C’est un rapport révélé mardi 3 décembre qui a de quoi susciter des inquiétudes au niveau du Japon mais pas seulement : des chercheurs ont dénombré la mort d’environ 8 000 Japonais entre 2011 et 2017 à cause de deux bactéries ultra-résistantes aux médicaments. Une révélation qui fait écho à un problème qui inquiète sérieusement à l’échelle mondiale : la résistance aux antibiotiques qui s’accroit de plus en plus chez les bactéries rendant des infections autrefois aisément traitables en infections mortelles. En cause, le recours systématique aux antibiotiques.

C’est une problématique au sujet de laquelle l’OMS avait déjà tiré la sonnette d’alarme l’année dernière : l’Organisation Mondiale de la santé avertissait dans un rapport que la résistance des bactéries aux antibiotiques atteignait des taux élevés partout dans le monde au point de menacer la santé publique. Pourtant, les réactions des autorités restent lacunaires et le recours aux antibiotiques toujours généralisé dans de nombreux pays, dont la France.

Et le Japon vient d’en faire l’expérience à son tour. Une étude – la première du genre dans l’Archipel – menée par l’équipe de l’Hôpital central du Centre national de la santé mondiale et de la médecine, a compilé les données de patients atteints de bactériémie causée par deux bactéries connues pour être résistantes aux antibiotiques : le staphylocoque aureus résistant à la méthicilline (SARM) et la salmonelle résistante à la fluoroquinolone. Le résultat fait froid dans le dos : l’équipe a estimé le nombre annuel de décès liés à la résistance de ces deux bactéries de 7 400 à 8 100 sur une période de 7 ans, de 2011 à 2017.

Plus précisément pour l’année 2017, 4 224 décès seraient imputables au SARM et 3 915 à la salmonelle. Sur l’échelle de temps étudiée, la mortalité du SARM est légèrement à la baisse mais a contrario celle de la salmonelle augmente de façon constante. En comparaison, au niveau mondial on estime que chaque année les bactéries résistantes aux médicaments tuent plus de 35 000 personnes aux États-Unis et environ 33 000 en Europe. Et les chercheurs de l’enquête japonaise n’ont pris en compte que deux bactéries résistantes. D’après Hiroshige Mikamo, expert en bactéries à l’Université de médecine d’Aichi, en prenant en compte les autres bactéries résistantes, on atteindrait facilement le nombre de 10 000 morts, chaque année ! C’est comme si la catastrophe de Fukushima et son tsunami meurtrier se reproduisait chaque année, mais dans l’indifférence quasi générale.

Les raisons de cette résistance sont pourtant bien connues. Elles sont à chercher du coté de la consommation excessive d’antibiotiques chez l’Homme comme chez les animaux d’élevage dont la consommation n’est pas sans conséquence. Car on trouve aussi des antibactériens dans la nourriture de ces derniers, pour prévenir l’ingestion de bactéries présentes dans l’eau et le sol. Autant d’éléments qui à terme aident les bactéries à renforcer leurs défenses. Et qui finissent par rendre des infections, autrefois bénignes, mortelles en touchant en particulier les personnes âgées et celles dont le système immunitaire est affaibli.

Staphylococcus aureau
Magnification 20,000

D’où l’appel de l’équipe de chercheurs à responsabiliser la prise de ce type de médicaments et à en développer de nouveaux. Au Japon, les médecins n’hésitent pas à prescrire des antibiotiques pour soigner des maladies virales telles que le rhume bien que les antibiotiques n’aient pas d’effet sur les virus. Et cette consommation d’antibiotiques inappropriée entraîne la résistance accrue des bactéries. Plusieurs infections courantes sont déjà devenues plus difficiles voire impossibles à soigner au Japon et dans le reste du monde : des infections de l’oreille, des voies urinaires, d’origine alimentaire mais aussi l’empoisonnement du sang, la gonorrhée, la pneumonie, la tuberculose renvoyant la médecine à son impuissance du XIXème siècle.

Les conclusions de l’OMS sur la question s’accordent avec celles des chercheurs japonais : « Il est urgent que le monde change sa façon de prescrire et d’utiliser les antibiotiques. Même si de nouveaux médicaments sont développés, sans changement de comportement, la résistance aux antibiotiques restera une menace majeure ». Sans changement radical, les superbactéries risquent d’être de plus en plus nombreuses et plus résistantes que jamais, faisant peut-être peser le risque d’une crise sanitaire globale à terme.

S. Barret


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