracinement lorsqu’elle apprend que tôt ou tard, il faudra rentrer en Belgique. Arrachée à ce monde qu’elle idéalise, Amélie grandit et découvre qu’elle appartient à un monde bien plus vaste que celui du jardin derrière la maison.

Le film tout entier est une poésie et une ode à l’enfance. Les amoureux d’animation comme les amoureux du Japon apprécieront la délicatesse avec laquelle les sujets les plus sensibles (comme les blessures intimes de la guerre) sont abordés.

D’abord sceptique à l’idée de cette adaptation périlleuse, Amélie Nothomb a finalement déclaré sur France Inter : « Je suis absolument bouleversée par ce film. De tous les films qu’on a tirés de mes livres, c’est incontestablement mon préféré. » Et c’est le nôtre aussi !

-Maude Jnvx