La prochaine Coupe du Monde de rugby va se dérouler au Japon entre fin septembre et début novembre 2019. En vue de cet évènement sportif importante qui précédera les J.O. de 2020, une polémique grandit au Japon sur les tatouages qu’arborent de nombreux rugbymen. On pense notamment aux All-Blacks dont les tatouages maoris sont un signe traditionnel de fierté. La fédération internationale de rugby a ainsi déjà conseillé aux sportifs de dissimuler leurs membres tatoués, en guise de prévention dans un pays où le tatouage est encore très largement mal perçu par la population. Retour sur ce désamour et le choc des cultures qu’il engendre.
Des origines aux yakuzas
Les premières traces de tatouage sur l’Archipel se retrouvent chez les Aïnous, le peuple aborigène vivant à Hokkaïdo dont la présence au Japon est plus ancienne que les actuels Japonais et menacé d’extinction. Nommé « Hiromono » le tatouage consistait pour les femmes à s’encrer les bras et le visage à la puberté et au mariage. Les principaux tatouages des femmes Aïnous se trouvaient autour de leur bouche pour imiter les barbes et moustaches des hommes. Elles avaient aussi des tatouages géométriques sur les avant-bras dont il fallait cacher la vue aux hommes sous peine de malheur. Les tatouages des hommes manifestaient leur appartenance à un clan ou à un corps de métier. Les tatouages avaient à la fois une fonction esthétique et spirituelle, pour se protéger des mauvais esprits, s’assurer une vie après la mort et de rejoindre ses ancêtres. Cette pratique a failli disparaître quand les Japonais ont envahi Hokkaïdo.
Tatouages aïnous :
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Aux époques Jômon (-15 000 à -300 avant notre ère) & Yayoi (-800 à 250 de notre ère) il semblerait que les Japonais se soient tatoués par superstition lorsqu’ils allaient risquer leurs vies (à la pêche au requin par exemple) avant que la pratique ne se soit cantonnée aux guerriers. Puis à l’époque Nara (710-794) avec l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme prohibant la transformation du corps, le tatouage disparait pour ne revenir qu’à l’époque Edo (1603-1868) où cet art devenu marginal va à terme être assimilé à la mafia.
En ce temps, il pouvait toujours avoir une connotation positive ou négative en fonction du sujet exprimé. Positive lorsque présent sur le corps d’un pompier pour montrer son courage et demander une protection divine ou d’un samouraï pour marquer son appartenance et sa fidélité à un clan (et accessoirement faciliter l’identification de son corps sur le champ de bataille). Négative lorsque présent sur celui des prostituées (tatouées en signe de fidélité envers un client par qui elles espéraient être rachetées) ou des criminels que l’on marquait sur le front ou l’avant-bras pour les désigner à la population et les exclure de la société, une pratique commencée vers 1720 et abolie en 1870.
Et c’est cette seconde connotation qui va finalement l’emporter lorsque le gouvernement Meiji (1868-1912) va interdire le tatouage et que les yakuzas vont se l’approprier, signant son rejet définitif par la société nippone et la clandestinité de la pratique. Un rejet renforcé par la vague populaire de films mettant en scène des malfrats dans les années 60 et que n’endiguera pas la levée de l’interdiction du tatouage en 1948 par le général MacArthur sous l’occupation américaine du Japon après la Seconde Guerre Mondiale.
Nommé « irezumi » le tatouage recouvre de larges parties voir l’ensemble du corps du yakuza quand il est achevé (ce qui prend des années selon un procédé traditionnel douloureux et qui coûte très cher). Les motifs élaborés des tatouages yakuzas répondent par ailleurs à une symbolique bien précise et sont inchangés depuis des siècles. Ils sont issus des mythologies & religions taoïstes, bouddhistes, shintoïstes, et du succès d’un roman chinois « Au bord de l’eau » paru au XVIIIème siècle dont les héros sont tatoués et qui provoqua un engouement pour le tatouage à sa sortie, inspirant les illustrateurs & peintres d’estampes diffusées en masse. L’art de l’irezumi est très codifié et comporte plusieurs formats. Le tatouage reflète l’appartenance et la loyauté à un gang et est personnalisé selon les faits d’armes et le caractère du yakuza. Ils varient aussi d’un gang à un autre. De nos jours les yakuzas sont de moins en moins nombreux à se faire tatouer, par discrétion, en raison des lois votées contre le crime organisé ces dernières années. Mais la mauvaise image perdure.
Le tatouage, un signe banni donc
Le métier même de tatoueur n’est pas reconnu au Japon ni réglementé, un artiste doit apprendre sur le tas pendant des années auprès d’un maître confirmé. La plupart des salons de tatouage demeurent discrets sans devanture explicite, leur existence se transmettant de bouche à oreille et certains n’acceptent des clients que sur recommandation. La profession évolue dans une zone grise relativement tolérée par les autorités car générant des profits et attirant des touristes (qui constituent la plus grande part des clients). Mais la tolérance semble avoir atteint ses limites ces dernières années. Pour fermer des salons de tatouage, les autorités hostiles se servent de l’imprécision d’une loi de 2001 prévoyant que seuls les professionnels de santé peuvent manipuler des aiguilles.
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Évidemment sans formation médicale, les tatoueurs se voient soumis à une amende ou sont obligés de fermer boutique. Une lutte sournoise des autorités contre le tatouage et ce alors même que la part de la population nippone tatouée et tolérante au tatouage chez les plus jeunes augmente, amorce d’un changement de mentalité que l’on espère durable. Une campagne « Sauvez le tatouage » a été lancé par Taiki Masuda, un tatoueur victime d’une amende de 150 000 yens (environ 1 200€) pour « violation des lois de la médecine ». Il espère que cette campagne (rassemblant 20 000 internautes japonais ou étrangers) permettra de sauver cette pratique culturelle nipponne, redorer son image et éviter que les tatoueurs ne doivent s’exiler ou exercer dans la clandestinité. En parallèle une pétition a été adressée au Premier Ministre pour réclamer un cadre légal à la pratique du tatouage. L’issu d’un procès lancé en 2017 par ce même tatoueur contre les autorités sera déterminant pour l’avenir de la profession. Le verdict d’appel devant la Haute Cour d’Osaka est attendu pour le 14 novembre 2018… (MAJ : la Haute Cour a déclaré que le tatouage n’était pas un acte médical, une ouverture vers une reconnaissance future du tatouage ?)
Tatouage et yakuzas demeurent si étroitement mêlés dans l’imaginaire collectif que tatoueurs & tatoués sont toujours victimes de nombreuses discriminations au quotidien. Les tatoueurs professionnels peuvent se voir refuser la location d’un appartement en raison de leur métier. Il est impossible d’exercer une profession auprès d’enfants en étant tatoué. La presse nippone a ainsi relaté l’histoire d’un professeur de langue assistant qui a été vu torse nu (dévoilant son tatouage) sur son balcon par le parent d’un de ses élèves. Le parent a cru que ce professeur était un yakuza et a prévenu l’école. Le professeur a non seulement perdu son emploi mais a aussi dû déménager dans une autre ville. Comme les onsen, les salles de sport et les piscines peuvent refuser et renvoyer les gens tatouées si quelqu’un découvre un tatouage sur une personne – japonaise ou étrangère – et s’en plaint à la direction de l’établissement. Quand bien même les tatouages concernés n’auraient rien à voir avec les irezumi traditionnels des yakuzas mais seraient d’inspiration occidentale, l’assimilation reste trop forte dans la mentalité japonaise, surtout chez les personnes plus âgées.
Dans le même ordre d’idée, les touristes étrangers se voient ainsi conseiller de cacher leurs tatouages pour entrer dans un onsen (à l’exception des endroits hyper-touristiques où les visiteurs sont la cible commerciale). Alors que leur chance d’appartenir à la pègre sont quasi nulles. Sans compter que les tatouages portés par un yakuza, un non-yakuza ou un visiteur étranger sont radicalement différents comme rappelé ci-dessus. Le moindre petit dessin sur un bras par exemple devra le plus souvent être caché. Une règle que la plupart des touristes acceptent pour respecter les coutumes locales du pays qu’ils visitent mais qui prend une autre tournure dès lors que le Japon doit recevoir un nombre conséquent d’étrangers potentiellement tatoués dans le cadre d’évènements sportifs notamment. Aujourd’hui, la question prend une tournure nationale.
Choc des cultures en vue à l’aube de la Coupe du monde de rugby et des JO
Ainsi, pour revenir à la future Coupe du Monde de rugby, la Fédération Internationale de rugby encourage les joueurs à cacher leurs tatouages comme le détaille Alan Gilpin, le directeur du tournoi : « Si les joueurs s’entraînent dans des lieux publics, ils auront à se couvrir. Mais nous n’allons forcer aucune équipe à le faire. Ils le feront parce qu’ils veulent respecter la culture locale. Quand l’Irlande, l’Italie, le Pays de Galles ou l’Écosse y sont allés, ils l’ont tous fait ». Mais la Fédération s’engage dans le même temps à sensibiliser les Japonais, précise encore Alan Gilpin : « Nous allons aussi prévenir les personnes qui vivent autour des installations que les joueurs de rugby avec des tatouages ne sont pas des yakuzas. »
Car la Coupe du Monde de rugby risque de n’être que la partie émergée de l’iceberg, un test grandeur nature. En 2020 Tokyo accueillera en effet les Jeux Olympiques, un évènement sportif d’une ampleur encore plus considérable, au retentissement mondial, et le problème des tatouages arborés par des étrangers risque de se poser de nouveau. Un nombre encore plus important d’athlètes qui participeront à la compétition seront tatoués, tout comme un nombre non négligeable de supporters étrangers qui viendront au Japon pour l’occasion. En mars 2016, les autorités avaient déjà encouragé les onsen à accepter les touristes tatoués et la population à respecter les diversités culturelles. Plusieurs d’entre eux se sont adaptés à ces recommandations. D’autres perpétuent l’interdiction.
Tatoués étrangers ou japonais et non-tatoués arriveront-ils à cohabiter sans défiance à terme ? Le tatouage retrouvera-t-il une image positive dans la culture japonaise moderne ? La route est encore longue pour pouvoir le prédire. Mais le chemin vers la réflexion est d’ores et déjà entamé. Avec un tourisme qui grimpe en flèche, les Japonais sont amenés inévitablement à observer de plus en plus de tatouages dans les rues, les lieux publics et surtout les médias. Rien ne semble pouvoir ralentir cette ouverture si ce n’est le monde politique dans un éventuel rejet réactionnaire.
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S. Barret
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Sources : journaldujapon.com / francejapon.fr / 8e-etage.fr / observers.france24.com / francetvinfo.fr/ ladepeche.fr / youtube.com