Le cinéma japonais, riche en nuances et en émotions, nous offre régulièrement des œuvres qui transcendent les frontières culturelles tout en restant profondément ancrées dans les traditions et les réalités de la société nippone. « Déménagement », réalisé par le talentueux Shinji Sômai en 1993, est l’un de ces joyaux cachés et il est enfin visible au cinéma en France !

Déménagement est un film réalisé par Shinji Sômai en 1993, adapté d’un roman d’Hiko Tanaka. Il nous plonge à Kyoto dans le quotidien de Renko, une jeune fille dont les parents viennent de divorcer. Son père déménage, et elle doit donc s’adapter à cette nouvelle vie voulue par les adultes. Révoltée contre le monde des grandes personnes qu’elle interroge avec clairvoyance, elle devra apprendre à grandir et à se réconcilier avec eux au cours d’un cheminement qui l’amènera aux confins de la réalité.

La plus adulte des trois

L’intrigue de Déménagement ne doit pas se réduire à la simplicité apparente de son titre. Focalisée sur un divorce vécu à travers les yeux d’un enfant, elle est traitée avec une profondeur et une sensibilité qui la rendent finalement universelle. Sômai, avec sa vision artistique unique, aborde en effet ce sujet délicat en mettant l’accent sur le prisme de l’enfance. Au lieu de se concentrer uniquement sur le drame des adultes, il choisit en effet de donner la parole à Renko, offrant ainsi une perspective rafraîchissante et touchante sur la dissolution d’une famille. Sa caméra suit Renko dans ses moments de solitude, de confusion et d’espoir, capturant avec justesse les émotions contradictoires qu’elle éprouve.

Nous suivons donc les errances de la jeune fille, aussi espiègle, déterminée que déroutante pour les autres comme pour elle-même. Elle tente de comprendre ce qui se passe avec toute l’innocence de son âge. Elle cherche tant bien que mal une quelconque logique à cette séparation, mais difficile pour elle d’en trouver une qui fait sens à ses yeux. Nous partageons tout avec elle, ses joies, ses rires, ses moments légers comme ses peines, et le réalisateur réussit à créer un vrai lien émotionnel entre elle et le spectateur.

Shinji Sômai explore ainsi les dynamiques familiales en mutation dans le Japon contemporain. Et il le fait avec beaucoup de talent, sur le fond comme sur la forme.

Une réalisation inspirée et virtuose

La réalisation de « Déménagement » est en effet un véritable tour de force de la part du Japonais. Sa maîtrise technique est évidente à chaque plan et chaque séquence. Que ce soit la photographie ou la direction artistique, tout est très beau et réfléchi. Il n’y a qu’à voir le choix malin et pertinent de cette étrange table triangulaire qui nous questionne dès les premières minutes du film et qui symbolise l’état émotionnel fractionné de cette famille qui l’est tout autant.

La version présentée cette année en France est en plus restaurée en 4K, et le résultat est sublime. L’un des éléments les plus marquants du film est sans doute le travail sur la lumière. Les nuances d’ombre et de lumière jouent en effet un rôle crucial dans la narration, reflétant les émotions des personnages et l’atmosphère générale du film. On est souvent face à des tableaux qui nous donnent envie de mettre le film en pause.

Les scènes intérieures sont régulièrement baignées d’une lueur douce et tamisée, évoquant la chaleur du foyer mais aussi la mélancolie de la séparation. À l’extérieur, les paysages urbains sont magnifiés par un éclairage naturel qui souligne la beauté éphémère de la vie quotidienne. La caméra de Sômai, quant à elle, se déplace avec fluidité, capturant des moments intimes avec une discrétion respectueuse.

Les plans-séquences, utilisés à bon escient, immergent le spectateur dans l’univers du film, le rendant témoin privilégié des événements. Le metteur en scène sait de plus faire preuve d’idées de mise en scène créatives et inspirées, comme cette scène où le père de Renko monte des escaliers pour aller voir sa fille. Elle, dans sa chambre, ne dit rien, alors que le mur entre les deux semble une barrière infranchissable. Déchirant.

Et que dire de la fin dont on se gardera bien ici de vous détailler, mais qui se permet un voyage au bord du rêve et de l’onirisme absolument incroyable. De quoi laisser bouche bée. Encore plus alors que l’on sait aujourd’hui qu’elle n’était ni dans le scénario, ni dans le roman et qu’elle a été tournée sans autorisation et 100% improvisée ! Sans elle, le film ne serait pourtant pas aussi réussi. Un coup de génie de Sômai, tout simplement.

La réalisation est parfaite pour mettre en lumière cette histoire à la résonance mondiale que le réalisateur n’oublie pas de saupoudrer d’une touche toute japonaise.

Déménagement de l’archipel ?

Déménagement s’inscrit en effet profondément dans le tissu culturel japonais, nous plongeant au gré de son scénario dans d’authentiques moments de la vie quotidienne au Japon. Des séquences clés du film s’inspirent ainsi directement de traditions et de symboles culturels nippons. Par exemple, une scène mémorable se déroule lors d’un matsuri (festival traditionnel japonais). À travers les yeux de Renko, le spectateur est immergé dans l’effervescence de la fête à Kyoto, avec ses lanternes colorées, ses musiques entraînantes et ses danses folkloriques. Ce festival, symbole de communion et de joie, contraste pourtant avec la mélancolie intérieure et la fuite en avant de la jeune fille.

Dans les dernières séquences, Sômai utilise le symbole du torii, ce portail traditionnel qui marque l’entrée des sanctuaires shinto. Il est communément la porte entre le monde réel et celui des dieux. Dans le contexte du film, le passage sous un torii au bord du lac Biwa peut symboliser là aussi la transition de Renko entre deux mondes : celui de l’enfance insouciante et celui de la réalité adulte. Ces éléments culturels, habilement intégrés à l’intrigue, enrichissent le récit et renforcent l’authenticité du film.

Saluons également la prestation incroyable de la jeune Tomoko Tabata qui incarne Renko. Choisie parmi 8253 fillettes, elle est de tous les plans et donne corps à l’héroïne avec brio. Sa prestation est remarquable, alternant avec talent et justesse la complexité des émotions d’une enfant confrontée à la séparation de ses parents. Elle est tour à tour innocente, maligne, tête à claque, perdue, vulnérable, poignante… En un mot : parfaite !

Déménagement est un film incroyable et tous les amoureux de cinéma peuvent remercier Survivance de le distribuer aujourd’hui enfin dans l’hexagone (tout comme il l’avait fait pour le très bon Yamabuki). Il fait sans doute possible partie des chefs-d’œuvre japonais. Hélas, Shinji Sômai nous a quittés en 2001, mais il nous laisse une filmographie riche et que nous avons hâte de découvrir. Encore plus en version restauré avec autant d’amour et de minutie.

Déménagement

Déménagement est à découvrir au cinéma en France dès le 25 octobre.

Stéphane Hubert