Après Senses (dont Poulpy vous avez parlé) qui abordait la question des sentiments intériorisés, du rapport aux autres dans une société japonaise pleine de non-dits, le réalisateur Ryusuke Hamagushi revient avec Asako I&II, l’adaptation d’un roman dans les salles françaises depuis le 2 janvier et qui avait été sélectionné en compétition au Festival de Cannes 2018. Une romance-drame centrée sur l’héroïne qui donne son nom au film, une jeune femme du nom d’Asako dont la vie va être bouleversée par deux hommes : un premier amour l’ayant soudainement abandonné qui réapparaît sous les traits d’un autre homme lui ressemblant tel un sosie mais à la personnalité radicalement différente…

Une rencontre en forme de coup de foudre lors d’une exposition photo prophétiquement intitulée « Soi et les autres » fait entrer Baku dans la vie d’Asako qui s’éprend immédiatement du séduisant et mystérieux jeune homme. Lequel après plusieurs mois d’idylle disparaît du jour au lendemain sans un mot. Mais au début de leur relation, Baku avait promis à une Asako bouleversée après une nuit où il avait découché, de « toujours revenir même si ça prend du temps ». Une phrase dont le spectateur se doute qu’il hantera la jeune femme et dont l’impact ne se révélera qu’au fil du film.

Deux années plus tard, Asako a déménagé d’Osaka à Tokyo pour refaire sa vie. Le hasard lui fait alors rencontrer Ryohei qu’elle prend durant un court instant pour Baku tant la ressemblance entre les deux hommes est grande. Asako est déstabilisée, cette rencontre la renvoyant à un passé douloureux qu’elle voulait fuir. De son coté Ryohei est décontenancé par cette jeune femme de qui il va pourtant chercher à se rapprocher.

L’occasion lui en sera donnée lors d’une autre exposition photo consacrée au même photographe qui avait mis Baku sur la route d’Asako. Une rencontre similaire, comme si le destin s’ingéniait à brouiller les lignes entre Baku et Ryohei. Après un temps d’attraction-répulsion Asako et Ryohei forment un couple en apparence solide. Mais la jeune femme n’a pas dévoilé son passé à son nouveau compagnon et l’influence qu’il a eu sur leur rencontre…

Tout comme dans Senses, la musique est absente d’Asako I&II, pour renforcer l’immersion du spectateur dans l’intimité de l’héroïne et garder son attention en éveil sur les sentiments assaillant les personnages. Constamment Asako I&II met au défi ses spectateurs de percer la carapace de leur mutisme. Car les dialogues y sont peu nombreux, l’héroïne en particulier s’exprime rarement. À charge pour le spectateur d’essayer d’en percevoir les sentiments à travers son expression impassible et ses attitudes subtilement incarnées par l’actrice Erika Karata. Difficile de ne pas y percevoir une forme de communication particulière propre à la culture japonaise…

Une absence de communication entre les protagonistes qui était déjà au centre de Senses et qui renvoie à la réserve dont les Japonais font preuve au quotidien, refoulant volontiers leurs sentiments derrière le masque des convenances même envers leurs proches. À saluer également la performance de Masahiro Higashide qui incarne Ryohei et Baku, deux personnages radicalement différents.

Asako I&II nous pousse également à nous identifier aux personnages et nous interroger sur les réactions que nous aurions pu avoir à leur place tout en comprenant les leurs, sans les juger. À nous interroger également sur la personnalité d’Asako. Car c’est ici que se trouve le point crucial du film : Asako s’est-elle finalement éprise de Ryohei au-delà des apparences ? Vit-elle pleinement sa relation avec Ryohei ? Où travers lui ne fait-elle que rêver de celle qu’elle aurait pu avoir avec Baku, une illusion comme un reflet dans l’eau (d’où le « I&II » du titre en miroir sur l’affiche) ? Si la réponse est en partie apportée par le film, il revient aussi au spectateur d’aller la chercher.

Avec Asako I&II Ryusuke Hamagushi réussit une nouvelle fois le pari de créer un film audacieux centré sur une héroïne ambigüe dont les réactions pourront susciter tant l’approbation que l’incompréhension chez le spectateur selon la sensibilité de chacun. Une histoire qui saura sans nul doute trouver son public chez les amoureux de la culture nippone et qui assoie le statut de Ryusuke Hamagushi comme un réalisateur japonais de renom à suivre.

S. Barret


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