Avec « Charisma », le très prolifique Kiyoshi Kurosawa nous offre un nouveau film à l’étrangeté fascinante dans lequel un arbre influence toute une communauté perdue dans la campagne japonaise. Nous avons eu le plaisir de le voir pour vous. Alors qu’il sort à nouveau au cinéma en France ce 5 avril, retour sur un long-métrage qui subjugue et défie toute idée de logique…

Charisma est un film écrit et réalisé par Kiyoshi Kurosawa (Cure, Tokyo Sonata, Les Amants sacrifiés). Il raconte l’histoire de l’officier Yabuike (Koji Yakusho) qui, après le fiasco d’une tragique prise d’otage, se voit ordonner de prendre quelques jours de congé, étant directement tenu responsable du bain de sang qui en a résulté. Yabuike explique pourtant simplement à ses supérieurs qu’il a cherché à sauver à la fois l’otage et son tortionnaire. Pris d’une impulsion subite, Yabuike s’enfuit dans la forêt adjacente et y découvre une société étrange en conflit autour d’un arbre appelé Charisma.

Où mène la folie quand la raison s’efface ?

Yabuike est un homme qui perd pied et qui a besoin de s’oublier au plus proche de la nature pour retrouver un sens à son existence. Pour cela, il s’engouffre dans cette forêt insondable dans laquelle il pénètre sans trop savoir pourquoi. Désespéré, il semble être venu au bout de ses espoirs en la nature humaine. Heureusement, il n’est pas le seul… Alors que son esprit se transforme en entité fantomatique, il croise dans ce lieu aussi calme qu’angoissant un jeune homme qui défend un arbre comme la prunelle de leurs yeux.

Mais d’où provient cet attrait pour cet arbre vénéré comme un dieu qui fait pourtant, selon la botaniste Mitsuko (Jun Fubuki croisée dernièrement dans Call me Chihiro), soit disant du mal à la forêt qui l’entoure ? Le policier se retrouve alors dans le même cas de figure qui l’a amené dans ce lieu mystérieux : peut-il sauver les deux ? Ses nombreuses rencontres avec les autochtones vont l’aider dans sa quête de réponse à cette énigme qui divise l’humanité depuis des millénaires. Et si Charisma se déroule dans la campagne verdoyante japonaise, ce n’est pas un hasard.

Charisma : la force de la nature

Charisma est une œuvre qui se rapproche de la doctrine shintoïste, une religion fondée sur le respect de la nature et des êtres qui l’habitent. Dans le film de Kurosawa, la nature est pourtant presque inquiétante et oppressante. Elle n’a besoin de personne pour vivre, et encore moins des hommes, finalement insignifiants et fragiles. Eux sont par contre toujours présents pour la détruire ou en tirer profit.

Si vous pouviez vendre un végétal un million de yens, seriez-vous prêt à le déraciner et lui interdire son environnement naturel ? Alors ce dernier se défend et sa lutte en devient parfois hypnotique et envoûtante. Les branches, les troncs, les champignons… Tout a un message à confier à celui qui veut bien prêter l’oreille à l’invisible et au ressenti. Kurosawa nous plonge parfois aux limites de l’horreur, même si c’est plus souvent pour susciter le malaise que la peur. Le bizarre se cache derrière chaque ombre, potentiel fantôme à la silhouette de prince salvateur ou de meurtrier froid.

Conte… sur moi !

Charisma est un film exigeant dans la mesure où il n’est pas là pour vous donner les réponses aux questions que son visionnage vous posera. Conte obscure de la folie humaine, il se déguste comme un voyage artistique et métaphysique qu’il faut appréhender comme tel. Vous ne serez pas pris par la main mais par votre sensibilité.

Le long-métrage donne de la force à la défense du passé que représente cet arbre convoité et menacé de destruction. Certains le défendront, d’autres l’attaqueront, et l’on peut y voir ce que vit l’archipel concernant la force de ses traditions qui survivent parfois jusqu’à l’absurde. Jusqu’à quand seront-elles défendues avec la force des samouraïs ? Le respect de la nature survivra-t-il à l’appétit humain pour la destruction ? Le policier, lui, semble comprendre les deux camps et tente de résonner tous les électrons plus ou moins libres qui l’entourent.

Sous la caméra sombre et subjuguante de Kurosawa, cela donne une proposition cinématographique aussi fascinante qu’exigeante, véritable tableau déglingué d’un monde japonais qui ne sait plus dans quelle direction aller. Sous ses airs de western, ce vrai chef-d’œuvre abstrait et captivant n’a rien perdu de son étrangeté hypnotique plus de 20 ans après sa sortie.

Distribué par Eurozoom, Charisma est à (re)découvrir au cinéma en France dans une version restaurée dès le 5 avril.

Stéphane Hubert