L’animation japonaise nous offre un nouveau bol d’air frais pour l’été arrive avec La Chance sourit à madame Nikuko, une chronique juste et espiègle de la vie ordinaire d’une mère colorée et de sa fille en nuances de gris… Tout ça dans le cadre idyllique d’un Japon rural à la quiétude qui apaise les âmes. On se régale.

Adapté d’un roman de Kanako Nishi très connu au Japon, La Chance sourit à madame Nikuko est le nouveau film d’Ayumu Watanabe, réalisateur du déjà très beau Les Enfants de la mer.

On y suit Nikuko, une mère célibataire pleine de joie de vivre qui aime manger, rigoler et a une certaine tendance à tomber amoureuse d’hommes qui n’en valent pas la peine. Elle s’installe avec sa fille Kikurin dans un petit village de pêcheurs et trouve un travail dans un restaurant traditionnel. La relation entre les deux femmes n’est pas toujours au beau fixe et Kikurin sent bien que Nikuko lui cache certaines choses de son passé.

Nikuko ou l’énergie de l’espoir

Nikuko est une femme haute en couleurs, pleine d’énergie et qui ne fait jamais les choses à moitié. Elle se donne totalement, même en amour, ce qui lui vaut d’être souvent victime de sa naïveté face à la fourberie des hommes.

La Japonaise enchaîne des relations qui lui apportent essentiellement des dettes qu’elle met alors des mois, voire des années à rembourser. Chaque ville dans laquelle elle pose ses bagages se pare alors de mauvais souvenirs au point de l’encourager à fuir dans une autre. Dans le film, elle se retrouve avec sa fille dans une petite ville portuaire de campagne et les deux femmes vivent sur un bateau prêté gracieusement par Sassan, le propriétaire du restaurant dans laquelle elle est serveuse.

Le calme des rizières et de la mer est un cocon de tranquillité, loin du tumulte des grandes cités comme Tokyo. Tout le monde connaît tout le monde et Nikuko y devient vite une figure populaire. Qu’elle charme par son caractère jovial ou qu’elle fasse rire par ses maladresses, une chose est sûre, Nikuko ne laisse personne indifférent. Au grand dam de sa fille qui se retrouve un peu trop souvent dans l’ombre de cette mère qui prend beaucoup de place, au sens propre comme au figuré.

Ado naissant

Difficile en effet pour Kikurin d’exister face à la tornade Nikuko. Et ce encore plus quand on est, de son côté, en phase de découverte de soi. Véritable garçon manqué, elle se démarque elle aussi des autres jeunes filles de son école. Elle a les cheveux courts et s’habille toujours en short et en débardeur à manches courtes.

Maria, sa meilleure amie, est son opposé, apprêtée de belles robes et les cheveux longs noués en queue de cheval. Kikurin n’a pas vraiment envie de grandir et de changer, constatant déjà à son âge combien les relations humaines sont compliquées avec les groupes qui se forment et les moqueries qui répondent aux médisances.

Pourtant, la petite Japonaise est intriguée par Ninomiya, un autre élève de son école. Ce garçon taciturne est toujours en retrait et elle découvre un étrange mystère le concernant et qui le rend encore plus énigmatique à ses yeux.

C’est dans cette étrangeté qu’elle va aussi se retrouver pour se rendre compte qu’elle n’est finalement pas si différente de sa mère et cache en elle une excentricité qui n’attend qu’à se libérer pour qu’elle puisse enfin vivre en s’assumant totalement.

L’appétit vient en aimant

La Chance sourit à madame Nikuko est un film qui va vous mettre l’eau à la bouche ! On y mange beaucoup et on a pratiquement les odeurs qui nous arrivent aux narines devant les plats qui nous sont présentés. Nikuko travaille dans un grill et il faut voir avec quel amour Ayumu Watanabe met en scène la découpe et la cuisson de chaque morceau de viande (Niku signifiant justement « viande » en japonais).

Fermez les yeux et rien que le son du misuji qui cuit vous fera vous lécher les babines. Onigiris, yakisobas, dorayaki, okonomiyaki, pain perdu,… c’est un véritable festival de saveurs japonaises. Un aspect gastronomique de l’histoire qui était très important pour le réalisateur, comme il l’explique dans le dossier de presse du long-métrage :

Les plats qui apparaissent dans le film sont tous des plats que les différents animateurs ont cuisinés et goûtés eux-mêmes. Il y en a aussi certains qui existaient déjà dans le roman.

Le film est un régal pour les sens, et surtout pour la vue.

Festival excentrique et belle narration

La Chance sourit à madame Nikuko est splendide dans son animation et ses dessins. Le Studio4°C (MemoriesSprigganPrincesse AreteThe Animatrix…) a fait un travail incroyable et le film se situe esthétiquement dans le haut du panier de ces dernières années. On peut dire qu’il n’a rien à envier à ce que l’on voit produit chez Ghibli. Le metteur en scène s’amuse aussi beaucoup à surprendre le spectateur avec des séquences à la limite du psychédélique. Les formes se déchaînent et les couleurs explosent pour le plus grand plaisir des yeux. Vous aurez même souvent envie de faire pause pour pouvoir vraiment profiter des beaux panoramas et des détails dont fourmillent les décors.

La Chance sourit à madame Nikuko

Quant à l’histoire, elle est aussi efficace que simple et humaine. On y parle de la parentalité, de la difficulté d’éduquer seule une enfant, des prémisses de l’amour et de ce moment charnière de l’adolescence où on doit enfin découvrir qui nous sommes. Kikurin apprend, souffre parfois, aime souvent et sa relation avec Nikuko évolue avec le temps. Cette dernière est la source de tous les sourires, même si la dernière demi-heure du film vous tirera, soyez-en sûr, quelques larmes. Le film se veut quoi qu’il arrive optimiste dans son message, comme le rappelle le metteur en scène :

J’ignore si ce que réalise Nikuko le plus naturellement du monde pourra encourager des mères seules, mais je pense que le bonheur immense que lui procure le fait de se lever chaque matin et de profiter de chaque journée pourra peut-être inviter certaines personnes à faire de même.

La Chance sourit à madame Nikuko est une belle tranche de vie que l’on prend plaisir à déguster et on a même envie d’en reprendre une assiette. Ayumu Watanabe prouve une nouvelle fois qu’il faut dorénavant compter sur lui sur la scène de l’animation, marchant dans les pas de géants comme Isao Takahata et Hayao Miyazaki. Le réalisateur fait d’ailleurs à son maître plusieurs clins d’œil en référence à Mon Voisin Totoro que nous vous laissons découvrir par vous-mêmes. Après Belle, nous tenons ici un nouveau chef d’œuvre de l’animation japonaise.

Stéphane Hubert