Résolument évolutif, le Parti communiste japonais (PCJ) a su maintenir une opposition politique d’envergure, à la différence de ses homologues européens. Plongée dans une histoire aussi méconnue que surprenante.

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Au Japon, une pseudo-sagesse populaire semble avoir encore de belles années devant elle : “Le rouge, c’est dangereux.” (Le Monde diplomatique, août 2025). Derrière cette phrase presque proverbiale, un stigmate persistant. Pour preuve, en près de 50 ans, seulement deux premiers ministres étaient socialistes.

Si la Chine populaire, la Corée du Nord ou le Vietnam ont incarné des révolutions victorieuses et surtout violemment autoritaires, le Parti communiste japonais (PCJ) a connu un tout autre destin : cent ans d’opposition, de marginalisation et de fidélité, pour finalement se fixer sur une ligne pacifiste.

Drapeau du Parti communiste japonais. @Wikicommons

Un cas unique dans le monde développé : jamais dissous, jamais fondu dans une coalition gouvernementale, jamais absorbé ni par Moscou (malgré quelques tentatives d’ingérence) ni par Pékin. Un record pour un parti que beaucoup ont tenté d’éteindre, et qui tient bon. 

Le Parti communiste japonais, cent ans de résistance

À l’heure où ses effectifs « fondent » – 250 000 adhérents en 2024 contre plus de 350 000 dans les années 1990 -, où son journal Shimbun Akahata perd ses lecteurs, le PCJ reste l’un des plus grands partis communistes au monde. 

Pourtant, il incarne encore une mémoire politique, à la fois honnie et respectée, dans une démocratie japonaise longtemps dominée par le Parti libéral-démocrate (PLD).

La traduction qui changea le cours de l’histoire

Si l’Allemagne fut le fief des idées communistes et socialistes de Marx et Engels, on sait moins que le Japon compta parmi les premiers pays à traduire ces dernières, notamment sous la plume de Kôtoku Shûsui.

En effet, ce penseur, inspiré par les révoltes des mines de cuivre d’Ashio – où les insurrections ouvrières furent sévèrement réprimées -, joua un rôle majeur dans la diffusion du socialisme au Japon. De nombreux intellectuels furent toutefois arrêtés ou exécutés, parmi lesquels Shûsui lui-même et son épouse, encore considérés comme des martyrs. Cette période tragique reste connue sous le nom de Fuyu no Jidai, 冬の時代  (“l’Hiver de l’époque”).

Avec toutes autorisations - Par published by 東洋文化協會 (The Eastern Culture Association) — 1. The Japanese book "幕末・明治・大正 回顧八十年史" (Memories for 80 years, Bakumatsu, Meiji, Taisho), 2. website goldenbat-gentantoku.at.webry.info , Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=328031
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Aujourd’hui, leur mémoire continue d’exister puisque, suite à l’engouement suscité par les traductions et les dernières crises économiques, une édition en version manga a même vu le jour.

Une naissance dans le sang des mineurs 

Inflation, exportation massive du riz… En 1918, l’inflation et les exportations massives de riz mettent le feu aux poudres : près de deux millions de Japonais manifestent dans tout le pays. Ces « émeutes du riz » ne sont pas seulement une révolte contre la faim, mais aussi le terreau d’un nouvel engagement politique. Dans leur sillage, les idées socialistes, marxistes et bolchéviques gagnent du terrain au Japon.

Officiellement fondé en 1922, dans le contexte révolutionnaire d’après 1917, le PCJ est immédiatement placé dans l’illégalité. Ses premiers cadres, souvent des intellectuels urbains fascinés par le marxisme, sont dispersés par les lois de « préservation de la paix ».

L’incident du 15 mars 1928, marqué par l’arrestation de plus de 500 militants, ouvre une période de répression systématique. Tokuda Kyūichi, l’un des fondateurs du parti, passera ainsi dix-huit ans en prison.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le PCJ fait partie des rares partis à refuser de rallier le projet impérial. Cette opposition, invisible à l’époque, lui conférera malgré tout après 1945 une aura morale : il avait résisté là où la quasi-totalité de la société avait consenti. Mais cette posture ne lui offrira pas pour autant la clé du pouvoir.

L’après-guerre : le pari pacifiste

@Army Signal Corps/ Avec toutes autorisations  —  Domaine public

Après la capitulation du Japon en 1945, les États-Unis occupent le pays. Convaincus de l’infériorité des japonais et du caractère « arriéré » des sociétés asiatiques, les colons veulent faire du pays une « Suisse asiatique ». Le dictateur néocolonial et général MacArthur procèdera cependant à des mesures étrangement sociales (droits civiques, égalité femmes-hommes, et syndicalisation), permettant aux sujets de l’empereur de devenir des citoyens. 

« justice sociale, paix, égalité »

Le PCJ est légalisé, ses militants libérés. Pour les communistes, la révolution bourgeoise est en marche – présage, espèrent-ils, de la révolution prolétarienne. En 1946, le parti obtient cinq sièges au Parlement et défend des slogans simples et puissants : justice sociale, paix, égalité.

Unknown author – Japanese book »Pictorial Modern history: The 1st collection » published by Kokusai-Bunka Johosha. Public Domain

Mais le succès du PCJ inquiète très vite Washington. La guerre froide s’installe, et les communistes japonais deviennent une cible prioritaire. À partir de 1949, les red purges écartent des milliers de communistes de la fonction publique et des grandes entreprises.

La « défascisation » cède la place à l’anticommunisme d’État. Une tentative de virage vers la lutte armée échoue, et le PCJ choisit définitivement la voie parlementaire : la « révolution par la paix ».

La voie Miyamoto : entre indépendance et évincement des classes populaires

Dès 1950, le parti subit de nouveau des pressions pour prendre les armes, cette fois de Moscou et de Pékin. L’expérience tourne court : les “unités de mobilisation des villages de montagne” sont un échec total, d’autant que la réforme agraire de MacArthur améliore les conditions de vie paysannes. En 1955, le PCJ abandonne la lutte armée et se réunifie.

Pas de temps à perdre pour la CIA qui organise la fusion du Parti Libéral et du Parti démocratique, donnant naissance au PLD sous la direction de Nobusuke Kishi, ancien criminel de guerre.

À partir de 1958, Kenji Miyamoto (宮本 顕治) oriente le PCJ vers une ligne véritablement indépendante des puissances communistes. Il condamne à la fois la répression soviétique à Prague (1968) et la Révolution culturelle chinoise. Taxé de « déviationniste » à Moscou comme à Pékin, il choisit une voie singulière : pas de culte du chef, pas de dictature du prolétariat, mais un communisme “souriant”, ancré dans la société civile.

Le parti met l’accent sur la libération nationale et la fin de la dépendance du Japon vis-à-vis des États-Unis : un message qui séduit une partie de la jeunesse intellectuelle.

Le remplacement des classes populaires

Au fil du temps, on remplace vite les ouvriers par des membres triés sur le volet : avocats, médecins, cadres,… Le parti abandonne aussi les termes qui font peur comme dictature du prolétariat et se revendique réformiste.

« Mai 68 trouve un écho jusqu’au Japon »

Mai 68 trouve un écho jusqu’au Japon, où la contestation étudiante inquiète les élites. Une fraction radicale du mouvement de gauche bascule dans la lutte armée, ternissant durablement l’image du communisme. Malgré tout, dans les années 1970, le PCJ devient la troisième force politique du pays, avec près de 10 % des voix aux élections générales.

Un parti crédible, mais stigmatisé

Dans l’archipel, militer au PCJ a ainsi longtemps coûté cher. Surveillance, discriminations, ostracisme… Bien entendu, le parti demeure encore sous la loi de prévention des actes subversifs de 1952, … et a récemment reçu une condamnation virulente de la part du premier ministre de droite radicale Shinzo Abe. Ce dernier affirma ainsi en 2016 que le parti poursuivait une politique de révolution violente”. Pourtant, ce sont des bastions ouvriers dans le Kansai, à Osaka et Kinki, qui portent le parti à ses plus hauts résultats.

“En entreprise, se voir débusqué peut conduire au placard ou au licenciement. Dans la vie de tous les jours, à l’isolement”

-Le monde diplomatique, août 2025

Sur le terrain, ses militants incarnent une politique de proximité : tracts distribués à la sortie des gares, discussions quotidiennes, raconte ainsi Yoshimitsu Kuronuma, 76 ans, dont les propos sont rapportés par Le Monde Diplomatique : “ Qu’y a-t-il dans votre réfrigérateur ? Nous voulons qu’il soit plein et que chacun mange trois repas par jour. ” 

PCJ, 9 janvier 1926 @日本語: 無産者新聞の立ち売り。左から三田村四郎、田中寅之助、鍋山歌子、一人おいて中村鈴子、久津見慈雨子。大阪にて。@写真近代女性史』1953年12月10日。発行所:創元社。/Public Domain

L’effondrement du bloc soviétique aurait pu emporter le PCJ. Mais son indépendance passée le protège. Dans les années 1990, il conserve une base solide d’activistes. La catastrophe de Fukushima, en 2011, lui redonne un souffle grâce à son positionnement antinucléaire.

En janvier 2024, le parti élit sa première présidente, Tamura Tomoko ((田村 智子), marquant une féminisation accrue de ses instances : une exception dans une vie politique japonaise où la sous-représentation des femmes demeure criante.

En somme, un siècle après sa fondation, le PCJ demeure une anomalie : marginalisé, mais stable ; ostracisé, mais fidèle à ses idéaux. Premier à défendre le suffrage féminin en 1946, premier à réclamer l’abandon du nucléaire civil après 2011, dernier grand parti à défendre l’article 9 de la Constitution pacifiste

Dans un Japon où le consensus libéral-conservateur reste hégémonique, le PCJ incarne paradoxalement une mémoire critique : celle des causes qui méritent qu’on se batte pour elles.

– Maureen Damman


Image d’entête : Rencontre entre le Parti Communiste de Chine et celui du Japon, 1964.@人民画报/public domain