Connaissez-vous les tabi (足袋) ! Ces chaussettes japonaises à séparation de gros orteil, littéralement « sac à pied », méritent bien qu’on leur consacre une histoire

Au Japon de la période Heian (794–1185), les élites nobles arpentaient des palais en sandales de bois ou de cuir, comme les traditionnelles geta (下駄), pieds à moitié nus. Inspirés par leurs voisins chinois et coréens, il fallut tout de même les adapter aux saisons les plus froides, avec une sous-couche de tissu.

Des chaussettes prisées

L’ancêtre des chaussettes était né. Toutefois, il a fallu attendre la période Muromachi (1336–1573) pour voir apparaître les premiers tabi cousus. Ces chaussettes sophistiquées, souvent faites en coton, étaient si luxueuses qu’elles n’étaient d’abord réservées qu’à une certaine élite.

Les tabi sont unisexes. Source : flickr

Petit détail crucial : le coton, ce matériau doux et pratique, n’est arrivé au Japon qu’au XVIe siècle, grâce aux échanges commerciaux avec la Chine et l’Asie du Sud-Est. Avant cela, on bricolait des modèles avec du chanvre ou de la soie.

Grâce au coton, les tabi sont devenues plus confortables et accessibles… Du moins, plus accessible, car les paysans et paysannes, eux, n’ont pu se les offrir pendant longtemps.

La séparation entre le gros orteil et le reste du pied n’est pas qu’un caprice esthétique. C’est une invention ingénieuse pour s’adapter aux geta et aux zori, ces sandales japonaises traditionnelles dont la lanière passe justement entre les orteils.

Geta modernes. Source : flickr

Les tabi, un symbole ritualisé

Porter des tabi n’était pas qu’une question de mode. Sous l’ère Edo (1603–1868), leur utilisation était codifiée. Les tabi blancs étaient de rigueur pour les grandes cérémonies, comme les mariages.

Les modèles colorés ou à motifs, eux, étaient réservés à la vie quotidienne. Par ailleurs, les tabi ne doivent jamais toucher le sol en dehors de la maison.

Les tabis blanches sont de rigueur avec un kimono habillé. Source : flickr

Les jika-tabi : la chaussette botte

Avance rapide au XXe siècle, et voici les jika-tabi (ou « tabi au contact du sol »). Ces bottes à semelle en caoutchouc, inspirées des tabi du point de vue esthétique, sont notamment les favorites des ouvriers et agriculteurs.

Vous les avez sûrement déjà vues dans les films ! Si elles ne sont plus aussi populaires aujourd’hui, souples et confortables, elles restent un symbole de praticité japonaise.

Jika-tabi. Source : flickr

Les chaussettes modernes

Au Japon, les chaussettes ne se cachent pas comme ailleurs. Elles sont régulièrement exposées grâce à l’habitude de se déchausser à l’entrée des maisons et des temples. Résultat : porter des chaussettes trouées ou sales est un faux pas monumental.

Les Japonais ont même élevé la chaussette au rang d’art : vous trouverez des modèles imprimés de vos mascottes préférées, des chaussettes « 5本指の靴下 », à cinq orteils, et même des chaussettes spécialement conçues pour… les chaises. Les tatamis ne rigolent pas avec les rayures !

Tabi à 5 doigts. Source : flickr

Malgré l’occidentalisation du Japon, les tabi ont su résister. Aujourd’hui, ils sont portés pour les festivals, les cérémonies traditionnelles, et même revisités en accessoires de mode. Les designers japonais s’amusent à moderniser ces chaussettes emblématiques tout en préservant leur essence.

Tabi renforcées à l’acier. Source : flickr

Que ce soit pour impressionner votre entourage ou simplement pour entrer dans la peau d’un japonais de la période Heian, ces chaussettes japonaises sont un cadeau parfait. Bonus : elles permettent à vos gros orteils de se sentir spécial. Et ça, c’est tout simplement fabuleux.

– Claudia Garnier


Bibliographie

足袋沿革史 Ce livre explore l’évolution historique des tabi, de leur origine à leur adoption dans la culture japonaise moderne. Il est très intéressant car il offre une analyse détaillée sur l’étymologie et les différentes formes des tabi).

Image d’en-tête : Girlydrop.com