Beaucoup le savent déjà, le Japon est à l’origine d’une invention plutôt perturbante : des distributeurs gashapon (ガチャポン) qui proposent à l’achat des culottes usagées de jeunes femmes. Une bien étrange fusion entre la nostalgique machine à bonbons de notre enfance et un fétichisme sexuel peu anodin… Mais si, il y a quelques années, on pouvait encore croiser certains de ces automates dans les sexshops de Tokyo, ce business est aujourd’hui officiellement interdit et semble avoir pratiquement disparu des sous-sols roses de la capitale. Les exceptions sont rares et surtout, hors-la-loi. C’est sur le web japonais qu’a naturellement migré cet étrange business, aujourd’hui exacerbé par la situation sanitaire mondiale. État des lieux.

Gashapon classiques (les versions pour culottes sont plus osées).

Tomber sur une machine à culottes usagées au détour d’une petite ballade dans Tokyo, c’était un grand classique des histoires étonnantes et farfelues à raconter au retour d’un voyage au Japon. Si la pratique fait rire certains et en dégoûtent d’autres, elle est surtout synonyme d’un certains rapport à la sexualité des japonais envers les (très) jeunes filles et les étudiantes.

Ces machines ont aujourd’hui pratiquement disparues, mais le marché s’est simplement transposé au web où des japonaises peuvent revendre leur culottes sales en toute discrétion. Et le phénomène semble avoir pris, ces derniers temps, une ampleur systémique. Sur Yahoo Auction JAPAN notamment, on trouve aujourd’hui des milliers de culottes, strings, bas et collants d’occasion à vendre. Des hommes se les arrachent dans des enchères enflammées.

De prime abord, on croirait pourtant à de simples ventes de vêtements de seconde-main destinées à d’autres femmes : alors pourquoi ne s’agirait-il pas uniquement de telles transactions ? Après tout, ne se ferait-on pas des films ?

Les codes du marché nippon de la culotte usagée

Bas usagés en vente en ligne
Ventes en ligne de culottes usagées

Même si les publications paraissent à première vue tenir de la vente de simples vêtements en ligne, les descriptions ciblent ouvertement les hommes en cherchant à les exciter sur les détails privés de leur propriétaire. Toutes ces annonces précisent un âge, le nom d’une femme et sa fonction en société : étudiante, femme d’affaire, infirmière,… On en trouve pour tous les fantasmes. Cette jeunesse récurrente, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui avait poussé le gouvernement à supprimer les distributeurs : il y était parfois question de culottes volontairement déchirées par les vendeurs masculins pour faire croire à de l’usagé, mais aussi, souvent, de véritables sous-vêtements, parfois même de filles mineures

En théorie, la pratique est également interdite sur la plateforme de vente. Pour contourner les blocages, les vendeuses présumées utilisent des codes textuels et certains kanji spécifiques afin que les hommes – informés à travers des forums spécialisés – puissent retrouver ces annonces en une simple recherche, sans les confondre avec de simples produits de seconde main. C’est d’ailleurs de cette manière que nous sommes tombés par hasard sur ce filon bien étonnant. En recherchant le terme « Tansu » – meubles traditionnels japonais que nous restaurons depuis quelques années. En effet, les titres indiquent de manière récurrente que ces culottes viennent de leur Tansu personnel. D’autres mots clefs, connus de cette communauté fétichiste, leur permet de trouver des milliers de dessous usagés en un instant. 

Culotte d’Ayaka, 23 ans… Difficile d’être plus explicite.

Les fétichistes de culottes de jeunes filles recherchent précisément des sous-vêtements portés et non-lavés de manière à pouvoir profiter de leur odeur. Mais les vendeuses ne peuvent pas clairement le préciser au risque de se faire bannir de la plateforme. Pour contourner le problème, les photographies sont prises de manière explicite, en affichant souvent l’intérieur de la culotte, plutôt que son design extérieur, toujours avec les références précises de la fille.

Covid-19 : une bonne nouvelle pour le commerce du sexe

Sexshop Tokyo @PhilippeReichert

Bien sûr, nous ne sommes pas là pour juger du penchant. Tant qu’il est entendu entre adultes consentants, ce commerce n’est perçu comme étant « ni bon, ni mauvais » aux yeux de la culture japonaise. Chaque partie y trouve son compte. Cependant, si le phénomène n’a rien de nouveau, nous avons observé une augmentation de ce type de ventes depuis le début de la crise sanitaire. Et ce phénomène fait écho à une situation de précarité galopante chez les jeunes japonais qui recherchent des moyens alternatifs de générer de l’argent. La vente en masse de petites culottes usagées devient alors un symptôme.

Nous supputons en effet que la précarité dans laquelle de nombreuses jeunes filles ont été soudainement projetées a probablement du alimenter ces moyens alternatifs de générer des revenus. Si toute la société nippone est bien évidemment touchée de plein fouet par la pandémie, les femmes – qui occupent la majorité des emplois précaires – se retrouvent en première ligne de ces effets. Triste témoignage de cet état de faits, dès l’été 2020, une vague de suicides a touché le Japon, avec des pourcentages sans appel : « Selon des statistiques publiées par la police et le ministère de la Santé, le phénomène touche surtout les femmes, avec une hausse de 27,5 % du nombre de suicides, quand le bilan pour les hommes reste stable » rapporte Courrier International.

D’autre part, le monde de la prostitution a également bénéficié du coronavirus. Alors que la prostitution est théoriquement interdite au Japon (surtout camouflée mais largement pratiquée), il n’a jamais été aussi facile de « commander » (selon les termes des annonceurs) une femme livrée chez vous le jour même. On se souviendra des propos d’un animateur japonais qui se réjouissait publiquement des effets du coronavirus : pousser toute une génération de jeunes filles à se prostituer. Mais ceci fera l’objet d’une enquête ultérieure. Aussi, la combinaison d’une offre boostée par la pauvreté grandissante des femmes, d’une demande de plus en plus facilité, car anonymisée et personnalisée grâce à internet, et d’un climat global de confinement et de repli chez soi, se présente-t-elle comme un puissant moteur de e-commerce sexuel.

Sur un trottoir de Tokyo traîne un prospectus pour commander une escorte-girl

Mais qu’on se rassure qu’il ne s’agisse que de lingerie utilisée ou qu’on se désole de la place que peut prendre un fantasme dans la représentativité internet du corps féminin, une chose est certaine, ce business est à considérer au sein d’un tout : la culture du sexe au Japon. 

La sexualité et les japonais

Cette tendance, un signe que les japonais sont plutôt à l’aise dans leur sexualité ? Pas vraiment. Paradoxalement, l’accès à une sexualité épanouie reste difficile pour un bon nombre de japonais, ce qui n’est pas sans générer de nombreuses frustrations. En 2016, l’Institut national japonais de la population et de la sécurité sociale révélait que 42% des hommes et 44% des femmes entre 18 et 35 ans n’avaient jamais eu de rapport sexuel. Un enjeu sociétal de taille car le taux de fécondité au Japon décroît, tout comme sa population.

Mais comment cultiver une vie intime quand le quotidien est un enchaînement d’impératifs restrictifs ? En effet, la vie sexuelle des japonais est, de fait, comme pour tout le monde, indissociable des conditions d’existence. Or, noyés dans un monde du travail extrêmement exigeant et prenant, car particulièrement compétitif et codifié, souvent logés dans des chambres ou studios très étriqués à cause du prix de l’immobilier dans les grandes villes, et inquiets d’inégalités amplifiées par la crise sanitaire mondiale : comment accueillir confortablement les rapports physiques ?

Au-delà de l’emploi du temps, ajoutez que les relations sociales sont contenues dans un ensembles de convenances et de traditions que la modernité, loin d’avoir effacées, est venue supplanter. La promiscuité entre ces deux dimensions temporelles et culturelles est très présente au Japon, pays à cheval permanent sur l’ostensible frontière qui les sépare. Mais il ne faut pas non plus enfermer les coutumes dans un puritanisme total. L’Art japonais ayant su, notamment durant l’ère d’Edo, entretenir un certain attrait érotique, notamment à travers des estampes explicites appelées shunga, qui inspirent encore aujourd’hui la peinture ou le cinéma à travers le monde. L’Empire des sens (1976) semble aujourd’hui coincé dans un énième paradoxe : une sexualité historiquement épanouie d’une part et les codes de la modernité et son lot de frustrations extrêmes. Un terreau idéal pour le business des culottes usagées, mais plus tristement aussi pour les abus sexuels et les viols.

Gravure shunga de Haronobu Suzuki (1725-1770) présentée à Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques.
Thierry Ollivier / RMN-GP

Conclusion : du malaise à la réflexion

Le phénomène des culottes usagées se lit donc à la lumière d’un contexte socio-économique et nous éclaire, inversement, davantage à propos de ce dernier. D’abord un peu dérangeant, on se dit finalement qu’il s’agit bien là de l’intimité et du choix d’individus responsables sur lesquels on serait bien présomptueux de formuler un jugement. Ceci-dit, comme pour d’autres pratiques, nous sommes encore très sceptiques sur l’image des femmes que ce fantasme cultive, sur la place qu’elles occupent réellement dans ce marché (par choix ou par dépit), et sur la propension de ce marché particulier à favoriser, par un malin détour, une forme de pédophilie qui ne dit pas son nom. Il est d’ailleurs impossible de mesurer à quel point l’accès si facile à des culottes de jeunes filles peut générer d’autres frustrations à assouvir, cette fois, sur des humains bien réels… En effet, il ne faut jamais perdre de vue que les viols au Japon restent largement impunis, et très rarement rapportés aux autorités. Les criminels sexuels jouissent d’une quasi immunité par défaut, en particulier quand la victime est très jeunes. Mais les femmes japonaises se taisent de moins en moins, comme le démontre l’affaire Shiori Ito. Les choses changent, mais ici plus qu’ailleurs, beaucoup trop lentement.

– Mr Japanization


Sources : 

https://www.nouvelobs.com/societe/20191111.AFP8422/dormir-dans-des-capsules-une-reponse-a-la-crise-du-logement-a-los-angeles.html

https://www.terrafemina.com/article/japon-le-taux-de-suicides-de-femmes-en-dangereuse-augmentation_a355580/1

https://www.courrierinternational.com/article/contrecoup-hausse-du-nombre-de-suicides-au-japon

https://fr.quora.com/Est-il-vrai-quil-existe-au-Japon-des-distributeurs-automatiques-qui-vendent-des-culottes-usag%C3%A9es