Le but de ce café unique au monde, qui ouvrira en juin prochain à Nihonbashi, est de favoriser l’inclusivité de tous dans la société : les robots-serveurs seront dirigés à distance par des personnes en situation de handicap ou ne pouvant quitter leur domicile. Ainsi, ces citoyens japonais, souvent confrontés à la difficulté d’obtenir un emploi dans un monde du travail très normalisé, auront désormais l’opportunité de travailler, de participer à la vie sociale et de communiquer directement avec les clients.

Être servi par des robots, voilà qui – à première vue – peut sembler être une perte de contacts humains, effacés par les progrès et la mise en avant toujours croissante de la technologie dans nos vies. Pourtant, il n’en sera rien au « Avatar Robot Cafe DAWN » (DAWN pour « Diverse Avatar Working Network »). C’est même tout le contraire.

En 2018 (du 26 au 30 novembre & du 3 au 7 décembre) à Akasaka puis en 2019 (du 7 au 23 octobre) au 3×3 Lab Future d’Otemachi, des « Avatar Robot Cafe DAWN » avaient ouvert provisoirement pour tester le concept. Les résultats se sont avérés suffisamment concluants pour permettre l’ouverture d’un café permanent à Nihonbashi.

Source : youtube

Si la prouesse technologique est bien présente avec l’emploi des robots dans le rôle de serveurs, l’objectif des concepteurs de ce café est avant tout humain : celui d’offrir une activité à des travailleurs nippons handicapés ainsi qu’à des personnes isolées ne pouvant pas quitter leur domicile (malades, hikikomori, personnes âgées, mères au foyer…). Soit une situation qui concernerait 34 millions de Japonais selon le Bureau du Cabinet, une agence du gouvernement nippon. Car ces robots ne seront pas 100% autonomes : chacun d’eux sera contrôlé à distance en temps réel grâce à une simple connexion internet.

Les robots humanoïdes du café, « OriHime-D » de leur petit nom, mesurent seulement 1,20m de haut. Équipés d’une caméra frontale, d’un microphone et d’un haut-parleur, ils pourront enregistrer les commandes des clients et l’employé dirigeant le robot sera à même de leur parler directement. Chaque robot est adapté à la spécificité de son contrôleur. Dans certains cas, un simple mouvement des yeux suffit à diriger le robot.

Ainsi, si l’usage de ce genre de robots se développe, les personnes immobilisées qui les contrôleront pourront avoir accès à davantage d’emplois dans l’industrie hôtelière par exemple. De plus, la société à l’origine du concept estime elles connaîtront le sentiment gratifiant d’être acceptées par la société et d’y être intégrées, au lieu de se sentir mises à l’écart et isolées. Cependant, on notera que cette activité est faiblement rémunérée : 1000 de l’heure, soit 8 euros, une moyenne horaire très basse (environ 1300 euros mensuel pour 40 heures par semaine). Les sources ne précisent pas si ce salaire doit remplacer une allocation ou s’y ajoute. À terme, ce type de robot pourrait être utilisé dans d’autres fonctions de plus en plus complexes.

Au lieu de remplacer l’humain, on peut ainsi voir le robot comme un intermédiaire de communication entre eux, au-delà de la froideur apparente de la machine.

Ce café particulier a été conçu par l’entreprise Ory Laboratory Inc, une société japonaise de robotique dont le mantra est présent sur leur page d’accueil : « Résoudre la solitude humaine, grâce aux technologies de la communication » . Car c’est de ça qu’il s’agit au fond. Un simple ordinateur liant des personnes immobilisées avec d’autres individus, à l’exception que celui-ci à une forme humanoïde pour générer plus facilement des interactions. L’idée de ce café unique en son genre est apparue au co-fondateur et PDG de la société Kentaro Yoshifuji, lorsqu’à une période de sa vie, il a dû rester alité à l’hôpital pendant près de trois ans, souffrant de la solitude et du manque d’activité. De retour dans le monde du travail, il s’est dévoué à développer un moyen de redonner une mobilité artificielle aux personnes ne pouvant se mouvoir.

Finalement loin d’éloigner les gens, les robots du « Avatar Robot Cafe DAWN » veulent au contraire essayer de les rapprocher, au profit des personnes handicapées, isolées, éloignées de la société faute d’aménagements adaptés à leur situation. Dans les médias internationaux, le projet est donc largement présenté comme un exemple d’utilisation positive de la technologie en faveur de l’Humain. Difficile pourtant de perdre totalement de vue la dimension commerciale du projet quand derrière chaque robot, une personne paralysée est payée (très peu) pour effectuer des tâches répétitives. Le spectre de la dystopie capitaliste habituellement redoutée n’est effectivement jamais bien loin.

Pour cause, nous vivons dans un monde ultra-commercial devenu expert dans l’art de la récupération à des fins de profits, faisant souvent peser les progrès techniques sur des salariés très mal payés. Ce n’est pas tant la technologie qui pose problème mais le cadre économique qui l’instrumentalise. Si la technique devait être accaparée par le Grand Capital et ses multinationales, elle marquerait un nouveau basculement dans la suprématie du travail productif sur notre temps de vie déjà pratiquement entièrement consacré à la productivité. On peut très bien imaginer, dans un avenir proche, des géants comme Ikea recourir à de la manutention à distance via des robots adaptés, contrôlés à moindre frais par des personnes déclassées, jusqu’à pouvoir se passer totalement des travailleurs. Leurs recherches et volontés vont clairement dans ce sens, notamment à travers le déploiement rapide de la 5G. Il conviendra donc de rester politiquement vigilant pour ne pas que ce concept fort sympathique ne se transforme en dystopie orwellienne.

S. Barret


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