Voilà déjà un moment que l’Art Japonais ne se réduit plus aux Ukiyo-e, ni même aux mangas, le plus puissant outil du softpower japonais. Des artistes opérant sur des champs aussi différents que la photographie ou la sculpture, ont su investir peu à peu la place de l’originalité. Au sein de cette nébuleuse d’artistes japonais, TAMURA Yoshiyasu appartient à la catégorie des météores : pour la fulgurance avec laquelle il a acquis sa notoriété, et surtout pour la résolution avec laquelle il paraît faire feu de tout bois sur son passage. Entre dessin et peinture, occident et orient, portrait d’un artiste que son époque a rendu complet.

Né en 1977, Tamura Yoshiyasu a tout juste quinze ans quand il s’initie au manga, et suit toujours des cours au lycée jusqu’à se faire repérer et conclure un contrat avec la puissante maison d’édition Shûeisha. Il griffonne et rature pour d’autres, tout en échafaudant ses propres histoires. Sa situation évoluera cependant bien vite. Celui qui, malicieux, n’hésite jamais à rappeler que l’univers décrit par « Bakuman »1 est largement fantasmé…car édulcoré par rapport à la réalité de ce que vivent et subissent les aspirants-dessinateurs, voit ainsi un rêve se réaliser, et une grande porte s’ouvrir devant lui. L’une de ses séries « Fumigami » se trouve en effet publiée dans le mensuel diffusé alors par Shûeisha, un magazine de prépublication de manga intitulé « Gekkan Shônen Jump ».

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Malgré son nom sur la couverture de ses volumes, Tamura sent que le vent a tourné, et que l’époque ne dallera pas, sous ses pas, un chemin tracé vers le succès. Les années 2000 voient l’industrie de l’édition commencer à péricliter. L’arrêt soudain du mensuel dans lequel Tamura était publié, est un terrible choc. Sans jeter néanmoins son crayon, il continue de noircir du papier pendant plusieurs années, mais il sait désormais que ce qu’il considère comme un boulot alimentaire, ne pourra jamais lui apporter la reconnaissance qu’il recherche, et encore moins le satisfaire pleinement. Il lui faut trouver autre chose.

La révélation viendra avec la peinture. Il troquait déjà régulièrement sa trousse de crayons contre une palette de couleurs et un pinceau. La calligraphie lui permit de coucher ses premiers traits. La suite viendra très naturellement. Il peigna d’abord en dilettante. Juste pour s’amuser. Rien d’autre. Dessiner lui permettait de gagner son pain quotidien, tandis que peindre, c’était l’activité à laquelle il se livrait uniquement pour se détendre, quand, il savait que son frigidaire était rempli et que son éditeur ne le pressait plus de rendre ses esquisses.

Autodidacte total, sans aucune formation universitaire ni la moindre spécialisation artistique derrière lui, il s’est fait peintre de la même manière que d’autres se sont faits forgerons : en forgeant…ou plutôt en peignant. Il n’en possède pas moins une grande connaissance théorique de son art, à force de feuilleter des revues spécialisées ou de compulser des sommes dédiées à la calligraphie. Il comprit en discutant avec des peintres à quel point leur rapport à l’art était différent de celui de ses pairs, des mangaka. Si d’un point de vue profane, le geste que fait un dessinateur pour noircir une case et celui du peintre coloriant une planche, peuvent sembler identiques, ils différent absolument pour les intéressés. Tout comme la démarche préalable à ce geste. D’un côté, les mangas sont édités, imprimés, reproduits et diffusés en grand nombre. Plus ce nombre est grand, et plus cela fait les affaires de la maison d’édition et du mangaka.

Le but est donc, pour un dessinateur, de toucher un très large lectorat. Or, cela nécessite d’investiguer en amont pour définir ce que recherche justement le public visé, mais aussi, pour un mangaka, d’effectuer réunions sur réunions avec son éditeur pour définir la ligne à suivre, et, puis, fatalement, parfois, de se compromettre en décidant de dessiner peut-être ce qu’il rechignait à faire dans un premier temps. A l’inverse, la peinture consiste avant tout à produire une toile. Une seule et unique toile. Puis à la vendre, si possible. Tandis que le dessinateur recherche donc le soutien d’un grand nombre de personnes, le peintre, lui, ne vise à chaque fois que l’attention d’une seule. Tamura le comprit, et il fut le premier surpris de voir que ce qui était son passe-temps, était devenu, en un rien de temps, son gagne-pain.

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Alors que l’industrie du livre s’ébranle et qu’une poignée de titres se partagent le marché, Tamura s’investit dans la peinture. Il rencontre alors M.MARUYAMA Akira, l’éditeur du célèbre mangaka éponyme. Il analyse les œuvres majeures de l’art occidental, mais passe la majeure partie de son temps à fouiner dans le passé japonais pour se pencher sur les estampes des grands maîtres (KANO Eitoku, SOGA Shohaku, HOKUSAI, ou bien encore SHARAKU, et les artistes du courant Rimpa), en s’interrogeant sur la façon avec laquelle ils peindraient à notre époque.

Rapidement, il entend parler de pixiv, un réseau social qui lui permet de poster son travail et d’obtenir critiques ou compliments, en temps réel de la part des utilisateurs. Il se sent encouragé sur Internet, et persévère sous l’impulsion de ses fans. Par ce rapport facilité avec le public, il comprend une nouvelle fois que l’époque a changé. Le temps où les lecteurs se précipitaient dans les librairies pour se procurer des ouvrages imprimés sur du papier de très mauvaise qualité, est bel et bien révolu. Le temps est au numérique, à la diffusion instantanée d’images de haute résolution. Il sent qu’il a pris la bonne direction et continue son travail de comparaison artistique.

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D’abord entre les estampes et les mangas, qui se ressemblent beaucoup plus qu’on ne le croit selon lui, si on se souvient que Hokusai, LE maître du genre, est celui qui a forgé le néologisme de manga au début du XIXème siècle. Mais ce n’est pas tout. Apprenant que l’art japonais s’est constitué en opposition à l’art occidental au XXème siècle, il se met en tête, lui, de moins différencier les deux que de les réunir. Ayant eu vent d’un genre totalement différent de manga en Europe, il s’intéresse à la bande dessinée franco-belge, rencontre le génial Moebius, et puis, appelé à voyager de plus en plus en Occident, il choisit d’élire domicile en France en 2015.

Car la notoriété est cette fois, au rendez-vous. Convié par Murakami Takashi, à l’occasion de festivals d’art en Europe et aux USA, il prend progressivement conscience de ce qu’il est devenu. Un artiste japonais, avec des racines et des références japonaises, mais une volonté d’aller au-delà de son temps et de sa propre identité. On trouve dans son travail des éléments propres à la peinture occidentale (en particulier, la posture des personnages, la position de leurs têtes, leurs regards), d’autres se rapportant aux ukiyo-e ou aux e-maki japonaises (les motifs mais aussi les couleurs), avec, toujours, ce côté pop et coloré, propre au monde du manga (l’espièglerie des regards, l’apparence mi japonaise mi occidentale des personnages peints par exemple), dont on oublierait presque qu’il est issu.

– Remi BUQUET  07_tamura_yoshiyasu

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1 Manga d’ÔBA Tsugumi racontant le parcours de deux apprentis mangaka, ayant connu un grand succès et une adaptation au cinéma en 2015