Dans « The Housewife », une femme au foyer japonaise retrouve le goût de vivre après des années à se perdre dans son rôle quasi exclusif de mère, au point d’oublier qui elle était vraiment et ce qu’elle aurait voulu faire de sa vie. Un film riche et d’actualité qui nous parle d’un Japon en pleine transformation. Chronique d’une Japonaise qui, comme tant d’autres, ne veut plus être invisible.
The Housewife est un long-métrage de Yukiko Mishima, inspiré de Red, un roman de Rio Shimamoto. On y suit Toko, trentenaire japonaise mariée et mère au foyer d’une petite fille de 6 ans. Les revenus de son époux Shin suffisent à faire vivre la famille dans des conditions plutôt aisées. Effacée et timide, la jeune femme va voir sa vie basculer alors qu’un amant du passé refait surface dans sa vie plus de 10 ans après en avoir disparu. Une flamme vient de se rallumer et va mettre le feu à un quotidien jusque-là sans histoire.
The Housewife : quand l’invisible retrouve des couleurs
Dans The Housewife, on comprend dès le départ que Toko n’existe plus. Elle n’a plus travaillé depuis qu’elle est devenue mère et, peu à peu, son rôle de femme au foyer l’a rendue invisible aux yeux des autres mais aussi des siens. C’est pourtant ce costume que la société lui tend et elle n’a d’autre choix que de le porter pour s’en montrer digne. Comment pourtant vivre quand rien n’est fait autour de vous pour vous faire sentir que vous comptez ? Quand elle est ignorée, elle ne s’en offusque même plus.
Dans les premières minutes du film, nous la voyons ainsi préparer un repas pour Shin, son mari, qui lui dit qu’il n’a pas faim. Pourtant, quand sa belle-mère lui propose à son tour de se sustenter, il accepte alors le plat. C’est d’une violence psychologique sans nom et nous ne pouvons que souffrir avec la jeune Japonaise devant ce manque de considération général.
C’est ainsi qu’une rencontre fortuite avec Kurata, un amant du passé, va réveiller la vraie Toko qui sommeillait depuis 6 ans. Poussée par cet homme qu’elle aima au temps de l’université, elle décide de retrouver un travail d’architecte d’intérieur… dans le cabinet de ce dernier. À partir de là, la jeune femme va retrouver peu à peu une énergie de vivre qu’elle ne se connaissait plus, même si cette renaissance ne débute pas dans la facilité.
Choix personnel et poids de la hiérarchie collective
Le dernier film de Yukiko Mishima parle en effet de la difficile place de la femme au Japon et du poids des anciens dans les prises de décision. Ainsi, quand Toko avoue à son mari qu’elle veut retrouver du travail, ce dernier lui confie qu’il faudra d’abord qu’il en parle à sa mère dont il devra également avoir l’aval.
Même si cela ne la regarde pas vraiment, Shin a son mot à dire, lui offrant un rôle de décisionnaire dans l’avenir de sa femme. Difficile alors d’être vraiment maîtresse de sa vie quand la principale intéressée est finalement la dernière qui verra vraiment son maigre poids faire pencher ou non la balance de son propre destin en sa faveur.
Pourtant, la Japonaise est une architecte douée et elle prouve rapidement que sa pause forcée de 6 ans n’a en rien éteint cette créativité et cette intelligence qui transpirent de ses œuvres. La première étape de sa renaissance se fait donc en traçant des lignes sur des plans alors qu’elle imagine, avec son amant du passé, « la maison parfaite ». Les deux rêvent d’y habiter un jour et c’est cette question de savoir si ce fantasme deviendra un jour réalité qui anime le scénario de The Housewife.
Toko doit-elle tout détruire pour se reconstruire elle-même ? La métaphore architecturale fonctionne du début à la fin, même si les choix de cette héroïne nippone du 21ème siècle ne plairont probablement pas à tout le monde dans son pays.
Une réalité glaçante
Toko retrouve en effet la passion auprès de Kurata et des décisions doivent être prises tout au long des 2h que dure le film. Difficile de s’échapper tout de suite en courant dans la neige quand l’on est, comme elle, plutôt habituée à rester enfermée dans une cage dorée où il fait bien chaud. Alors la Japonaise tâtonne, tente de se projeter mais rien autour d’elle ne lui facilite la tâche. Cette histoire avec son amant doit-elle se prolonger ? Doit-elle se transformer en autre chose qu’un feu de paille ? Oui, elle est femme. Oui, elle est mère. Mais elle est surtout prisonnière.
Les seules émotions que son mari lui porte, c’est au pire de l’indifférence, au mieux du respect poli pour la remercier de faire bonne figure à ses côtés lors d’événements publics. Un équilibre doit être trouvé entre le feu et la glace. La mise en scène de Yukiko Mishima nous le rappelle avec la délicatesse de celle qui sait que chaque pas dans la mauvaise direction peut transformer un monde en enfer dont personne ne sortira vivant.
The Housewife est le portrait d’un oiseau blessé qui essaie de reprendre son envol et veut avant tout fuir, même s’il ne sait pas encore où il veut aller. Kaho, qui joue Toko, joue sa partition avec une justesse qui nous touche, elle, poupée de cristal qui combat sa fragilité en offrant son amour.
Le film est disponible en streaming sur MyCanal et en DVD édité par Hanabi. Une œuvre sur l’émancipation des femmes comme Aristocrats que nous avions également beaucoup aimée.
Stéphane Hubert