Lorsqu’on pense à Tokyo, les premières images qui nous viennent en tête sont celles des gratte-ciels, des quartiers branchés bruissants de monde, des écoliers en uniforme ou tenue excentrique, ou encore les parcs sous les cerisiers en fleurs. Le photographe Lee Chapman, lui, a décidé de nous dévoiler une autre face de la mégalopole en capturant le quotidien d’habitants qui intéressent peu médias et touristes : personnes âgées, sans-abri, prostituées…
Lee Chapman n’est pas un photographe professionnel. Il s’est installé au pays du Soleil Levant voici presque 15 ans comme professeur d’anglais. Comme beaucoup d’expatriés il a vite été captivé par la vie tokyoïte qui se déroulait jour après jour sous ses yeux, loin des images habituelles que s’en font les touristes pressés. Armé d’un appareil photo, il s’est mis à parcourir la ville, dans ses moindres recoins, pour capturer des facettes de la capitale nipponne méconnues ou ignorées du grand public à travers les yeux de ses habitants car, comme il le déclare : « Je ne prends pas des photos de la ville, mais les personnes dans la ville ». Sur son site personnel il a mis en ligne le résultat d’années d’un travail centré sur l’être humain. Pas de photos d’excentriques adolescents d’Harajuku ou de la jeunesse branchée de Shibuya, sujets abondamment traités ailleurs, mais des gens oubliés que l’on ne voit jamais en première page. Parce qu’ils illustrent une facette d’un Japon vieillissant traversant une crise économique qui met mal à l’aise, dérange, voir qui fait honte parfois.
L’œil de Lee Chapman est alerte, et sans fioritures. Ses photos frappent par la puissance de leur simplicité. Pas de mise en scène minutieusement préparée, d’angles de vue ou de lumière travaillée pour mettre en valeur ses sujets. Au contraire, la force et l’authenticité de ses portraits tiennent dans l’instantanéité du moment saisi, pris sur le vif et qu’importe ce câble électrique disgracieux en arrière-plan.
Sa série ‘The Old’ se concentre sur la vie des personnes âgées qui continuent souvent de travailler en dépit de leur âge parfois très avancé. Impossible de ne pas être ému devant ces corps fatigués, qui s’acharnent toujours à une tâche qui les a usés au fil des années.
Bien loin des bars à hôtesses chics, ‘The Red Light Disctrict’ jette une lumière crue sur le milieu de la prostitution de rue pourtant officiellement interdite.
Depuis l’explosion de la bulle économique dans les années 90, la pauvreté n’a cessé de s’installer, fracturant la classe moyenne d’une société japonaise jusque là homogène. Alors que l’idéal du salarié à vie s’effrite, le prix des logements s’envole. Et avec elle, les sans-abri sont apparus au coin des rues. Dans les rues touristiques d’Asakusa, le soir, ou sous les ponts de Shibuya, les sans-abris préparent leur abri en carton. ‘The Poor’ nous incite à ne pas détourner les yeux de la réalité.
Au Japon, après une journée de travail, il est quasi obligé pour une majorité de salarymen d’aller s’enivrer avec ses collègues. Pas de soirées qui ne soient pas arrosées de larges quantités d’alcool que ce soit dans les nombreux bars ou izakaya qui pullulent à Tokyo. Les photos de ‘The Drunk’ nous laisse songeur devant se besoin vital de s’oublier jusqu’au bout de la nuit.
‘The Nationalists’ met enfin en lumière une des parts sombres du Japon, les groupes d’extrême-droite ultra-nationalistes très présents dans leurs reconnaissables camionnettes noires qui appellent à un retour au Japon remilitarisé, digne de son impérialisme d’avant-guerre, quitte à verser dans le révisionnisme.
« Je veux parler des gens de Tokyo, pas de la ville en elle-même. Et par ‘les gens’, je veux dire ceux qui sont la plupart du temps oubliés, comme les personnes âgées. » comme l’a expliqué Lee Chapman lors d’une interview à The Japan Times en avril 2012. Il parcourt ainsi des pans de Tokyo inconnus de beaucoup, à Asakusa, Ueno ou Sanya, affichant une réalité qui fait partie intégrale d’un pays qu’on aime tant par ailleurs. « Le but de mon blog est d’aller là où personne ne va. C’est le thème en un sens. J’ai des images de jeunes filles à la mode de Harajuku, mais j’essaye de m’en éloigner. Les vieillards et les sans-abri ont plus de caractère, plus d’histoires à raconter. Je ne suis pas sur une mission, je suis juste davantage intéressé par ces aspects de Tokyo ». Et par là même de nous interpeller, nous obliger à changer notre regard idéalisé sur une ville, une société que l’on s’imagine connaître.
D’autres travaux sont à découvrir sur son blog, son site personnel et son compte instagram. Ce dernier est une véritable mine d’or pour ceux qui s’intéressent à ce pays tant contrasté.
https://www.instagram.com/p/BICS5-Vg5G6/
S. Barret
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Sources : cheese.konbini.com / dailymail.co / The Japan Times / Graphic Lab