Comment les japonais font-ils pour survivre à l’épuisement professionnel et aux interminables heures de travail supplémentaires souvent non-payées ? Une piste, les « potions magiques » en vente libre dans tous les combinis (ou konbinis), ces shots de boissons énergisantes qui se vendent comme des petits pains dans la capitales. Tout un symbole. Tribune libre signée Laurent Ibanez.
Peu après être arrivé à Tokyo et avoir adopté son rythme, j’ai vite réalisé que la ville avait un vrai problème de fatigue.
Les gens ici semblaient clairement hypothéquer leur capital sommeil au profit du travail bien sur mais aussi de tout un tas d’autres activités.
Vous avez tous en tête ces images de Japonais dormant à poings fermés dans les transports en commun et qui par on ne sait quel miracle se réveillent précisément lorsqu’il s’agit de descendre à la bonne station.
Interpellé par cet état de fait, j’essayais de repérer ces dormeurs urbains à travers la ville. Macdo, parcs, café et voitures sommairement garées en regorgent. On peut parfois même les surprendre à dormir debout adossés à un mur.
J’étais subjugué par cette capacité (obligation) à la micro-sieste sauvage.
Tout cela semblait cependant bien dérisoire pour compenser le rythme exténuant qu’il faut maintenir pour vivre dans cette ville. J’expliquais alors cela en prêtant aux Japonais une capacité particulière à la récupération et à l’endurance.
Cette hypothèse aller voler en éclats lors de la visite d’une parapharmacie avec un collègue japonais.
Le Japon, le vrai pays de la potion magique :
M’aurait-on menti depuis tout ce temps ? Fort de l’éducation gauloise reçue à l’école et corroborée par les déjà 37 tomes de l’encyclopédie Astérix et Obelix, il me semblait que nous étions les champions du produit miracle et que la recette était gardée jalousement secrète par des druides aussi affables que des gardiens de prison nord-coréens.
Il s’avère en fait que les Japonais ont leurs propres apothicaires à même de répondre aux coups de fatigue que le vaillant salaryman peut traverser.
Nous passions devant ce présentoir richement fourni de bouteilles diverses quand mon ami s’arrête et l’examine ostensiblement.
– Kore wa nani ?* M’enquis-je dans mon plus beau japonais.
– Bha c’est pour tenir le coup ! On récupère plus vite.
C’est vrai qu’en y regardant de plus près, il devenait évident que tout cela ressemblait beaucoup à des fioles aux contenus miraculeux. J’étais vraiment étonné de la quantité de “remèdes” que l’on pouvait trouver en vente libre.
*“Diantre quel est donc cet étrange breuvage.” (plus laconique : c’est quoi ça ?)
Redbull, c’est pour les novices
J’ai toujours agacé mes amis en leur disant que le redbull c’était la cocaïne du pauvre…
Je croyais l’occident un peu mal barré avec cette folie de boissons énergisantes, mais quand on compare tout cela avec l’arsenal japonais, on passe pour de doux amateurs.
Tel un enfant à qui on vient d’offrir un set de petit chimiste, j’étais curieux de découvrir ces différentes potions et bien sur de les mettre à l’épreuve.
Il existe cependant plein de familles différentes et il peut-être parfois difficile de les classer :
1. Les cocktails de vitamines
Beaucoup de ces mixtures sont en fait des cocktails de vitamines concentrées. Elles servent également de “boost” pour l’organisme et permettent de compenser les carences alimentaires. Certains ont tendance à penser qu’un régime à base d’orge et de houblon est suffisant pour l’organisme.
Ces produits semblent jouer la surenchère au nombre de vitamines proposées.
2. Les potions qui préparent à l’action
Il existe toute une catégorie de breuvages qui sont souvent à ingérer avant d’aller faire la fête. Cela va semble-t-il protéger votre estomac et vous permettre de mieux “encaisser” la soirée. Il y a notamment cette petite bouteille orange qui est super célèbre. On la retrouve d’ailleurs très souvent abandonnée dans la rue les lendemains de fêtes. (idiots ! il fallait la boire avant !).
Le procédé vous en apprend beaucoup sur la mentalité du consommateur. Il se sait déjà faible, pas sûr de gérer une grosse soirée et plutôt que d’y aller doucement voir de rentrer plus tôt, il préférera compenser cela à coup de potion magique (pour la fatigue on verra plus tard).
3. Les requinquants
Ceux-là sont plutôt à prendre comme “antidote” lorsque le mal est fait. Car ne pas dormir beaucoup et faire la fête c’est une bonne chose, mais souvenons-nous que le lendemain il y a bureau !
Alors on passe par le combini, on s’achète une chemise blanche, une nouvelle cravate et un petit remontant. Explication en images…
Alors c’est de la bonne ? :
Alors ? La potion magique nippone fait-elle de vous un Obelix en puissance ? Vous rend-elle capable d’avaler la cervoise comme une vulgaire limonade ? Vous permet-elle d’affronter une légion de romains pardon de dossiers au bureau le matin venu ?
Je vous avoue ne pas être un grand fan de tous ces produits. Plutôt partant d’écouter ce que le corps murmure à travers la fatigue. Il arrive cependant que certaines situations invitent à l’excès. Ainsi ai-je pu tester le fameux breuvage qui prépare aux nuits difficiles.
Pour être honnête, je n’ai pas vraiment senti de différence notable. Mes limites étaient identiques et les lendemains ne furent pas moins difficiles.
Il semble que les fabricants parient beaucoup sur l’effet placebo.
Au niveau des requinquants, s’il est vrai qu’on ressent une poussée d’énergie au démarrage, cela retombe finalement bien vite et l’après midi vous semble toujours aussi long et délicat.
Une amie m’a cependant raconté que lors d’un matin vraiment difficile où elle cumulait fatigue et mal de dos, son copain lui avait “prescrit” l’ingestion de deux petites bouteilles. L’effet fut vraiment puissant. La fatigue et le mal de dos l’avaient quitté. Troublé par cette effet, elle s’était rendue compte que son ami avait par mégarde doublé la posologie. Il me semble tout de même qu’elle conserve le nom du dit breuvage en tête “au cas où”.
Une pratique communément acceptée
La pratique semble être entrée dans les mœurs et être une conséquence “logique” (normale?) du train de vie qu’imposent les mégalopoles nippones.
Ces produits sont en vente libre (sans ordonnance) dans toutes les parapharmacies et on retrouve les plus connus dans les combinis.
Lorsque je travaillais à Tokyo dans une société japonaise, il y avait aussi ce petit rituel. Il me semble que c’était tous les jeudis. Une dame qui n’appartenait pas à l’entreprise venait avec son petit chariot qui contenait essentiellement des “alicaments”, des cocktails de vitamines des “boostants”. J’étais vraiment étonné de voir cette pratique communément admise par mes collègues. Je passais d’ailleurs pour quelqu’un d’étrange en faisant partie des rares qui n’en consommaient pas.
Je ne résiste pas au plaisir de vous laisser encore une petite pub faisant l’éloge de ce produit miracle.
Attention à la généralisation
J’attire votre attention sur un point important. Cet article est assez général et il est surtout le reflet d’expériences, de rencontres, et d’observations. Il est le reflet d’un certain mode de vie souvent propre aux grandes villes.
Gardons-nous des généralités faciles, cela ne représente absolument pas la grande majorité des Japonais mais bien une certaine frange.
Même à Tokyo ou Osaka seule une très faible part de mes amis ou connaissances a ce type de comportement/vie.
Cependant, nombre de japonais continuent de souffrir du surmenage jusqu’à, parfois, en perdre la vie. Et aucune potion magique ne semble pouvoir en prémunir.
« si l’on boit une bonne partie du contenu d’une bouteille portant l’étiquette : poison, ça ne manque presque jamais, tôt ou tard, d’être mauvais pour la santé. »
Alice au pays des merveilles – Lewis Carroll.
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