Comme un coup de sabre inattendu, « Blue Eye Samourai » a touché sauvagement nos cœurs d’amoureux du Japon et d’œuvres artistiques passionnantes et maîtrisées. Un nouveau joli coup pour Netflix qui nous offre une série admirable sur tous les plans ! On vous explique longuement et sans spoiler pourquoi elle mérite autant nos faveurs et nos éloges.

Blue Eye Samurai est une série animée centrée sur l’histoire de Mizu, un samouraï métis dans le Japon féodal du milieu du XVIIe siècle. Le protagoniste, unique à l’époque Edo en raison de ses origines mixtes, se lance dans une quête de vengeance après la mort tragique de sa famille. Tout au long de son périple, il doit naviguer dans une société où il se sent à la fois étranger et intimement lié. Il doit ainsi lutter pour l’honneur et la justice dans ce monde marqué par la corruption, la violence et les conflits de pouvoirs. Son voyage l’amènera à se découvrir en tant que combattant et humain, marchant sur un fil ténu entre lumière et obscurité.

La vengeance au bout du sabre

L’épopée de Mizu est en effet avant tout celle d’une vengeance. Quatre hommes blancs – les seuls présents au Japon – ont gâché sa vie et celle de sa mère assassinée. Il est donc important pour la paix de son âme qu’il les retrouve et les fasse passer de vie à trépas.

Les fans de Tarantino feront tout de suite le rapprochement avec Kill Bill. Mais ceux qui savent d’où est venue l’inspiration du réalisateur américain penseront surtout à la duologie Lady Snowblood, incroyables films japonais des années 70 mis en scène par Toshiya Fujita, et adapté du manga de Kazuo Koike (scénario) et Kazuo Kamimura (dessins).

Alternant passé et présent, le scénario dévoile sa complexité peu à peu. Il y a plus qu’une simple quête au bout des 8 épisodes. Mizu doit aussi découvrir et assumer qui il est vraiment. Considéré par tous comme un démon à cause de ses origines métis et ses yeux bleus, une rareté absolue dans le Japon d’Edo, il doit se battre contre les préjugés tenaces et un racisme inévitable, alors que le pays est à l’époque en vase-clos, n’acceptant plus que les occidentaux foulent son sol.

L’intrigue laisse aussi une large place à la difficile lutte des femmes de l’époque. Sous l’ère Edo, le choix de leur destin était en effet plus que binaire : épouse ou prostituée ? Alors certaines se rebellent, comme la princesse Akemi, et tentent de reprendre le pouvoir comme elles le peuvent. Quand une ose dire « Une femme ne devrait appartenir à personne. » un homme lui rétorque « Le monde est ainsi fait ». SHOGANAI dit-on au Japon. Une expression intraduisible utilisée pour exprimer qu’il est impossible de contrôler et que les choses sont ainsi. Un écho à une situation qui prend un peu de temps à faire sa révolution. Et si le fond de cette histoire est en tout point admirable, que dire de la forme !

Divin, Détaillé, Détonant… Enfin de la bonne 3D ?

Graphiquement, la série est en effet incroyable. Que ce soit dans les scènes de combats, la représentation des intérieurs, des vêtements ou dans les panoramas qui rappellent les ukiyo-e, tout charme la rétine. Il faut dire que la série est produite par le studio français Blue Spirit, déjà derrière What if ? pour Marvel. La 3D est donc ici maîtrisée comme jamais et toutes les personnes souvent sceptiques sur le rendu que peut avoir cette technique d’animation ne trouveront pas grand-chose à dire de négatif dans le cas de Blue Eye Samourai. Nombre de scènes sont fantastiques et des peintures en 2D magnifiques trouvent parfaitement leur place pour illuminer l’arrière plan. Blue Eye Samuraï est juste BEAU.

La réalisation est elle aussi créative et inspirée, et, dans la plus grande tradition du Chanbara, le show de Netflix se distingue par son mélange de violence et d’élégance. Les chorégraphies sont virtuoses, sauvages et ingénieuses. Impossible de décrocher nos écrans des yeux et encore moins de respirer tellement parfois nous avons le souffle coupé par la furie qui nous éblouie les sens. Tout ça dans une ambiance nippone des plus envoutantes. Attention cependant, ce n’est pas un show pour les enfants… Les scènes érotiques sont nombreuses, bien qu’elles trouvent toujours leur signification et servent parfaitement la narration de l’histoire.

 Hommage au Japon et à l’époque Edo

Même si Blue Eye Samourai a été créé par des Américains, on y retrouve de nombreuses références assez poussées aux traditions japonaises, avec rigueur et respect des détails culturels. Dès le premier épisode, on y parle du Hadaka Matsuri, la fête de l’homme nu, avec son rituel de purification par l’eau alors que l’hiver la glace. Un peu plus tard, c’est l’ohaguro qui est mis à l’honneur. Cette tradition qui consistait à se noircir les dents avec une solution de limaille de fer et de vinaigre. Elle était considérée comme esthétiquement charmante. Les antiquités sont également au rendez-vous. Du simple katana en passant par les masques traditionnels (tengu) ou encore les objets de la cérémonie du thé.

Blue Eye Samurai. Maya Erskine as Mizu in Blue Eye Samurai. Cr. COURTESY OF NETFLIX © 2023

Ce sont de petites choses, mais elles démontrent un vrai désir de bien faire et de respect de la part de Michael Green et Amber Noizumi, les Américains qui ont créé la série. Il arrive ainsi parfois que les meilleurs hommages au Japon viennent d’occidentaux, comme ce fut déjà le cas par exemple avec Trek to Yomi, jeux vidéo qui s’inspirait lui aussi des films de samouraïs japonais. L’épisode 5 (sûrement le plus réussi) est narré également par le biais d’une pièce de Bunraku, forme traditionnelle de théâtre de marionnettes qui a été développée sur l’archipel au cours de la période Edo. Même la bande-son met en avant les instruments de musique traditionnels nippons comme le shamisen et les taiko.

Par ailleurs, le doublage est tout aussi remarquable. La version anglaise accumule les grands noms, de George Takei à Masi Oka, en passant par Ming-Na Wen, Cary-Hiroyuki Tagawa et Kenneth Branagh. Mais l’immersion est encore plus réussie avec les voix japonaises.

Sang, sexe and snow…

Blue Eye Samourai n’est en effet pas à mettre sous tous les yeux. Elle est d’ailleurs déconseillée aux moins de 16 ans. Il faut dire qu’elle surprend tout d’abord par la violence de ses combats qui ne cachent pas grand-chose. L’hémoglobine tache abondamment les murs comme la neige immaculée et il n’est pas rare de voir des membres coupés cacher le soleil ! Enfin, le sexe et la nudité sont aussi monnaie courante, que ce soit dans l’intimité des couples ou entre les murs dévergondés des maisons closes. Les attributs masculins comme féminin ne se cachent pas et rappellent que le show est avant tout destiné aux âmes adultes.

Blue Eye Samourai n’est ni plus ni moins qu’une réussite totale, un vrai régal pour les yeux comme pour le cœur. Humaine et létale, l’aventure de Mizu est passionnante de bout en bout. Et si la décision est prise par Netflix de nous en offrir une suite qui semble s’imposer, loin de nous l’idée de les en empêcher… L’attente va être longue.

Stéphane Hubert & Mr Japanization