Le tanuki est un yôkai, une « apparition surnaturelle » du folklore japonais, très populaire au Japon et reconnaissable grâce à ses testicules développés bien visibles dont il n’hésite pas à faire usage. On croise des statues à son effigie devant de nombreux magasins, mais on peut aussi avoir la chance d’en voir en vrai… car une des particularités du tanuki est d’exister dans l’environnement direct des japonais. Comme de nombreux yôkai, le tanuki est devenu une icône « pop » moderne qui apparaît dans différents médias et a même eu la chance d’être le héros du film d’animation Pompoko, produit par le célèbre studio Ghibli.

Dans l’imaginaire collectif, le tanuki est avant tout un yôkai, une créature-esprit du folklore japonais, très populaire au Japon et reconnaissable grâce à ses énormes testicules qu’il ne manque pas d’exposer. L’animal est adulé par les Japonais des villes mais craint dans les campagnes où il est considéré comme un nuisible. On croise des statues à son effigie devant de nombreuses habitations et magasins, mais on peut aussi avoir la chance d’en voir en vrai, parfois même au cœur de Tokyo, dans les parcs comme celui de Ueno.

Évidemment, c’est Pompoko, produit par le célèbre studio Ghibli, qui aura popularisé la créature dans le monde entier.

Affiche du film Pompoko

Pompoko : l’Humanité contre la Nature

Sorti en 1994 au Japon, Pompoko est un film d’animation réalisé par Isao Takahata. Il raconte l’histoire d’un groupe de tanuki 狸 faisant face à l’urbanisation croissante du Japon particulièrement marquée dans les années 60 par l’explosion démographique. C’est sur les paisibles collines de Tama qu’une ville dortoir sera construite pour désengorger Tokyo. Comme la création de nouveaux logements menace leur habitat naturel, les tanuki vont répliquer grâce à leur faculté de transformation pour tenter de sauver leur forêt. Ici, le tanuki symbolise la Nature qui tente de se défendre.

À y regarder de plus près, cette histoire n’est pas vraiment faite pour les enfants. Le titre original du film signifie d’ailleurs : La grande guerre des tanukis de l’ère Heisei. Une fable écologique avant l’heure qui, très réalistement, se termine mal pour les créatures… Pas étonnant venant du réalisateur du Tombeau des Lucioles qui nous aura offert de nombreuses larmes. C’est néanmoins grâce à ce film ancré dans la réalité que le tanuki deviendra mondialement populaire.

Le nom du film, Pompoko, est en fait une onomatopée japonaise qui traduit le son que font les tanuki quand ils tapent sur leur ventre gonflé, comme un tambour. On retrouve dans ce film de nombreuses caractéristiques propres aux tanuki, mais il sera facile de passer à côté si on ne connaît pas bien les spécificités de ce yokaï.

Le tanuki existe vraiment ! Source : commons.wikimedia.org

D’où vient le Tanuki ?

Le tanuki est un yôkai qui ressemble à un… tanuki (et inversement) ! Car avant toute chose, le tanuki existe vraiment. Nous mêmes en croisons parfois au crépuscule vers Yanaka près de Ueno, au centre de Tokyo. Appelé « chien viverrin » en français, cet animal nocturne fait partie des canidés et ressemble physiquement à un raton laveur. L’animal est exploité et massacré en masse, en Europe notamment, pour sa fourrure dans une indifférence totale. Il est largement considéré comme une nuisible par les humains. Au Japon, pour distinguer le yôkai de l’animal, on utilise normalement le terme de bake-danuki 化け狸 pour désigner l’esprit d’un tanuki. Bake-danuki signifie d’ailleurs « tanuki se transformant » mais dans le langage courant, ce mot est assez peu employé. On utilise finalement le mot tanuki pour désigner les deux sans distinction.

Drôle de paradoxe, autant le tanuki est adulé pour son côté mignon, autant il est perçu comme un nuisible par les japonais des campagnes. Pour cause, celui-ci est connu pour s’infiltrer dans les toitures des maisons et saccager les poubelles à la recherche de nourriture. S’il fait son nid dans un toit, il devient très difficile de le déloger. Nocturne, il rend rapidement la vie des habitants impossible en faisant énormément de bruit la nuit, sans parler des infiltrations d’humidité nauséabondes que ses abondantes urines créent. Une amie japonaise en a fait la triste expérience.

En dépit de cette cohabitation parfois difficile, le tanuki, comme de nombreux yôkai, est devenu très populaire pendant l’époque Edo (1603-1868). Il était souvent représenté de manière humoristique, par le biais d’estampes mettant en avant leurs testicules développés. Dans certaines histoires, le tanuki est décrit comme un être un peu farceur, mais il n’est pas du tout dangereux (contrairement au kitsune!). Au contraire, croiser ce yôkai de la forêt porte bonheur et chance.

Estampe humoristique d’un homme se faisant écraser par les testicules d’un tanuki. Tu crois avoir passé une mauvaise journée ? Pense à cet homme ! Source : commons.wikimedia.org

Les caractéristiques physiques du tanuki

Physiquement, lorsqu’on regarde un tanuki la première chose qui nous saute aux yeux, ce sont ses testicules, bien en évidence. Cette particularité physique leur est très utile avec de nombreuses applications pratiques. Par exemple les tanuki n’ont pas à se soucier d’avoir un parapluie quand il pleut, ils ont toujours un filet sous la main pour pêcher ou encore un parachute pour sauter d’une montagne. Leur scrotum, c’est un peu leur couteau-suisse.

Mais pourquoi cette caractéristique physique ? L’explication la plus connue et partagée, c’est que le tanuki – l’animal – aurait effectivement cette partie du corps plus développée que les autres canidés. Mais il existe une théorie plus culturelle. L’explication viendrait du fait qu’on utilisait autrefois la peau du tanuki dans la confection de feuilles d’or. Leur peau était tellement élastique qu’elle permettait d’aplatir correctement l’or pour en faire des feuilles très fines. L’élasticité de la peau des tanuki, associée au fait qu’en japonais le mot testicule se dit kintama « balle dorée » explique sûrement pourquoi ce yôkai possède une telle caractéristique.

L’image du tanuki est également véhiculée par les statues en céramique que l’on croise beaucoup au Japon. Sur ces statues, en plus des testicules, le tanuki porte un chapeau en paille de riz et une gourde de saké car il paraît qu’il aime beaucoup le saké ! Ces statues en céramique sont principalement visibles dans la ville de Shigaraki, dans la préfecture de Shiga. D’ailleurs, la popularisation nationale des statues serait liée à une visite de l’empereur Hirohito à Koga en 1951 qui aurait apprécié ces petites créatures amusantes, allant jusqu’à rédiger un poème en leur honneur.

Les maîtres de la transformation

Comme on peut le voir dans le film Pompoko, les tanuki possèdent le pouvoir de se transformer, comme les kitsune. Mais contrairement au yokaï de renard, les tanuki peuvent aussi se transformer en objets. Il est de notoriété que certains tanuki ont besoin de placer une feuille d’arbre au-dessus de leur tête pour pouvoir se transformer. Le fait d’utiliser une feuille pour se transformer vous rappelle peut-être vos heures passées sur un certain jeu Nintendo mettant en scène un certain jardinier-plombier italien. Mais oui, souvenez-vous ! Dès Super Mario Bros 3, le personnage de Mario est en effet capable de se transformer en tanuki en récupérant une feuille cachée dans un bloc.

On retrouve ce don pour la transformation dans un conte très populaire de l’époque Edo, appelé Bunbuku Chagama 分福茶釜. Il existe différentes versions de ce conte qui témoigne de l’histoire d’un tanuki transformé en petite fille qui se fait maltraiter. Le tanuki est sauvé par un vendeur qui passait par là, alors pour le remercier, celui-ci se transformera en une magnifique théière pour que le commerçant puisse la vendre à un moine du temple Morin-ji (situé dans la préfecture de Gunma). Après plusieurs péripéties, le tanuki et le vendeur finissent par monter un numéro où le tanuki divertit le public en se transformant et en dansant. On trouve encore aujourd’hui des netsuke antiques représentant ce tanuki à moitié transformé en théière.

Le tanuki légendaire de Shikoku

Comme on peut le voir dans Pompoko, les tanuki n’ont pas tous le même talent pour se transformer. Comme chez les humains, certains sont plus doués que d’autres… Parmi les tanuki les plus expérimentés, on trouve trois tanuki légendaires  : Yashima no Hage-tanuki 屋島の禿狸de l’île de Shikoku, Danzaburô-danuki 団三郎狸 de l’île de Sado et Shibaemon-tanuki 芝右衛門狸 de l’île d’Awaji.

Pompoko évoque aussi trois tanuki légendaires qui vont avoir pour mission de les aider à protéger leur forêt. Les trois tanuki légendaires du film Pompoko sont différents des trois « vrais » tanuki de la tradition japonaise, bien qu’on retrouve tout de même Yashima no Hage-tanuki, le tanuki légendaire de Shikoku. Des statues imposantes lui sont d’ailleurs édifiées. Mais qui est-il au juste ? Et pourquoi est-il si important ?

Statue du tanuki légendaire Yashima no Hage-tanuki (à gauche) au temple Yashima-ji. Source : commons.wikimedia.org

Yashima no Hage-tanuki est le descendant d’un tanuki qui fut sauvé par Taira no Shigemori, membre du célèbre clan Taira. En remerciement pour ce geste, il jura fidélité au clan. Mais un conflit éclata entre le clan Taira et le clan Minamoto, qui se solda en 1185 par la défaite du clan Taira. En raison de ce conflit, le clan Taira dû fuir l’île principale du Japon en faveur de l’île de Shikoku. Ils s’installèrent dans les environs de Yashima accompagnés de l’esprit du tanuki. Malgré cette défaite, Yashima no Hage-tanuki continua d’être fidèle au clan Taira pour l’éternité, il ne quitta jamais l’île et devint le protecteur du temple Yashima-ji 屋島寺.

Yashima no Hage-tanuki est connu pour être le plus doué des tanuki du Japon en matière de transformation. Il fut par exemple guide pour le célèbre moine japonais Kôbô Daishi, aussi connu sous le nom de Kûkai, lorsqu’il se rendit au temple Yashima-ji 屋島寺. Kôbô Daishi, fondateur de l’école bouddhiste Shingon, s’était perdu dans les montagnes près du temple, alors Yashima no Hage-tanuki se transforma en vieil homme pour venir le chercher et le reconduire au temple. Notre tanuki légendaire est toujours associé de nos jours au temple Yashima-ji, puisqu’on trouve dans l’enceinte un espace avec des statues de Yashima no Hage-tanuki et sa femme.

Aimé, abusé, torturé : l’hypocrisie collective

Le tanuki est un yôkai fascinant. Il offre un potentiel infini d’histoires impliquant sa particularité physique et son don pour la transformation. Le studio d’animation Ghibli ne s’est pas trompé en choisissant de faire du tanuki la star d’un de ses longs-métrages. Et pourtant, là où vous aurez le plus de chance de croiser un tanuki dans votre vie, c’est autour d’un cou, en doudoune hivernale. Il fait partie des animaux d’élevage à fourrure les plus exploités au monde. Importés en Europe au XXe siècle pour l’industrie de la fourrure, ils se sont également développés en pleine nature. Le tanuki est aujourd’hui considéré comme une espèce invasive et nuisible par les autorités du fait de son expansion rapide. Drôle de retournement de situation. Pourtant, le tanuki est un animal qui souffre énormément de la folie humaine.

Les statistiques restent rares et très peu s’interessent à son sort, mais le chiffre des tanuki tués pour leur peau se compte en millions. Rien qu’en Chine, d’après Reporterre, le nombre de chiens viverrins d’élevage est estimé entre cinq et dix millions d’individus (2020). En Europe, la fourrure de chien viverrin n’est toujours pas illégale, mais les marques cachent volontier sa véritable appellation de l’animal sur l’étiquette pour éviter le rejet des consommateurs… Au Japon également, le tanuki « tant aimé » est largement exploité et intensivement chassé pour son pellage. Il représente à lui seul 11% des animaux tués par des chasseurs japonais dans le pays.

Élevage de tanuki en Chine.

De Pompoko à la réalité, il ne fait décidément pas bon d’être un tanuki dans un monde d’Hommes.

– Mr Japanization


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