« We Couldn’t Become Adults » (Nous ne pouvions devenir adultes) narre le destin, entre flashbacks et remises en question, d’un quadragénaire japonais qui se remémore le temps d’une nuit les moments marquants de sa vie, le tout dans le cadre de la crise sanitaire. Sato-san fait le bilan et se pose la question : est-il l’homme qu’il voulait être quand il était plus jeune ou juste ordinaire ? Le film disponible en streaming aura marqué Poulpy. Découverte.
We Couldn’t Become Adults est un film réalisé par Yoshihiro Mori disponible sur Netflix depuis le 5 novembre. Il s’agit d’une adaptation du roman Bokutachi wa Minna Otona ni Narenakatta du romancier Moegara, publié en 2016 au Japon mais toujours inédit en France.
On y suit Sato, 46 ans, qui travaille pour la télévision. Un soir, alors qu’il y croise une ancienne connaissance, il se perd dans les ruelles désertiques d’un Tokyo vidé par la menace invisible de l’épidémie de Covid. L’homme revisite alors les lieux qui ont compté dans sa vie et se remémore les chemins qui l’ont mené à devenir l’adulte qu’il est aujourd’hui. Mais le sera-t-il encore demain ?
« Talking about my generation »
Yoshihiro Mori est d’abord un réalisateur ayant fait ses preuves dans le monde de la publicité (IBM, AXA, Sony, Square Enix…) et du clip musical (AKB48, The Flickers, Red Spider…). Ses premiers pas dans la fiction, il les fait pour la série Love and Fortune dont il signe 6 épisodes et qui est disponible elle aussi sur Netflix. We Couldn’t Become Adults est donc son premier long-métrage et son sens léché du cadre de publicitaire y fait merveille pour nous amener en douceur à plonger dans les méandres de la psychologie du personnage de Sato.
Frôlant lui aussi la quarantaine, le réalisateur semble parler à toute une génération qui arrive à ce que l’on pourrait considérer comme la moitié de sa vie. Il est l’heure du bilan, de savoir si on continue dans la même direction ou s’il est temps d’essayer une dernière fois de bifurquer vers un nouvel avenir plus proche de nos rêves d’enfant. Sato, 46 ans, voulait devenir scénariste mais, presque malgré lui, travaille aujourd’hui et depuis plus de deux décennies, dans une société audiovisuelle qui crée des visuels pour les émissions de télévision.
La mise en scène nous donne un indice sur le fait qu’il a sûrement réussi son rêve puisque chaque début de scène est introduit par les mots de Sato qu’il tape sur un clavier et qui s’affichent à l’écran. Dans un grand jeu de mise en abîme, nous pouvons penser que We Couldn’t Become Adults est justement le film qui serait tiré de son scénario. Comme lui répétait une des femmes de sa vie avec cette jolie formule : « Ton corps aussi abrite ces mots qui attendent d’aller au paradis. ». Mais pour en arriver à trouver la force de se considérer comme « Intéressant » , il a fallu qu’il vive des victoires comme des défaites, fasse parfois bouger certaines choses avec courage, d’autres en laissant faire le hasard.
A quarante à l’heure
We Couldn’t Become Adults s’amuse à mélanger les époques dans sa narration. Les flashbacks et flashforwards s’enchaînent et s’imbriquent petit à petit comme le puzzle de la vie de Sato. Les détails de certaines scènes prennent tout leur sens plusieurs dizaines de minutes plus tard et nous font enfin comprendre avec le recul certaines réactions de Sato. Si le long-métrage s’apprécie dès le premier visionnage, un deuxième permet de s’en délecter encore plus sans avoir à faire montre d’une concentration aiguisée.
Dans sa seconde partie (la plus réussie), We Couldn’t Become Adults résonnera avec une saveur toute particulière à la génération des quadragénaires qui s’identifieront sans mal à Sato. Ses tourments, questionnements, remises en questions, nous les vivons tous et le film n’a pas pour vocation de donner de réponses. Il est l’instantané d’une existence « ordinaire » mais nous rappelle que, par les rencontres, les amours, les victoires, les déceptions, les peines de cœurs et les moments de grâce, chacune de nos vies est extraordinaire, puisque unique.
Le scénario s’amuse également des générations et, encore une fois, les quadragénaires se retrouveront une petite larme de nostalgie au bord des yeux quand l’histoire s’aventurera du milieu jusqu’à la fin des années 90. Baladeur, achat de CDs, rencontre par petites annonces dans les journaux, romances par cartes postales, début du logiciel Photoshop, conversations dans des cabines téléphoniques… On a envie d’écrire que cette époque était bercée par un vent de romantisme qui n’existe plus aujourd’hui, mais n’est-ce pas là notre petit cœur d’anciens ados des 90’s qui parle et nous fait croire encore et toujours que « c’était mieux avant » ? Un peu comme toutes les générations avant nous ?
Une chose est sûre, c’est que toutes les scènes entre Sato et Kaori feront naître un grand sourire sur votre visage. Il faut dire que la partition de Sairi Itô, qui incarne la jeune fille, y est pour beaucoup. Elle est rayonnante, attachante et encore plus irrésistible quand, l’âme teintée d’insécurités, elle se définit elle-même comme n’étant pas jolie. La jeune actrice est la belle surprise du film, tout comme Sumire, qui donne corps à Soo, l’espiègle serveuse au sombre secret.
Enfin, Mirai Moriyama porte le film sur ses frêles épaules et la mélancolie parfaite qui se dégage naturellement des traits particuliers de son visage fait merveille avec le thème du long-métrage. Il est quasiment de tous les plans et de toutes les époques. Qu’il soit boss autoritaire, jeune timide, amoureux transi ou adulte blasé, il use de sa palette d’émotion avec brio et nous emporte avec lui dans l’aventure spirituelle de Sato.
We Couldn’t Become Adults est un film touchant, qui prend son temps tout en restant palpitant dans son portrait d’une génération qui arrive en 2021 à un tournant de sa vie. Il nous rappelle que chacun est une somme d’événements choisis ou hasardeux et que, comme son titre le sous-entend, devenir adulte n’est le résultat d’aucune formule, prend du temps et que « Ce qui compte, ce n’est pas où on va mais qui nous accompagne. ».
Vous pouvez le découvrir dès maintenant sur Netflix.
Stéphane Hubert
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