Au milieu du XVIème siècle, le Japon vit à « l’ère des provinces en guerre », qui voit les seigneurs fieffés s’affronter en quête du pouvoir. En cette époque de guerre civile, Yasuke, un esclave africain entre au service du daimyô Oda Nobunaga (), l’un des trois unificateurs du Japon féodal. Nous avions d’ailleurs consacré un article à son histoire. Récemment l’histoire du premier samourai noir a refait surface à l’occasion de la sortie du prochain jeu-vidéo Assassin’s Creed (déclenchant une polémique réactionnaire de caniveau). Mais la vie singulière de Yasuke a également inspiré HS Tak qui signe le scénario de la BD ‘HITOMI‘, dont l’histoire fictive débute là où la documentation historique nous fait défaut.

Les documents historiques nous manquent sur la vie de Yasuke. Tout ce que nous savons, c’est qu’il naquit au Mozambique, à la fin du XVIème siècle. Son nom de naissance reste inconnu. Il fut arraché à sa terre natale et réduit en esclavage, vendu à négriers portugais qui l’emmèneront en Inde. Là, il sera vendu à un prêtre jésuite italien, Alessandro Valignano, avec qui il arrivera au Japon en 1579, âgé d’une vingtaine d’années environ. Très grand, Yasuke est doué d’une impressionnante force physique mais aussi de capacités intellectuelles lui permettant d’apprendre rapidement des langues étrangères. Deux talents qui lui ont permis de survivre plus longtemps que les autres alors que l’espérance de vie d’un esclave, dédiée à d’épuisants travaux de force, était plutôt courte à l’époque.

Au Japon, sa couleur de peau et sa carrure ne passent pas inaperçus, bien au contraire. Le puissant daimyô Oda Nobunaga entend parler de Yasuke et le fait venir dans sa garde rapprochée en 1581. C’est là que Yasuke obtient le nom qui passera à la postérité ainsi que le rang de samourai à titre honorifique. A la cour de Nobunaga, Yasuke est à la fois une attraction de part son apparence singulière aux yeux des Japonais d’alors mais aussi un guerrier auprès de qui Oda Nobunaga puise des conseils. L’expérience d’un étranger ayant parcouru le monde au contact de cultures différentes pouvant lui amener de précieux atouts dans sa quête du shogunat. Une période courte qui s’achève en 1582, lorsqu’un général de Nobunaga le trahit, conduisant à la mort par seppuku de ce dernier. Yasuke combat alors aux côtés de son fils, Oda Nobutada, mais finit capturé par le général félon Mitsuhide. L’ancien esclave est remis à son ancien maître, le prêtre jésuite. C’est là que nous perdons la trace de Yasuke, car l’Histoire n’a pas retenu ce que fut la fin de sa vie.

Yasuke est-il resté au Japon durant le reste de sa vie ? Son corps repose-t-il dans l’Archipel ou bien son maître l’a-t-il emmené vers d’autres contrées ? A-t-il pu retrouver son pays de naissance, le Mozambique ? Dans l’état actuel de nos connaissances, nous n’en savons rien. Mais c’est grâce à cette trame historique parcellaire que la bande-dessinée HITOMI peut dérouler son propre récit, en piochant dans les éléments de sa légende.

Pour son propre récit, Yasuke est un ancien guerrier qui a combattu dans maintes batailles au service d’Oda Nobunaga. Dix ans après la mort de celui-ci, un Yasuke vieilli erre sur les routes du Japon. Il gagne sa vie en produisant dans des combats de sumo pour amuser la foule. Mais son passé ne va pas tarder à le rattraper sous la forme d’Hitomi. Hitomi, c’est le prénom d’une jeune fille. Les guerres de pouvoir permanentes des seigneurs d’un Japon encore féodal ont fait d’elle une orpheline. Elle aussi erre sur les routes, poussée par la vengeance : elle désire retrouver l’homme qui a massacré sa famille, un samourai à la peau « couleur de betterave ». Les routes de Yasuke et Hitomi se croiseront et, sans lui dévoiler son passé et la rancœur qui l’habite, la jeune fille se fera accepter comme son disciple. Car Hitomi souhaite apprendre l’art du combat de la main de celui qu’elle veut tuer.

La société japonaise de l’époque Sengoku (« l’ère des provinces en guerre »), est intraitable à l’égard des individus, des puissants comme du bas peuple. Les premiers s’entretuent et les seconds subissent leurs exactions. La loi du plus fort domine au détriment des plus faibles, ainsi qu’il en est partout, de tous temps, lorsque les conflits fracturent un pays.

Le duo improbable formé par le rônin noir et la jeune fille devra faire face à la violence de cette époque impitoyable. La mort rôde à tout moment, prête à frapper par la main d’un ivrogne assoiffé de sang ou sur le champ de bataille. Dans ces eaux troublées, les personnages naviguent, des fragments d’idéaux les maintenant en vie : en quête de justice, Hitomi est décidée à aller au bout de sa vengeance coûte que coûte, quand Yasuke se raccroche aux brides de l’honneur guerrier subsistant au fond de lui.

Pour mettre en valeur ce récit (dont nous ne dévoilerons pas la fin) et ses personnages, le style graphique va puiser du côté de l’art du cinéma et des estampes ukiyo-e. Un mélange de deux univers lui conférant une « patte » unique.

Pour le premier, la référence au cinéma de Kurosawa et de Quentin Tarentino est évidente avec le découpage nerveux des cases et des scènes d’action souvent copieusement arrosées de sang, sans verser dans le gore. En contraste, nous retrouvons l’empreinte des estampes japonaises dans les coloris délicats et le trait rappelant aussi celui d’un pinceau à encre sumi.

Pour connaître la destinée de Yasuke et Hitomi, rendez-vous chez votre libraire préféré ou commandez-le en ligne ici.

HITOMI est publié par Urban Comics, dessiné par Isabella Mazzanti et un scénario de H.S Tak.

S. Barret