Avant de s’envoler pour une mission sans retour, les kamikazes ou kamikazés (神風) se sont confiés dans d’ultimes lettres d’adieu. Une centaine de ces dernières viennent d’être compilées dans un recueil par l’historien Christian Kessler. Un précieux témoignage de l’état d’esprit de ces très jeunes hommes au moment de renoncer à la vie pour une cause perdue…

En 1944, la guerre est d’ores et déjà perdue pour le Japon. Cela n’empêche pas l’Armée impériale de créer les « corps spéciaux d’assaut » : des pilotes formés dans l’unique but d’opérer une attaque-suicide sur les navires de la flotte américaine avec leur avion chargé d’une bombe de 250 kilos.

De leur histoire, il reste une trace particulièrement intrigante : des lettres d’adieu. Publié ce 22 août, Les Kamikazés 1944-1945 – Leur histoire, leurs ultimes écrits permet de mieux comprendre le mystère de leur fin de vie.

Les « corps spéciaux d’assaut »

Les « corps spéciaux d’assaut » (tokubetsu-kôgeki-tai ou tokkô-tai) de pilotes Kamikazés (1) furent crées en octobre 1944, alors que la guerre était d’ores et déjà perdue pour le Japon, et ce depuis 1943.

En effet, la défaite de la marine japonaise força les dirigeants de l’Armée impériale à se rabattre sur leur aviation. Le manque d’hommes les décida à recruter des étudiants puis des lycéens, jusque-là épargnés par la conscription, pour effectuer des « tai-atari » (frappes directes avec le corps). Des attaques désespérées, sacrifiant la jeunesse du pays, planifiées dans l’espoir de repousser l’inéluctable échéance et de négocier plus avantageusement la paix. Ils prirent le nom de Kamikazés ‘vents divins’ en référence aux typhons qui auraient sauvé le Japon de deux invasions mongoles en 1274 et 1281.

Les commando-suicides impliquèrent des pilotes de l’aviation mais aussi – et on a tendance à l’oublier- de la marine, à travers plusieurs inventions :

-Le Kaiten : surnommé « torpille humaine », un sous-marin de poche conçu autour d’une torpille, qui causa d’ailleurs plus de morts du côté des forces japonaises qu’américaines.
-L’Ôka : un planeur en bois muni d’une ogive et inséré dans le fuselage d’un avion transporteur. Le pilote de l’ôka s’en détache lorsqu’une cible se trouve à proximité et plonge sur elle en piqué.
-La vedette-suicide Shin’yô (ou Maru-ni) : armée soit de grenades sous-marines (à larguer, ce qui laissait une faible possibilité de survie) soit d’une charge explosive à la proue.
-Le submersible Kairyû : équipé de deux torpilles et de 600 kilos d’explosifs, déployé pour défendre les côtes de Tokyo contre l’invasion américaine. Ils n’ont jamais servi en raison de la capitulation du Japon.

Autres techniques finalement peu utilisées du fait de la fin de la guerre, la mine lunge pour l’infanterie, les scaphandriers kamikaze Fukuryû munis d’une perche de bambou de 5m avec une mine naval à son extrémité, et les parachutistes-suicide Giretsu. Toutes ces inventions témoignent du jusqu’au-boutisme exalté d’une armée japonaise prête à sacrifier ses hommes pour ne pas capituler.

Une jeunesse sacrifiée

Bien qu’il y eu également des femmes, la plupart des Kamikazés étaient de jeunes étudiants, puis des lycéens, surtout entre 16 et 22 ans. La propagande japonaise proclama qu’ils étaient volontaires, mais s’il y en eut bien sûr quelque-uns, la réalité n’est pas aussi manichéenne.

D’abord, les inscriptions furent davantage le fruit de la contrainte des autorités aidée par la pression sociale, l’idéalisation des figures de guerriers historiques, la voie du guerrier « bushidô » instrumentalisée et ses valeurs (loyauté, obéissance, honneur, sacrifice),… autant de notions inculquées depuis l’enfance, qui poussèrent ces jeunes hommes à s’enrôler et à accepter leur sort, bien plus qu’un élan fanatique révélé par l’endoctrinement militaire d’un Japon alors ultra-nationaliste.

« Contraints d’être volontaire en somme, par devoir envers leur famille, leur pays, leur Empereur,… »

Par ailleurs, refuser, c’était s’exposer – ainsi que sa famille – au déshonneur ainsi qu’à être envoyé vers une mort certaine et sans gloire au front. « Contraints d’être volontaire » en somme, par devoir envers leur famille, leur pays, leur Empereur, ils espéraient au moins que leur sacrifice empêche le bombardement des populations civiles et le débarquement des forces ennemies.

Les pilotes étaient sommairement entraînés à diriger leurs avions de manière à éviter d’être abattus par l’aviation ennemie avant de se jeter sur leur cible dans une attaque fatale.

Une escadrille suicide se composait généralement de 5 appareils : 3 avions Kamikazés et 2 avions d’escorte chargés de les protéger puis de rapporter le succès de la mission. Le départ des pilotes s’accompagnait d’une cérémonie diffusée à la population civile : sous les yeux d’un public composé de leur pairs et de jeunes filles agitant des branches de sakura ou des foulards, les pilotes assistaient à un discours déclamé par un officier puis buvaient une dernière coupe de saké avant de monter dans leur cockpit puis de disparaître à l’horizon.

Une mise en scène théâtralisée au service de la propagande militaire pour glorifier leur sacrifice.

Au plus près des Kamikazés

Les Kamikazés emportaient avec eux un senbari, ceinture en soie blanche cousue de 1000 points aux vertus protectrices (efficace contre le froid au moins), le bandeau frontal hachimaki hérité des samouraïs, une poupée consolatrice masukotto confectionnée par les femmes pour aider les militaires à combler le vide de leur famille ou de leur fiancée, mais pas de sabre comme on le lit parfois car leur métal aurait brouillé les instruments de vol.

Les premiers Kamikazés furent lancés lors de la campagne des Philippines en octobre 1944. Ils seront utilisés jusqu’à la fin de la guerre, participant à la féroce bataille d’Okinawa. Au fur et à mesure que le conflit approcha de son terme, les bons avions venaient à manquer, la formation des pilotes se réduisit à quelques jours et la défense américaine se renforça face à leurs assauts.

Le bilan des attaques-suicides est difficile à évaluer, d’autant plus que le gouvernement japonais en surestima l’importance. En croisant les sources, on estime à 470 le nombre de navires touchés dont 60 coulés, à près de 7 000 soldats ennemis tués et 10 000 blessés, pour la mort 10 000 à 15 000 Kamikazés de tous types (pilotes d’avion, Kaiten, Ôka, Shinyô).

« le sacrifice des Japonais apparut aux yeux des américains comme un signe de bestialité »

En seulement 10 mois sur les 44 que dura la guerre, les attaques d’avions Kamikazés représentèrent 48,1% des dégâts infligés aux vaisseaux de guerre américains mais au prix d’immenses pertes côté japonais qui n’ont même pas retardé l’avancée adverse. Elles eurent également un effet psychologique sur les troupes américaines, suscitant l’incompréhension, la terreur mais aussi le mépris, car l’armée américaine s’efforçait, elle, de limiter ses pertes et de ramener les corps de ses morts. En comparaison, le sacrifice des Japonais leur apparut comme un signe de bestialité.

Les lettres vestiges

Malgré la fugacité de leur vie et mort, avant leur ultime envol, les Kamikazés rédigeaient des lettres à l’adresse de leur famille, incités par les autorités militaires. Le pilote se retrouvait alors seul face au papier dans un suprême moment d’introspection. Il lui fallait accepter de renoncer à sa trop courte vie et partir en paix avec lui-même, ses proches, et son pays qui l’envoyait à la mort.

A leurs lettres, parfois calligraphiées avec leur sang, les jeunes hommes joignaient des phanères : cheveux, ongles… car c’était tout ce qui allait rester d’eux pour des funérailles. De par la nature de leur mission, leur corps ne pouvant pas être rendus à leur famille.

Après leur décollage, l’armée délivrait d’ailleurs rapidement ces ultimes écrits aux familles des pilotes, non sans y appliquer une sévère censure car ils étaient aussi destinés à être montrés au public pour galvaniser le patriotisme de la population.

Empreinte d’un avion kamikaze Mitsubishi Zero sur le H.M.S Sussex, 1945

L’historien et professeur Christian Kessler, spécialiste du Japon, a réuni une centaine de ces lettres et poèmes dans le recueil « Les Kamikazés 1944-1945 – Leur histoire, leurs ultimes écrits » tout juste publié. En plus de l’histoire des Kamikazés, il y livre son analyse sur le contenu, le style et la psychologie des auteurs épistolaires.

La plupart des Kamikazés étant étudiants, ils disposaient d’un certain bagage culturel et littéraire. Leurs lettres s’inscrivaient dans une longue tradition japonaise que l’on peut faire remonter aux journaux intimes des dames de la cour Heian (tels ceux de Murasaki Shikibu, de Sarashina, d’Izumi Shikibu…). Souvent, elles contenaient un poème d’adieu jisei (絶命詩), emprunt d’une autre tradition littéraire japonaise.

Sur le modèle de lettres fournies par l’armée, les Kamikazés exprimaient ainsi leur reconnaissance envers leurs parents (la figure maternelle étant prépondérante), leur volonté – teintée d’un nationalisme romantique – de mourir honorablement pour défendre leur pays, le regret de quitter ce monde, l’acception sereine de ce destin funeste avec des références au shintoïsme ou au bouddhisme.

Fait surprenant, on note l’absence de propos haineux envers l’ennemi, rarement nommé de plus, que l’on va tenter d’emporter dans la mort. Quelques lettres montrent le fanatisme de certains Kamikazés. A l’inverse, l’on trouve de rares écrits qui osent critiquer la politique militariste japonaise.

Photo d’un groupe de pilotes kamikazes japonais à l’aérodrome de Chōshi en 1944. Un seul de ces 18 hommes, Toshio Yoshitake, a survécu à la guerre après que son avion a été abattu par un chasseur américain. Source : Commons Wikimedia

Les auteurs des lettres savaient aussi qu’elles seraient exposées au sanctuaire Yasukuni dédié aux soldats morts au combat ; que leur âme était destinée à rejoindre. Alors, en plus des sentiments familiaux et des préoccupations matérielles sur le devenir de leurs proches, les Kamikazés y faisaient également référence aux mythes guerriers dont ils ont été nourris durant leur scolarité.

L’image de la fleur de cerisier, en particulier, était récurrente. Elle qui tombe intacte après quelques jours de vie, fut le symbole de la vie fragile des samouraïs, pour devenir ensuite celui du dévouement à l’Empereur, de la supériorité du Japon nationaliste. Le sakura apparaît dans les manuels scolaires, la culture populaire, sur le fuselage des avions peint par les pilotes et ultimement dans leurs lettres d’adieux.

L’USS Bunker Hill touché par deux Kamikazes, le 11 mai 1945 à Kyushu. Source : Commons Wikimedia

La mémoire et l’oubli

Après la Seconde Guerre mondiale, les Kamikazés furent oubliés, témoins gênants d’un passé honteux. Mais depuis une dizaine d’années, leur mémoire est remise en avant : sujet tabou durant des décennies, les Kamikazés font désormais l’objet d’expositions et sont présentés comme des héros ayant sacrifié leur vie pour leur pays. En 2014, le Japon soumettait même l’inscription de 333 lettres de Kamikazés au Patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui suscita l’indignation de la Chine et de la Corée.

Une symbolique loin d’être anodine alors que le gouvernement japonais nationaliste tente de revenir sur la Constitution pacifiste imposée par l’occupant américain en 1946 ainsi que le décrit Christian Kessler. De fait, entre devoir de mémoire et endoctrinement, la frontière reste fine.

Les Kamikazés 1944-1945 – Leur histoire, leurs ultimes écrits de Christian Kessler est publié par Perrin, disponible depuis le 22 août.

– S. Barret


Note :
(1) Kamikazés : nous reprenons l’orthographe utilisée dans l’ouvrage qui retranscrit mieux la prononciation japonaise du terme « Kamikaze » passé dans le langage courant.