Pour les amoureux d’animation et du Japon, « Blue Eye Samurai » a été la bonne surprise de ces derniers mois. La série Netflix, véritable bijou esthétique, propose une histoire de vengeance passionnante et sanglante dans un écrin des plus soyeux. Les références à la culture de l’époque Edo sont nombreuses et précises. Mais la série est-elle fidèle à la réalité historique de l’époque ? Oui…et non. Étudions ensemble ces différents aspects historiques.

Blue Eye Samurai narre l’épopée vengeresse de Mizu, un samouraï métis aux yeux bleus dans le Japon féodal du milieu du XVIIe siècle. Alors qu’il cherche ceux qui ont décimé sa famille, il doit faire face aux plus sombres aspects de l’humain. Perçu comme un démon, Mizu est plus souvent accueilli par des visages fermés que des sourires et doit ainsi contourner les obstacles avec ce qu’il maîtrise le mieux : son sabre. Pour que justice soit rendue, le sang devra donc couler. À force de plonger dans une rage de plus en plus extrême, arrivera-t-il à ne pas se transformer en bête féroce comme ceux qu’il poursuit ?

La série Netflix est une grande réussite visuelle et narrative, comme nous vous le confions dans notre longue critique. Mais combien est-elle fidèle à la réalité ? Que pouvons nous apprendre de cette série sur le Japon d’Edo ? (Nous partons du principe que toute personne qui lira la suite de cet article aura vu la série. Elle contient donc des spoilers sur l’intrigue.)

La mixité désapprouvée

Si le Japon a toujours été un état préférant l’isolationnisme, elle a longtemps accueilli à bras ouverts les marchands venus des autres continents. Surtout durant la période dite « chrétienne » entre 1540 et 1630. Pourtant, sous le shogun Tokugawa est décrété le Sakoku, une période entre 1635 et 1853 où les étrangers ont tout simplement interdiction de poser le pied sur l’archipel. Seule exception : les commerçants néerlandais, autorisés à entrer au Japon mais confinés sur une île artificielle au large de Nagasaki.

Lot de netsuke datant d’Edo représentant des étrangers Hollandais.

Autant dire que des enfants métis comme Mizu, entre le XVIe et le XVIIe siècle, il en existait ! Le navigateur anglais William Adams, par exemple, devenu samouraï sous l’ère Ieyasu, eut deux enfants avec sa femme japonaise. Leurs noms disparurent pourtant des archives historiques officielles dès 1635. Des personnes comme notre héroïne, femme et métis, ont donc bien existé à cette époque, et, comme elle, elles n’étaient pas en odeur de sainteté aux yeux des Japonais. Ils vivaient un peu à l’écart et l’Histoire écrite par les puissants ne les retiendra pas. Leur vie a du être particulièrement difficile. On le réalise en observant combien les « hafu » – terme moderne pour désigner les métis japonais – peinent toujours à trouver leur place en société aujourd’hui.

Hiérarchie de façade

La société japonaise de l’époque était tenue par des classes supérieures, et le pouvoir appartenait à des seigneurs féodaux et non pas à l’Empereur. Celui-ci n’avait ainsi qu’un rôle essentiellement cérémonial durant toute l’époque Edo. Le père d’Akami a réussi à se hisser dans la société par la seule force de ses accords commerciaux. Il sait aussi qu’il obtiendra un statut social plus élevé s’il marie sa fille à un membre de la famille du shogun régnant. Cet aspect politique semble assez crédible au regard des connaissances historiques de l’époque.

La « pauvre » Akami se prépare toute sa vie à servir de monnaie d’échange pour l’ascension sociale de sa famille, excellant dans de nombreux arts et pratiques de la courtoisie. Elle maîtrise donc la cérémonie du thé, la poésie renku, les compositions florales, la peinture, la danse et le jeu de go. Mais sa soif d’indépendance – extrêmement rare pour l’époque – la mène vers la seule autre voie possible dans laquelle les femmes avaient à l’époque une grande influence : elle devient courtisane. Effectivement, les femmes n’ayant pas vraiment accès à un travail indépendant et à la liberté, sauf exceptions, les deux grandes voies possibles étaient la prostitution ou le mariage.

Les courtisanes d’Edo, quand elles étaient reconnues pour leurs talents, pouvaient gérer leur propre entreprise à l’instar des Geishas. Les plus influentes pesaient dans les décisions des hommes de pouvoir qui venaient parfois leur demander conseil. Le personnage de Madame Kaji en est un exemple qui se rapproche probablement le plus de la réalité.

Une violence à tous les coins de rue ?

Quand on regarde Blue Eye Samurai, on pourrait croire que l’époque Edo était semblable au Far West américain, les sabres remplaçant les pistolets. Un simple mauvais regard et la mort pouvait vous trouver au bout de la lame d’un katana. Vraiment ? Ce n’était pourtant pas vraiment le cas. Le pays connaît en effet à cette période une longue période de stabilité économique et politique. Il n’y a donc plus besoin de guerriers et les samouraïs deviennent peu à peu des symboles de noblesse. Pour le dire avec des mots actuels, les samouraïs vont s’embourgeoiser.

Il y a bien quelques duels, suicides rituels et défis ici et là, mais ils existent pour laver l’honneur plus que par violence gratuite. Par contre, les arts fins vont se développer comme jamais. Les katana par exemples vont se parer de décorations d’un niveau de qualité inégalé dans le monde. Les armes deviennent des objets de contemplation et sont rarement utilisées, ce pourquoi on trouve toujours aujourd’hui énormément de katana de l’époque Edo intactes. De même, c’est à cette époque de paix – relative – que la Cérémonie du thé gagnera ses lettres de noblesse. Mais l’époque Edo fait toujours fantasmer le monde de la culture pop bien moderne.

Ensuite, on notera que l’intrigue suggère que Fowler – le colon meurtrier – prend le dessus sur le shogunat en important des armes à feu sur le sol japonais. Un avantage technologique manifeste. Face à lui, armés de lances et d’épées, les soldats japonais font pâle figure. Dans la réalité, il y avait déjà bien des armuriers à l’époque au Japon, et ils étaient établis depuis plus d’un siècle avant le début de l’histoire de Mizu. Même si beaucoup de samouraïs trouvaient les armes à feu contraires à leurs valeurs, cela ne voulait pas dire que personne n’en avait.

Estampe de Kuniyoshi représentant un guerrier-héro du 15eme siècle.

Dans la réalité, ce conflit aurait donc probablement opposé des fusils à d’autres fusils. Les traces de ces armes à feu utilisées durant Edo ne manquent d’ailleurs pas dans les livres anciens et les musées spécialisés. Hokusaï lui-même en avait fait quelques représentations.

De nombreux objets du quotidien

En tant qu’amateur d’antiquités japonaises, on notera le soins porté aux détails des objets qui apparaissent dans Blue Eye Samuraï. Qu’il s’agisse des kushi (peignes), kanzashi (broches), tsuba (gardes), et même des outils du forgeron, la production semble avoir mené des recherches sérieuses pour représenter ces objets du quotidien de la manière la plus fidèle possible.

Les lunettes de l’héroïne par exemple sont assez proches de ce qui existait à l’époque pour corriger la vue et, dans son cas, camoufler la véritable couleur de ses yeux. L’architecture des bâtiments, l’aménagement des jardins et l’ameublement des pièces sont tout aussi bien étudiées. Un régal pour les amoureux du Japon d’Edo.

Blue Eye Samurai est donc une série assez réaliste qui dépeint un Japon de l’époque assez proche de la réalité historique, excepté en ce qui concerne la violence excessive. Les quelques transgressions ont avant tout un intérêt dramaturgique, inévitable dans ce type de récit. On appréciera particulièrement la dimension critique sur la place des femmes japonaises durant cette période très patriarcale qui n’a finalement que très peu évolué jusqu’à nos jours. Les 8 épisodes de la première saison sont disponibles sur Netflix.