On ne le dira jamais assez dans nos pages passionnées : « À chaque sujet, son manga ! ». C’est justement ce qui fait la richesse de cet art japonais et permet aux adorateurs d’être toujours surpris par le large éventail des thèmes qui y sont abordés. Nouvelle preuve aujourd’hui avec le très bon et documenté « Zenkamono » qui traite de la réinsertion des ex-condamnés sur l’archipel.

Zenkamono est un manga de Masahito Kagawa et Tohji Tsukishima.

L’histoire se déroule sur l’île d’Enoshima près de Tokyo. On y suit Kayo Agawa, jeune femme de 32 ans qui vit de petits boulots et travaille à temps partiel en tant qu’agente de probation. Au Japon, l’agent de probation est un fonctionnaire national bénévole mandaté par le ministère de la Justice pour prévenir la récidive. Son rôle est d’aider d’anciens détenus à se réinsérer dans la société.

Un détenu, une destinée

Les auteurs de Zenkamono ont l’intelligence de varier les sujets principaux de chaque volume, les personnes dont s’occupe Agawa n’étant jamais condamnées pour les mêmes crimes.

Ainsi, le premier volume s’intéresse à un meurtrier, le second à des actes d’agression et le troisième à la consommation de stupéfiant et au vol chez les personnes âgées. À chaque fois, cela nous permet de découvrir comment le monde extérieur accueille à nouveau ces citoyens qui ont purgé leur peine, mais restent en sursis d’une nouvelle condamnation s’ils replongent dans la criminalité ou la délinquance.

Les thèmes abordés sont d’actualités et mettent en lumière des pans de la société japonaise moderne. Et s’ils sont importants pour l’intrigue, c’est quand l’histoire se penche sur celles et ceux qui lui donnent vie que le manga trouve aussi son équilibre.

En soutien des âmes

Au-delà du système judiciaire, Zenkamono s’intéresse en effet surtout à la nature humaine et aux événements qui peuvent pousser une personne à commettre un crime, parfois jusqu’à l’irréparable. Car aucun homme ne naît meurtrier et les auteurs nous montrent ainsi le passé de chacun, victime malgré lui de négligences ou de crimes impunis, comme des violences psychologiques, physiques et même sexuelles. Les monstres créent alors des victimes

Le sujet de se sentir « humain » est donc tout aussi important ici car le regard des autres ne le permet pas toujours, comme si l’étiquette « criminel » était impossible à décoller. Quand cette libération n’est pas possible et que la pression sociale vous conforte dans l’idée que votre culpabilité doit vous poursuivre à chaque respiration, il est facile d’étouffer et de replonger. C’est dans ces moments que notre héroïne se sent prête à déplacer des montagnes.

Zenkamono : une mission vitale

Agawa est en effet une jeune femme déterminée à faire le bien autour d’elle, comme son grand-père avant elle, figure tutélaire et véritable modèle pour elle. Il faut dire que ses propres parents n’ont pas vraiment les bonnes grâces de la jeune fille. Courageuse, elle n’est pas du genre à se laisser faire, même si la fatigue la rappelle parfois à l’ordre.

Par ailleurs, en plus de sa fonction d’agent de probation, elle occupe également des postes de caissière dans un konbini et de livreuse de journaux dès 4h du matin. Tout ça, comme elle nous l’explique dans les premières pages, pour rembourser son prêt étudiant. Même pas encore entrés dans le monde du travail, beaucoup de Japonais (et de Français…) ont en effet déjà des dettes à rembourser. De quoi ressentir la pression de vivre avant même d’avoir gagné son premier yen.

La vie privée d’Agawa est au départ un mystère mais elle se dévoile par bribe dans chaque volume. En quelques pages, nous en apprenons un peu plus sur elle, découvrant petit à petit les pièces du puzzle qui en font la personne qu’elle est au début du volume 1. Au gré des rencontres, elle va se créer une famille à elle qui la soutiendra quand ce sera son tour de chercher un peu de réconfort chez les autres, elle qui a plutôt l’habitude du contraire. Zenkamono est ainsi aussi une histoire de solidarité, en particulier féminine.

Elle et son ami Midori étant des amoureuses de littératures, vous trouverez également souvent des citations issues d’ouvrages qui vous donneront aussi à réfléchir sur la philosophie de l’existence. Encore une particularité qui donne tout son charme à ce manga qui n’en manque pas.

Vous l’aurez compris, chaque tome se concentre sur une histoire spécifique et se dévore d’une traite, comme on enchaînerait plusieurs épisodes d’une série ou un film. Zenkamono a d’ailleurs, sans surprise, eu justement l’honneur d’une adaptation en drama de 6 épisodes en 2021 et en long-métrage en 2022.

Le manga de Masahito Kagawa et Tohji Tsukishima est passionnant de par son sujet (la réinsertion des anciens détenus au Japon) et sa façon de le traiter et il est vraiment difficile de décrocher une fois la première page tournée…

Débuté en 2017, Zenkamono compte pour l’instant 4 tomes édités en français chez Le Lézard Noir et 17 au Japon. On frétille donc d’avance à l’idée de découvrir les prochaines aventures humaines et judiciaires de la valeureuse Agawa. Un nouveau coup de cœur manga après La Vie d’Otama que nous vous invitons à découvrir également.

– Stéphane Hubert