Dans un monde la robotique et l’intelligence artificielle se développent à pas de géants, sommes nous habitués à voir des designs de robots qui privilégient les capacités fonctionnelles plutôt que l’apparence ? Hiroshi Ishiguro ? Ce nom-là ne vous dit peut-être rien. Pourtant, c’est l’une des personnalités les plus populaires du secteur de la robotique au niveau mondial et il vient de nous dévoiler sa dernière création synthétique qui représente un enfant de 10 ans. Retour sur ses étranges inventions.

Hiroshi Ishiguro n’est autre qu’un roboticien japonais qui, depuis quinzaine d’années, essaye de créer des androïdes pour percer l’univers des « relations » entre l’espèce humaine et les robots. Il est également le directeur de l’Intelligent Robotics Laboratory (IRL) et est rattaché à l’Université d’Osaka. Le scientifique au style singulier a quasiment passé sa vie entière à concevoir des humains synthétiques au point de se créer lui-même, façon robot.

Ainsi, dans le cadre de son travail à l’International Telecommunications Research Institute International, connu sous le nom d’ATR, il étudie de nombreuses hypothèses sur la nature humaine, l’intelligence, le comportement afin de comprendre véritablement ce qu’est un humain. Ishiguro veut déchiffrer ce que les Japonais appellent « sonzaikan » : le sentiment d’être en présence d’un être doté d’humanité, fut-il organique ou mécanique.

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Geminoid HI-1

En 2005 Hiroshi Ishiguro lançait son premier android en silicone, son doppelgänger, baptisé « Geminoid H1 ». Notons que le terme « geminoid » est né du latin « geminus » qui signifie « jumeau ». Il a donc nommé son similaire mécanique Geminoid HI-1. Ishiguro le contrôle à distance, à travers son ordinateur, en utilisant un microphone pour capturer sa voix et une caméra pour suivre les mouvements du visage et de la tête. L’idée même de connecter si intimement le cerveau d’une personne à un corps contrôlé à distance semble venir tout droit de l’univers de science-fiction japonais. Hiroshi Ishiguro s’est ainsi rendu célèbre pour avoir fabriqué un véritable « double » robotique.

Germinoid-DK & Germinoid F

Naturellement, le chercheur ne s’est pas arrêté là. Deux autres Geminoid ont vu le jour par la suite. Le Geminoid-DK est la copie d’Henrik Sharfe, professeur danois de l’université d’Aalborg, qui a collaboré avec Ishiguro pour le concevoir. Il possède le même mécanisme que le Geminoid original.

Quant au Geminoid-F, il a été basé sur une jeune femme de 20 ans ayant fait une apparition sur le tapis rouge de Cannes dans un fauteuil roulant afin de présenter l’avant-première du long métrage Sayonara. Un film japonais qui retrace l’histoire d’une femme et d’un robot qui prend soin d’elle après un désastre nucléaire. Là encore, dans le contexte japonais et le risque toujours imminent d’une catastrophe, on comprend l’envie et le besoin de se tourner vers la technique, donc les robots, pour venir en aide aux vivants.

Geminoid-F et son « humain »

Kodomoroid & Otonaroid

Après quelques années d’absence, Ishiguro reviendra avec un autre androïde femelle surnommé Kodomoroid. Kodomoroid a été utilisé comme hôtesse d’accueil pour l’exposition « Android : What is Human ? », qui s’est tenue au Musée national des sciences et de la technologie de Tokyo. Elle fut rejointe par Otonaroid, un autre robot femelle. L’objectif des deux humanoïdes était d’offrir une première mise en contact entres les visiteurs du musée et ses robots. Le chercheur va ainsi recueillir de nouvelles informations sur les réactions des humains face à la machine dans le but de les améliorer.

Erica

Et ce n’est pas fini. En avril dernier, le professeur japonais a collaboré avec l’architecte Dylan Glas pour créer un autre humanoïde femelle, nommé Erica et doté également de l’apparence d’une jeune jolie Japonaise d’une vingtaine d’années. Comparée aux précédents modèles, Erica est beaucoup plus développée. Le robot va jusqu’à animer, sous contrôle bien évidemment, sa propre chaine Youtube.

Bien qu’elle ne sache pas encore bouger les bras et les jambes (contrairement à d’autres robots à l’étranger) et peut seulement se tenir en position assise, Erica est capable d’exprimer des émotions. Et c’est là tout l’enjeu du développement recherché par le scientifique. Erica ne regarde pas dans le vide comme un poisson mort. Ses yeux peuvent suivre le regard de son interlocuteur. Ishiguro prétend même que Erica a une « âme » et peut avoir « une conscience indépendante » (dans les faits, on en est encore très loin).

Erica peut donc mener une discussion à bâtons rompus en japonais à l’aide d’un programme de reconnaissance et d’analyse vocale sophistiqué sur un bon nombre de sujets privés, comme, par exemple, ce qu’elle aime faire pendant son temps libre (elle aime le cinéma, comme 80% des jeunes Japonaises). Ça ne vous rappelle rien ? Si bien sûr, le robot Sophia, mis au point par Hanson Robotics et qui est capable de maintenir une conversation, de parler des langues différentes, de plaisanter et d’exprimer des émotions avec probablement une longueur technologique d’avance. Le 25 octobre 2017, lors du congrès « Future Investment Initiative » à Riyad, elle a même obtenu la citoyenneté en Arabie saoudite. Sophia devenait ainsi le premier robot au monde à posséder une citoyenneté. Erica semble prendre la même route après avoir été largement médiatisée en Chine notamment.

Erica. Photographie : Maija Tammi

Ibuki

Venons-en donc au dernier humanoïde, Ibuki, créé cette année avec le visage d’un enfant, des mains et une peau recouvertes d’un latex très réaliste. Bien qu’il ne soit pas abouti à 100%, Ibuki peut enfin se déplacer, chose que les précédents robots du professeur Ishiguro, ne pouvaient pas vraiment faire. Le robot peut ainsi se mouvoir sur quatre roues pour éviter les chutes. Mais l’avancée la plus remarquable n’est pas là. Son visage peut exprimer différentes émotions réalistes et faire des petits mouvements « involontaires » à l’image des humains. « De tels développements sont importants, car cela ouvre la possibilité d’une communication non verbale naturelle entre les robots et les personnes. » explique Ishiguro.

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Tous ces androïdes, du plus simple au plus complexe, donnent à Ishiguro un bel aperçu de la façon dont notre cerveau fonctionne lorsque nous sommes confrontés à une machine qui ressemble à une personne. Car il faut rappeler que le but d’Ishiguro n’est pas de produire des robots utilitaires ou guerriers, mais bien de développer leur communication, verbale et non-verbale. Il tente ici de créer les bases communicatives qui constitueront les robots du futurs.

Avec l’aide des scientifiques de la cognition, ils étudient donc très sérieusement le comportement du cerveau de l’opérateur. Téléopérer l’androïde peut être si immersif que des choses étranges se produisent, selon leurs observations. À terme, il suffira de toucher l’androïde pour déclencher une sensation physique chez l’opérateur, explique Ishiguro, comme s’il habitait le corps du robot. Avec le développement rapide de la réalité virtuelle, on se demande jusqu’où ils vont pouvoir aller…

Bien entendu, les chercheurs s’intéressent depuis déjà longtemps à ce que les robots ressemblent davantage à des êtres humains. Parmi les efforts les plus notables à cet égard, citons le Wabot de l’Université Waseda, Cog de l’Institut de technologie du Massachusetts, Robonaut de la NASA, Sarcoman de Sarcos, le HRP du ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie ou encore Sony Qrio et Asimo de Honda Motor. Inévitablement une question autant économique que sociale finira par se poser : qui sont-ils ? quelle sera leur identité au regard des lois et des autres humains ? finiront-ils par être « quelqu’un » ?

Ishiguro signale que les robots seront très prochainement prêts à passer des usines à la vie quotidienne. Certaines personnes chercheront à remplacer leur véritable corps par des machines pour vivre plus longtemps ou éviter de s’exposer aux risques de l’environnement, pense-t-il. Certains ouvrages de science-fiction ont d’ailleurs exploré cette possibilité. Dans un Japon à la démographie en berne, il existe également de nombreux espoirs que les robots puissent un jour prochain aider les gens dans une multitude de tâches du quotidien.

S’occuper des personnes âgées, assister à la thérapie physique, surveiller les malades dans les hôpitaux ou leur tenir compagnie, donner des cours ou servir les cappuccinos ! Dans un pays à la démographie en berne, on ne craint pas que la robotique puisse « voler » des emplois. C’est tout le contraire. Le Japon manque de main d’œuvre. Mais pour être acceptés dans ces rôles, les robots devront peut-être se comporter moins comme des machines que comme des humains. À ce titre, si un robot vient à travailler à la place d’un humain, à qui revient le profit monétaire généré par ce travail ? Au robot lui-même ? Aux travailleurs humains ? Aux investisseurs ? Inévitablement, la robotique questionnera tôt ou tard l’humanité sur les notions de propriété du capital et de la redistribution des fruits de son investissement.

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Sources : roboticsandautomationnews.comroboticsresear.chjapantimes.co.jpcbsnews.comulyces.co