On sait que le Japon est une pays souvent surprenant culturellement et c’est aussi pour ça qu’il fascine autant ceux qui vivent loin de ses frontières. Sa culture ne ressemble à aucune autre et donne parfois vie à des œuvres inclassables. Quand un artiste japonais se manifeste jusqu’à l’international, c’est souvent à travers une démonstration hors norme, ce qui tranche radicalement avec l’image d’un Japon homogène et ordonné. C’est ici le cas de « Adam by Eve », un moyen-métrage musical aussi hallucinant que déroutant… donc inévitable !

Eve est une superstar de la musique au Japon. Le chanteur de 26 ans a enregistré 6 albums depuis 2015 souvent classés dans le top 10 des ventes à leurs sorties sur l’archipel. Il a également son vivier de fans à l’étranger puisqu’il était l’artiste japonais le plus streamé hors des frontières de l’archipel en 2021. Il faut dire que le musicien a vu sa chanson Kaikai Kitan être choisie comme générique de début de la saison 1 de l’animé sensation du moment Jujutsu Kaisen.

Shinkai et Ao Waltz étaient également présents dans la bande-originale de Josée, le tigre et les poissons, long-métrage d’animation sorti au cinéma l’année dernière. Autant dire que le Japonais a le vent en poupe et c’est peut-être ce qui a justement motivé Netflix à lui offrir ce très libre Adam by Eve, fenêtre artistique assez dingue qui ne ressemble à pas grand-chose de connu. Pas évident donc de le décrire.

Pris par la folie

Adam by Eve raconte l’histoire d’Aki et Taki, deux lycéennes pas très bien intégrées dans leur classe mais qui se serrent les coudes jusqu’à devenir meilleures amies. Elles se retrouvent par exemple autour de leur accent, les deux ayant grandi en dehors de Tokyo, mais aussi de leur amour pour le violon qu’elles pratiquent ensemble.

Un jour que les deux jeunes femmes discutent dans une cafétéria, Aki s’assoupit à table et, à son réveil, Taki a disparu. Elle part donc à sa recherche dans les rues de Tokyo, trouvant sur sa piste une étrange créature à un œil qu’elle voit dans ses cauchemars dénommée Hitotsume (littéralement « Un-Œil »).

Ce projet fou est donc divisé en 3 parties bien distinctes articulées autour des morceaux d’Eve, et a été dévoilé au monde le 15 mars dernier, soit un jour avant la sortie de Kaizin, son dernier album. Trois réalisateurs se relaient dans ce triptyque de courts-métrages audacieux qui mêlent trois genres visuels différents. Nobutaka Yoda s’occupe du projet en général et avant tout des scènes en live-action. Hibiki Yoshizaki met en scène le segment en animation au service de Mob, nouvelle chanson de l’artiste. Cette section est produite par le studio Khara, déjà à l’œuvre depuis 2007 sur la saga de films Evangelion, dont le dernier Evangelion : 3.0+1.0 Thrice Upon a Time.

Yuichirou Saeki a réalisé toutes les séquences musicales, dont la dernière en 3D et images de synthèse. Le long-métrage est en effet truffé de passages qui ressemblent à des clips avec des mises en scènes d’Eve faisant un concert live dans des décors lugubres. On n’y distingue jamais les traits du visage du chanteur qui reste, comme depuis ses débuts, toujours dans l’obscurité.

Œil pour œil, tympan pour tympan

Adam by Eve est un vrai trip artistique sous acide assez difficile à suivre, mais il faut croire qu’il n’a jamais vraiment été pensé pour l’être. Malgré le jeu de mots dans son titre, difficile d’y déceler de quelconques points communs avec l’histoire d’Adam et Eve. Nous sommes ici face à un style surréaliste, psychédélique et visuellement déroutant avec des incrustations inquiétantes dans les immeubles et les vitres des buildings.

L’animation, la 3D et les prises de vue réelles s’imbriquent et se complètent pour donner un style 100% unique au long-métrage. On nage souvent en plein cauchemar avec l’apparition d’Hitotsume, ce cyclope terrifiant qui laisse des indices de sa présence un peu partout en ville. Ce personnage est déjà apparu dans de nombreux clips d’Eve, tout comme dans son manga Kara no Kioku.

Adam by Eve

Au niveau de la bande-son autour de laquelle l’œuvre s’articule, on a droit à de la J-Pop toute guitare et batterie dehors et les puristes apprécieront. Adam by Eve donne un peu l’impression d’être face à un générique d’animé qui durerait presque une heure. Certains monteront le son et il faut plus voir le tout comme une expérience musicale plutôt qu’un film.

Adam by Eve : un morceau de Japon à notre portée (musicale)

Adam by Eve est en effet tout ce qu’il y a de plus japonais. Aki et Taki sont déjà jouées par deux stars du pays. Tout d’abord, Ano, ancienne Idol du groupe You’ll Melt More!, personnalité de la télévision, mannequin et chanteuse. Face à elle, Hanon, actrice et model elle aussi. Elles incarnent des lycéennes typiques qui naviguent entre karaoké, salles d’arcade, le toit de leur école, le quartier de Shibuya et son célèbre passage pour piétons.

Sur le thème général bien évident avec Eve qui ne montre jamais son visage, le film se veut une réflexion sur le regard extérieur avec cette figure du monstre à un œil. D’ailleurs, tous les ados y font le même rêve le mettant en scène et ce n’est pas un hasard tant il est important pour les jeunes de cet âge d’arriver à s’affranchir de l’attention des autres.

Le passage animé complètement fou porte en cela un message assez clair sur la révolte attendue des jeunes filles hyper sexualisées au Japon. Tous les hommes y sont réduits à des corps de salarymen libidineux à un œil qui regardent les petites lycéennes en jupe comme des proies enchaînées à leur merci. Ces dernières finissent par se rebiffer en les tuant à la mitraillette. Ce n’est pas très subtil mais ça a l’avantage d’être efficace et clair. Serait-ce ici la référence au titre du métrage ? Adam observé et redéfini par Eve ? Dans la typographie officielle du titre, le mot Adam est d’ailleurs volontairement écrit en petit, alors que Eve, trois fois plus grand, attire toute l’attention.

Vous l’aurez compris, Adam by Eve est plus une expérience trippante qu’un film à suivre pour son intrigue. Cet objet artistique hallucinogène doit se déguster en connaissance de cause, comme un conte visuel et musical assez troublant, écrin ténébreux parfait pour les compositions du chanteur Eve. Il vous donnera quoi qu’il arrive envie d’en découvrir plus sur l’univers torturé de l’artiste.

Adam by Eve est disponible sur Netflix depuis le 15 mars. Il est déconseillé au moins de 16 ans par le service de streaming au vu de sa violence et donc à ne pas mettre devant tous les yeux…

Stéphane Hubert