De retour du Kanamara Matsuri ce 2 avril, la fameux festival du pénis de fer de Kawasaki, nous ne pouvons nous empêcher de partager avec nos lecteurs le profond dégoût qui a accompagné cette journée. Retour sur une matinée riche en déceptions.
Le Kanamara Matsuri, entendez « la fête du pénis de fer », est un festival annuel shinto de la fertilité qui se déroule à Kawasaki au sud de Tokyo chaque printemps depuis 1977. Comme son nom l’indique, le phallus reproducteur est ici au cœur de toutes les attentions. Symbole d’actualité pour les japonais qui n’ont jamais si peu pratiqué la reproduction de leur historique, l’évènement est aujourd’hui loin de ce qu’il était autrefois, victime de son succès.
Mondialisation du tourisme oblige, Tokyo subit un flux de plus en plus important de visiteurs. Le printemps et la floraison des cerisiers en attire davantage. Le premier constat en arrivant à 9h du matin au sanctuaire de Wakamiya Hachimangu, où les phallus attendent la prière, c’est que nous ne sommes plus au Japon. Une très forte majorité des personnes présentes sont des visiteurs, au point où les organisateurs livrent leur message en anglais. Le dépaysement n’y est pas. Toutes les 4 minutes, des trains bondés déversent sans discontinuer des vagues de touristes qui espèrent, comme tout le monde, passer un bon moment. 2 heures avant le lancement du cortège, le temple et les alentours sont déjà pleins à craquer au point où il est difficile de simplement se déplacer. Contrairement aux japonais très respectueux des distances entre personnes, nombre de touristes n’hésitent pas à vous pousser pour avancer, qui plus est, en exprimant leur mécontentement. Avant midi, nombre d’entre eux sont déjà sous l’influence de l’alcool.
Dans le temple, des échoppes vendent saucisses et sucettes. Comptez de 30 minutes à une heure pour pouvoir vous procurer ces fameux bonbons en forme de pénis. Une file s’éternise du temple à la gare même après la fin du cortège. Mais l’amusement et les rires qu’on imaginait vu le contexte ne sont pas au rendez-vous. Serrés comme dans une boite à sardine, chacun tente de se frayer un chemin pour espérer s’approcher du cortège. Chargés de réaliser un reportage sur l’évènement, ce qui s’avèrera finalement impossible, nous décidons de rester en retrait, pour observer la scène avec le moins d’incidence possible sur les autres. De l’autre côté de la route, nous observons une jeune japonaise d’environ 1m50 parfaitement placée, devant tout le monde, plusieurs heures avant l’évènement. Plus le temps passe, plus elle est bousculée par des touristes peu respectueux qui tentent de passer devant elle. Elle finit par disparaître absorbée par la masse.
Vient enfin le cortège d’hommes déguisés en femmes. Ils réalisent leur défilé dignement et dans la bonne humeur comme chaque année. 3 grands autels se succèdent rapidement sur la route. Et là, c’est le débordement. Plutôt que d’observer dans le calme la beauté d’un festival culturel unique en son genre, tout le monde se précipite sur le bord de la route, le bras tendu avec un smartphone. Nombre de touristes utilisent des perches à selfie qu’ils tendent au dessus de la foule dans l’espoir d’avoir un meilleur angle que les autres, gâchant par la même occasion la vue à des centaines de personnes derrière eux et aux rares photographes professionnels en retrait. Une magnifique geisha est supposée clôturer le cortège. Malheureusement, nombre de personnes tentent de suivre les autels, coinçant la geisha dans la foule parfois même sans remarquer sa présence. Les services d’ordre tentent tant bien que mal de les repousser pour la laisser respirer. On constate à son visage qu’elle n’apprécie pas l’exercice.
Et là, devant ce spectacle lamentable, notre cerveau fait un quart de tour. Nous ne voyons plus des personnes, mais une masse d’animaux en rute. Comprenant qu’il sera impossible de tirer une seule photographie valable, conscients de faire nous mêmes partie du problème rien qu’en étant sur place (même si nous ne participons pas à l’hystérie autour du cortège), nous décidons de partir. Comment en est-on arrivé là ? Cette scène inimaginable il y a encore quelques années nous questionne sur l’humanité et également sur le comportement de certains individus.
Pourtant, d’autres Matsuri sont bien plus fréquentés et ne posent pas ce problème. Lors du Sanja Matsuri 2016, le plus important festival de Tokyo avec 2 millions de personnes dans les rues, la foule pourtant compacte (en majorité japonaise) tentait de s’imprégner de l’évènement, de participer, d’apprécier le moment sans chercher à monter sur les autres ou faire 300 selfies. Le Kanamara Matsuri est-il alors victime de son succès à l’étranger ? Une chose est certaine, on y remettra plus les pieds.