Le Tofu est un ingrédient important de la gastronomie japonaise. Il est aussi au centre de « Takano Tofu », une comédie dramatique à la recette très réussie.
Takano Tofu est un film réalisé en 2023 par Mitsuhiro MIHARA.
L’histoire se déroule sans la ville pittoresque d’Onomichi, au bord de la mer intérieure de Seto. Tatsuo TAKANO y tient une petite boutique de tofu avec sa fille unique, Haru, revenue vivre chez lui après un divorce. Le tofu qu’il prépare avec soin est très prisé par les habitants et les visiteurs étrangers. Un jour, Tatsuo apprend qu’il souffre d’une maladie cardiaque. Inquiet pour l’avenir de Haru, il demande à ses amis de l’aider à trouver un nouveau compagnon pour sa fille. C’est alors qu’un vent de romance inattendu souffle sur leur quotidien.
Un père, une fille… et un quartier
Takano Tofu est tout d’abord l’histoire d’une relation belle et compliquée entre un père et sa fille. Les deux travaillent ensemble dans la petite boutique familiale. Tatsuo est un père grincheux, bourru, rustre et pas facile à vivre au quotidien. Il n’en reste pas moins très protecteur de sa fille. Haru, divorcée, approche des 50 ans et semble très heureuse de la vie qu’elle mène auprès de son paternel. Il y a une complicité entre les deux, malgré les désaccords obligatoires entre deux personnes de générations aussi différentes.

Autour d’eux, la population est un peu vieillissante mais ne manque pas d’énergie.
Plus on est de (to-)fu, plus on rit !
Takano Tofu propose en effet des moments de comédie irrésistibles, portés par un ensemble d’acteurs dont la complicité est évidente. Toutes les scènes qui se passent dans le salon du coiffeur et le restaurant sont ainsi menées tambour battant par un souffle comique qui fait marcher les zygomatiques. Quand tous se réunissent pour trouver un prétendant à Haru, c’est le feu d’artifice. Soucieux de son avenir mais encore de la vieille école, le père décide de faire passer des entretiens à plusieurs hommes. Autant dire qu’il est difficile de trouver grâce à ses yeux.

Le film sait saupoudrer son intrigue de ces scènes vraiment réussies et marquées par un humour fulgurant. Pourtant, autour de cette effervescence, tout n’est pas forcément rose.
L’héritage en ligne de mire
Le sujet de l’artisanat est ainsi un de ceux au cœur de l’intrigue. On le perçoit dans la manière de faire des boutiques du quartier. Même si les méthodes peinent à évoluer avec leur temps. Dans Takano Tofu, le magasin de Tatsuo doit pourtant tout faire pour survivre. Toutefois, impossible pour le père de faire certains sacrifices, ni de pervertir sa recette. Sa fille a pourtant des idées pour proposer de nouveaux produits mais lui ne veut s’en tenir qu’à ceux qu’il propose depuis des décennies sans jamais en dévier.

Le scénario du film met en avant l’image de ce Japon traditionaliste qui s’englue parfois dans ses propres racines jusqu’à se prendre les pieds dedans. La nouvelle génération, moins obtuse, semble plus ouverte aux évolutions. Haru parle d’ailleurs de son père comme quelqu’un qui a « une aversion pour le changement ». Et ce n’est pas la seule chose qu’il déteste.
Tokyo et les fantômes du passé
Pendant tout le film, il y a un mot tabou à ne surtout pas prononcer devant Tatsuo : Tokyo ! Oui, il déteste la capitale japonaise. Il ne veut même pas vendre ses produits là-bas et encore moins entendre parler de son équipe de baseball. Que les Giants aillent au diable. Lui, il supporte les Carps et aucune autre équipe ! Si les scènes de rage font rire au départ, on comprend vite que le problème est bien plus sérieux qu’il en a l’air.

Takano Tofu se passe en effet à Onomichi, à quelques kilomètres d’Hiroshima. Les souvenirs du drame de 1945 sont ainsi gravés à jamais dans la mémoire du père et des habitants. Il se souvient du souffle, du nuage visible depuis les montagnes. Les radiations ne se sont pas arrêtées au-dessus de la tristement célèbre cité. Non, elles ont traversé des kilomètres, apportant avec elles les maladies et la mort.
Autre conséquence sur la population moins connue des Occidentaux, les Japonais des autres régions repoussaient les personnes de la région qu’ils considéraient comme « irradiés ». Comme si les ondes pouvaient s’attraper telle une maladie contagieuse. Et ce sentiment, c’est à Tokyo qu’il est le plus fort, encore aujourd’hui. Le long-métrage nous explique ainsi cette situation injuste avec finesse et intelligence. Ce qui n’aurait pu être qu’une comédie de situation se transforme alors en étude sociétale intéressante.
Takano Tofu : une histoire humaine si japonaise

Takano Tofu est en effet une chronique qui aborde de très nombreux thèmes qui font que le Japon est le Japon. Les relations familiales, le poids du passé, les forces et les faiblesses des traditions, la solitude, le travail et la santé des personnes âgées… Le scénario est foisonnant mais pas confus, trouvant un véritable équilibre qui offre une fluidité à l’histoire.
Tout est à sa place et jamais le spectateur n’a l’impression qu’une scène est en trop. L’idée de faire se dérouler l’intrigue sur plusieurs années est probablement celle qui permet au film d’être aussi agréable à suivre.

Servi par un casting royal et une histoire aussi drôle que riche et touchante, Takano Tofu est, aux yeux de votre serviteur, une des plus belles réussites du cinéma japonais de ces cinq dernières années. Il est à découvrir en streaming gratuit sur le site du Japanese Film Festival jusqu’au 31 octobre. Vous pouvez également y regarder un autre coup de cœur de notre part : Have a Song on Your Lips.
Stéphane Hubert
















































