Takeshi Kitano est un maître du cinéma japonais qu’il a fait rayonner hors de ses frontières insulaires aux côtés de géants comme Akira Kurosawa ou Yasujirō Ozu. Véritable artiste touche à tout, c’est en 1997, quand « Hana-bi » reçoit le Lion d’or de la Mostra de Venise, que sa notoriété explose véritablement internationalement. Il est depuis un acteur et metteur en scène très respecté à la carrière parsemée de chefs-d’œuvre cinématographiques. Petit tour en coulisses, pour en découvrir plus sur cet homme extraordinaire à travers 5 anecdotes incroyables.
Takeshi Kitano vient de fêter ses 75 ans le 18 janvier. Un âge canonique pour un artiste vénérable qui part pourtant de très loin… Quand il fait ses débuts dans le manzaï en 1970 (une période racontée dans le très agréable Asakusa Kid qu’on vous recommande fortement), il y a fort à parier que jamais il n’aurait pensé avoir cette carrière fulgurante. De trublion à animateur, peintre, écrivain, en passant par scénariste et réalisateur touche à tout, l’artiste avancera pas à pas avec une décontraction totale, beaucoup de talent et parfois aussi beaucoup de hasard.
1. Devenu réalisateur par accident
Si aujourd’hui personne ne remet en cause le talent de réalisateur de Takeshi Kitano, en 1989, c’était une autre paire de manches… D’ailleurs, alors qu’il est au sommet de sa célébrité en tant que comique, rien ne laisse présager qu’il deviendra un jour metteur en scène. Il faut pour cela que le sort s’en mêle. Alors qu’il doit tenir le rôle principal du film Violent Cop, Kinji Fukasaku – qui devait le mettre en image – tombe malade. La production propose alors à l’acteur de prendre sa place, ce qui, contre toute attente, il accepte. Et là où beaucoup auraient angoissés intérieurement en faisant profil bas face à l’ampleur de la tâche, Kitano, lui, reprend entièrement le scénario et l’adapte à sa sauce, créant ce personnage d’antihéros taciturne qu’il reprendra plus tard dans ses autres longs-métrages. Violent Cop devient un succès énorme et plante à jamais la graine de réalisateur dans le cœur du Japonais.
2. Une tentative de suicide manquée ?
Kitano est connu pour son visage impassible traversé de tics incontrôlables. Ceci est le résultat d’un accident de scooter survenu en 1994, Kitano finissant droit dans un mur alors qu’il ne portait pas de casque. Il restera un mois à l’hôpital et subira de lourdes opérations de chirurgie esthétique. A cette époque, il est une des plus grandes stars du Japon et la pression de cette célébrité lui est devenue insupportable à vivre. Dans son livre autobiographique Kitano par Kitano, l’artiste s’est confié candidement sur ce qu’il pense être un suicide déguisé :
Cette nuit-là, j’étais parti à un rencard à 3 heures du matin, puis ce fut l’accident. Je me suis écrasé contre une rambarde. On m’a retrouvé si défiguré, le visage si amoché, que, d’après ce qu’on m’a dit, les docteurs avaient conclu que c’était comme si j’avais roulé volontairement, désespérément, vers la mort (…), comme si je m’étais tiré une balle dans la tête. Je n’en suis pas tout à fait certain, mais un instant avant le choc fatal, j’ai peut-être crié “Go !” et foncé.
A partir de ce moment, Takeshi Kitano ne s’imposera plus aucune limite et fera les films qu’il a envie de faire, tout en essayant de préserver sa sensibilité d’enfant. Dans le documentaire Citizen Kitano d’Yves Montmayeur, il explique ainsi son état d’esprit :
Aussi mature, aussi riche que je devienne, je veux rester intègre et fidèle à moi-même, à ma vérité !
Sans cet accident, peut-être n’aurions nous pas eu la chance de découvrir des œuvres plus tendres comme Kids return, Hana-bi et L’Eté de Kikujiro.
3. Kikujiro ou l’ombre d’un père absent..
L’Eté de Kikujiro, justement, parlons-en. Il faut savoir que Kikujiro, avant d’être le prénom du personnage d’ex-yakuza qu’il incarne dans le film, était celui du père de Kitano… Un homme alcoolique et violent avec qui l’artiste a eu une relation, on s’en doute, plus que compliquée.
Je me souviens avoir joué une seule fois avec lui. (…) Durant mon enfance, mon père ne m’aura vraiment parlé qu’à peine trois, peut-être quatre fois.
Dans le long-métrage sorti en 1999, soit 20 ans après la disparition de son père, Kitano explique le caractère cathartique de cette œuvre touchante et sensible :
Le personnage principal est un homme d’une cinquantaine d’années qui refuse d’admettre sa déchéance. Il se pose des tas de questions. C’est quelqu’un, sentimentalement, de très maladroit. Il ne sait jamais quoi dire à cet enfant de neuf ans, Masao, qui durant les vacances d’été, débarque dans sa vie sans prévenir. Je voulais que ce film soit un road-movie, à pied, car quand on marche, pas à pas, le temps passe différemment.
L’acteur est lui-même père de deux enfants, Atsushi et Shoko. Cette dernière apparaissait dans Hani-bi et s’est essayé à la musique en tant que chanteuse. Son père avait même signé la réalisation du clip de sa chanson Begin, gros succès au Japon en 1988, mais qui restera finalement le seul de la jeune femme âgée alors de 16 ans.
L’enfer vécu par Kitano dans son enfance peut se découvrir dans son livre auto-biographique intitulé La vie en gris et rose. Un passage nous marquera tout particulièrement : « Quand on est arrivé à la maison, le paternel était en train de frapper notre mère. Une banale habitude dans leurs disputes conjugales. Pitoyable. Vraiment affligeant, ce genre de scène. Comme c’était dimanche et qu’il pleuvait, mon père n’avait pas pu aller travailler, et ma mère l’avait sans doute engueulé parce qu’il ne fichait rien. Pour toute réponse, il l’avait bourrée de coups de pied tout en buvant près de deux litres de saké. Et mon frère qui chialait, déçu de ne pas avoir pu acheter le gant. Je me suis senti obligé de pleurer, moi aussi. »
4. Le Pixel Kitano délirant de Nintendo
En 1986, Taito propose un partenariat à Takeshi Kitano pour développer un jeu vidéo pour la Famicom de Nintendo (équivalent de notre NES occidental). Le résultat porte le nom de Takeshi no Chōsenjō, un jeu complétement délirant qui nous fait dire que Kitano a vraiment dû avoir une liberté totale pour créer cette œuvre selon ses intentions.
Ces dernières sont d’ailleurs annoncées dès l’écran-titre sur lequel on peut lire « Ce jeu a été réalisé par quelqu’un qui déteste les jeux vidéo ». Ce grand n’importe-quoi vidéoludique défie ainsi toute logique dans son déroulement et il faut refaire et refaire les mêmes actions jusqu’à répondre correctement à chaque question qui vous est posée.
On s’y saoule dans un bar, on se bat avec sa femme avant de demander le divorce, on chante dans un karaoké avant de partir à la recherche d’un trésor. Les phases d’action sont d’une difficulté sans nom et la récompense finale est un nouveau pied-de-nez de Kitano. Accueilli par une version pixélisée du comique qui se contente au départ d’un simple « Cool. », le joueur se voit finalement assené un lapidaire « Tu t’es vraiment embêté pour finir ce jeu pourri ? Imbécile ! Ne prends pas ça trop sérieusement. ». Beat Takeshi dans ses œuvres de trublion, tout simplement, entre génie et sale gosse mal élevé.
Il se réconciliera néanmoins avec le monde du jeu vidéo 30 ans plus tard. Dans l’exceptionnel Yakuza 6, il prête ses traits et sa voix au personnage de Toru Hirose, le patriarche du clan Hirose de la ville d’Onomichi.
5. Expert en claquettes… et Artiste TOTAL.
Être acteur, réalisateur et scénariste, c’est déjà avoir un spectre artistique assez complet. Mais Takeshi Kitano est bien plus que ça. Formé aux claquettes, il a fait assez souvent montre de son talent à la télévision nippone, comme durant cette séquence où il reprend Stand by me de Ben E. King avec un orchestre en jouant des claquettes…
Le Japonais est également écrivain et a publié plus de 120 livres au pays du soleil levant. Cela va de romans à des biographies, tout en passant par des livres pour enfants, mais aussi des recueils de poésies ou même de photos.
Kitano est aussi chanteur et pianiste et a sorti plus d’une vingtaine d’albums sur l’archipel. Un pan de sa carrière qui nous est totalement inconnu en occident. On vous laisse donc avec une sélection de performances lives qui nous montrent qu’il n’y a décidément aucun art que ne maîtrise pas ce sacré génie qu’est Takeshi Kitano, Artiste Total.
On quitte ici notre artiste singulier avec une citation vibrante de son livre « Naissance d’un gourou » :
« L’homme est décidément un drôle d’oiseau. Jamais il ne sombre définitivement dans le chagrin, ni ne baigne définitivement dans le bonheur. Le moindre changement de situation peut le faire passer d’un extrême à l’autre. » – Takeshi Kitano.
Stéphane Hubert / Mr Japanization